Raid de Dieppe : un échec riche d’enseignement

Plage de Dieppe cinq ans après le raid allié
Plage de Dieppe trois ans après le raid allié de 1942 (Extraits de la vidéo ACT 986)

19 août 1942. Six mille soldats canadiens, britanniques, américains et français mènent un raid sur Dieppe. L’opération tourne au désastre et fait de très nombreuses victimes, sans obtenir de véritable résultat stratégique. Les Alliés tireront les leçons de l’échec de l’opération Jubilee pour organiser le débarquement de Normandie en juin 1944.


Attaquer à l’Ouest pour soulager l’armée soviétique

Arrivée du sous-marin U-203 dans le port de Saint-Nazaire.
  • Arrivée du sous-marin U-203 dans le port de Saint-Nazaire.
  • Date de fin : 1941-06-29
  • Lieu(x) :
  • Auteur(s) : Schlemmer Kurt
  • Origine : Marine Propaganda-Abteilung West
  • Référence : DAM 873 L01
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Au début de l’année 1942, l’Allemagne et ses alliés semblent invincibles. Leurs troupes enchaînent les victoires, imposant de sérieux revers aux forces alliées qui sont encore libres. L’armée britannique, l’une des seules d’Europe à encore tenir tête aux nazis, est contrainte de capituler à deux reprises au cours du premier semestre : face aux Japonais lors de la bataille de Singapour en février 1942, puis face aux Allemands lors de la chute de Tobrouk en juin 1942. La situation est tout aussi compliquée à l’est. Pris de court par la volte-face d’Hitler en juin 1941, les Soviétiques résistent tant bien que mal à l’invasion allemande. S’ils parviennent à repousser les troupes allemandes lors de la bataille de Moscou (2 octobre 1941 - 22 janvier 1942), sauvant ainsi la capitale soviétique, la situation n’en reste pas moins préoccupante.


Afin de soulager ses troupes qui luttent pour tenir tête à l’ennemi, Joseph Staline demande aux Alliés de lancer une offensive à l’ouest de l’Europe afin d’ouvrir un nouveau front qui obligerait les Allemands à réduire leurs effectifs en URSS. Les Alliés finissent par répondre favorablement au chef soviétique et commencent à mettre sur pied dès le mois d’avril une opération en France occupée. Les forces alliées n’étant pas encore suffisamment importantes pour envisager un débarquement, l’Angleterre et les États-Unis décident d’organiser un raid sur la côte Atlantique au début de l’été.


Les Alliés avaient déjà organisé des raids de petite envergure quelques mois plus tôt : à Bruneval en février 1942 pour détruire un radar allemand (opération Biting) et à Saint-Nazaire en mars 1942 pour détruire les équipements du port (opération Chariot). Mais l’opération envisagée cette fois-ci est d’une bien plus grande envergure. La tâche s’annonce néanmoins compliquée car les Allemands sont en train de construire le « Mur de l’Atlantique », un système de fortifications devant empêcher tout débarquement à l’ouest de l’Europe.



Un raid surprise d’envergure

Les Alliés jettent leur dévolu sur le port de Dieppe, en Seine-Maritime. L’endroit est stratégique car il est situé à une centaine de kilomètres seulement de l’Angleterre – ce qui permettra aux troupes britanniques, canadiennes, américaines et françaises participant à l’opération de bénéficier de l’assistance de la Royal Air Force – et parce qu’il abrite d’importantes infrastructures allemandes. Initialement prévue pour le mois de juillet, l’opération Rutter est reportée à cause de mauvaises conditions climatiques. Après avoir envisagé l’abandon de la mission, les commandants alliés finalement de la reprogrammer au mois d’août sous le nom d’opération Jubilee.


Six mille hommes sont impliqués dans l’opération, contre quelques centaines d’hommes lors des précédents raids. Les soldats canadiens, qui sont près de cinq mille, constituent le gros des troupes. À leurs côtés se trouvent un peu plus de mille commandos britanniques, cinquante rangers américains et quinze Français du commando Kieffer. Ils sont appuyés par plus de deux-cent-cinquante bateaux, dont huit destroyers de la Royal Navy, et près de mille aéronefs. Les troupes doivent débarquer à cinq endroits différents aux alentours de Dieppe afin de détruire les infrastructures qui protègent la côte.


