Hector, le premier « rastronaute » français


22 février 1961. Le rat Hector entre dans la légende spatiale en devenant le premier « rastronaute » français. Retour sur cette incroyable aventure technologique et scientifique qui précéda de quelques semaines le vol du Soviétique Youri Gagarine, premier être humain envoyé dans l’espace.


Les animaux, premiers héros de la conquête spatiale

Après avoir conquis la terre, la mer et les airs, les humains se lancent un nouveau défi au sortir de la Seconde Guerre mondiale : voyager dans l’espace. En ce milieu de siècle, la Terre ne semble en effet plus suffire aux deux grandes puissances que sont les États-Unis et l’URSS, toutes deux persuadées que l’avenir géopolitique de la planète se jouera au-delà de l’atmosphère terrestre. C’est le début d’une extraordinaire aventure scientifique et technologique au cours de laquelle Américains et Soviétiques vont rivaliser d’inventivité, bientôt rejoints par la France et d’autres pays.


Ne pouvant prendre le risque d’envoyer des êtres humains en orbite sans avoir préalablement réalisé d’expérimentation, les scientifiques utilisent des animaux comme cobayes dès la fin des années 1940 pour mieux connaître les conditions de vie dans l’espace. En 1948, le singe Albert est le premier animal à expérimenter l’apesanteur. À l’instar de nombreux animaux, il ne reviendra pas vivant de son voyage. Le 3 novembre 1957, la chienne Laïka est envoyée en orbite par les Soviétiques à bord de Spoutnik-2. Elle connaîtra le même sort qu’Albert.


Hector, rat de l'espace Hector, rat de l'espace

Chaque essai permet d’améliorer le matériel et d’affiner le protocole expérimental. Envoyés dans l’espace en 1959 par l’URSS, les singes Baker et Abel deviennent les premiers animaux à survivre à un vol orbital. L’année suivante, les Soviétiques envoient une véritable arche de Noé dans l’espace avec à son bord chiens, lapins, souris et rats. Les États-Unis répliquent le 21 janvier 1961 en offrant au chimpanzé Ham son aller-retour pour les étoiles.


Hector, le rongeur le plus célèbre de l’Hexagone

La France est la troisième puissance à se lancer dans la conquête spatiale, à la suite des États-Unis et de l’URSS. Elle développe la fusée-sonde Véronique dès le début des années 1950 avant de se lancer dans un programme de biologie spatiale au tout début des années 1960. C’est en 1961 que les Français envoient pour la première fois dans l’espace un être vivant, qui sera baptisé Hector par les journalistes. Il s’agit d’un rat blanc âgé de trois mois, ce qui équivaut à trente ans chez les humains. S’il arrive un peu après ses congénères soviétiques et américains, cet aventurier velu n’en devient pas moins le premier « rastronaute » français.


L’expérience à laquelle participe Hector a pour objectif d’observer le comportement du corps et du cerveau face à la micro gravité. Elle doit également permettre de mesurer les effets de l’accélération et de la décélération sur le corps et de mieux comprendre le fonctionnement du système nerveux central et du système d’équilibration. Mais pourquoi avoir choisi un rat plutôt qu’un chien ou un chat ? « Il est nécessaire de commencer de telles études d’abord sur de petits animaux, en augmentant ensuite la taille et le degré d’intelligence pour éventuellement, si cela est nécessaire, arriver à l’homme », expliquait le médecin-colonel Violette en 1961.


Hector, rat de l'espace Hectorat, rat de l'espace

Sélectionné avec six autres rongeurs pour participer à l’expérience scientifique, Hector s’entraîne au Centre d'études et de recherche de la médecine astronautique. Là-bas, il expérimente grâce à une centrifugeuse des effets d’accélération similaires à ceux ressentis à bord d’une fusée. Afin d’observer pendant l’expérience son activité cérébrale ainsi que ses rythmes cardiaque et respiratoire, des électrodes sont implantées dans son cerveau ainsi qu’au niveau de son diaphragme.


Un suspense haletant… et un succès spatial



22 février 1961. Le suspense est à son comble au Centre interarmées d'essais d'engins spéciaux (CIEES) d’Hammaguir, en Algérie, d’où doit décoller le petit astronaute. C’est l’un des six camarades d’Hector qui est installé vers 4h du matin dans l’extrémité supérieure de la fusée-sonde Véronique pour participer à l’expérience. Pris de panique, répondant à un instinct de survie ou tout simplement à un besoin primaire de rongeur, le rat sélectionné ronge les fils conducteurs auxquels il était relié, obligeant les scientifiques à choisir un autre cobaye. Hector est désigné pour prendre sa place, sans réaliser ce qui l’attend…


Équipé d’une combinaison anti-g, Hector prend place dans la capsule placée au sommet de la fusée. Soupape de sécurité étanche, protection thermique, système d’absorption du CO2… Toutes les précautions ont été prises pour que le voyage se passe dans les meilleures conditions. Pour documenter l’expérience, deux caméras ont même été installées dans la capsule. La fusée décolle à 8 h 00 et atteint l’altitude de 109 km, offrant au rastronaute environ cinq minutes de micropesanteur. Après huit minutes de vol, la capsule retombe sur la terre ferme, à 45 kilomètres d’Hammaguir. Lorsqu’ils l’ouvrent, les scientifiques et militaires découvrent avec joie qu’Hector a survécu à son voyage dans l’espace.


Fusée Véronique tranportant Hector le rat Retour d'Hector après sa mission spatiale

L’expérience est un succès quasi-total: technologique, car la capsule s’est séparée comme prévu de la fusée avant de revenir intacte sur Terre, même si quelques dysfonctionnements ont limité l’apesanteur expérimentée par Hector ; scientifique, car les électrodes placées sur le petit rat ont permis, pour la première fois dans l’Histoire, de mesurer l’activité cérébrale d’un être vivant en apesanteur. Et les résultats sont prometteurs : hormis une légère désorientation et un ralentissement cardiaque, aucun effet négatif n’a été enregistré pendant le vol.


Quelques semaines seulement après ce premier essai français, c’est au tour du Soviétique Youri Gagarine de quitter l’atmosphère terrestre, devenant ainsi le premier homme en orbite. Quelque peu éclipsé par ce nouvel exploit, Hector sera finalement sacrifié sur l’autel de la science afin d’être disséqué, six mois après l’expérience. Premier héros de l’aventure spatiale française, son nom restera dans l’Histoire.