L’opération Jubilee est déclenchée le 19 août 1942 en plein milieu de la nuit. Les Alliés comptent sur l’effet de surprise et l’obscurité pour atteindre leurs objectifs. Mais l’opération ne va pas se passer comme prévu. Seul le commando britannique no4 réussit sa mission en neutralisant la batterie de canons de Varengeville-sur-Mer avant de regagner les embarcations à sept heures trente. Il s’agit du seul succès du raid de Dieppe. Les autres commandos n’auront pas autant de chance.


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À Pourville, le South Saskatchewan Regiment et le Queen's Own Cameron Highlanders of Canada parviennent à surprendre l’ennemi mais accostent du mauvais côté de la rivière Scie, ce qui les oblige à faire un détour pour atteindre leur objectif. Ne pouvant franchir un pont barré par les Allemands, ils doivent se replier. Ils arrivent néanmoins à réembarquer grâce à l’appui de l’arrière-garde, qui se fait capturer à l’issue des combats.


Les soldats du Royal Regiment of Canada rencontrent un convoi allemand alors qu’ils s’approchent des côtes et se retrouvent pris sous le feu des mitraillettes avant même d’avoir pu débarquer à Puys. Ils arrivent sur la plage de manière décalée et sont rapidement immobilisés près de la digue, coincés entre les barbelés et les tirs. La situation ne leur permettant pas d’évacuer, ils n’ont pas d’autre choix que de se rendre. À Berneval, une seule péniche de débarquement atteint la plage. Malgré leur petit effectif, les soldats parviennent à protéger leurs camarades du feu ennemi en canardant les positions allemandes pendant une heure et demie.


Les dernières troupes à se lancer à l’assaut de la côte débarquent sur la plage de Dieppe mais sans l’appui de l’artillerie, qui a pris du retard. Lorsqu’ils arrivent sur la plage, les chars ne sont pas d’une grande utilité : la plupart s’enlisent dans les galets et sont arrêtés par les canons ennemis. Quelques hommes du Scottish Essex Regiment parviennent à pénétrer dans la ville mais ils ne réussiront pas à atteindre leur objectif. À la suite d’un malentendu – un message maladroit a laissé penser que l’opération était un succès –, le général Roberts envoie en renfort le bataillon des Fusiliers Mont-Royal. Ils n’auront pas plus de chance que leurs camarades. Face au désastre, l’ordre d’évacuation est donné à onze heures. Les derniers soldats à être récupérés embarquent peu avant quatorze heures.



Une expérience meurtrière mais riche d’apprentissage

Le bilan de l’opération est terrible, tant du point de vue stratégique qu’humain et matériel. Les pertes sont considérables : sur les six mille hommes engagés, mille deux cents ont trouvé la mort ou sont portés disparus, parmi lesquels neuf cents Canadiens ; deux mille ont été faits prisonniers et mille cinq cents ont été blessés. Certains bataillons ont été particulièrement touchés, comme le Royal Regiment of Canada, qui a perdu la quasi-totalité de ses hommes sur la plage de Puys. Du point de vue matériel, plus de trente navires et cent avions alliés ont été mis hors d’état de combattre au cours du raid.


Stratégiquement, le bilan du raid de Dieppe est quasi nul, un seul commando étant parvenu à atteindre son objectif, à savoir neutraliser une batterie de canons. Les Alliés n’étaient pas suffisamment préparés pour une mission de cette envergure, mais ils vont tirer parti de cet échec riche en enseignements. Parmi les nombreuses leçons, deux sont essentielles : pour réussir, tout futur débarquement devra impérativement être précédé de bombardements aériens et être appuyé par l’artillerie. Les moyens de communication devront également être améliorés pour faciliter la coordination des différentes unités. Toutes ces leçons seront d’une grande utilité pour la suite du conflit.


Pour l’heure, les Allemands sont persuadés que le Mur de l’Atlantique est invincible. Les Alliés leur donneront tort deux ans plus tard, le 6 juin 1944, lors de l’opération Overlord. Le débarquement de Normandie permettra d’ouvrir le nouveau front tant attendu par Staline et de libérer l’ouest de la France. Sans le désastre de Dieppe qui permit aux Alliés de se confronter au système défensif allemand, le débarquement de Normandie n’aurait peut-être pas connu le même succès.



Maxime Grandgeorge


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