Le Château de Versailles à l’heure de la Grande Guerre
Joyau de la monarchie française tombé en disgrâce après la Révolution, le Château de Versailles retrouve un rôle de premier plan durant la Première Guerre mondiale. Servant à la fois de lieu de fête, de terrain agricole et de salon diplomatique, il participe pleinement à l’effort de guerre. Revivez en images cet épisode peu connu de son histoire.
Avec plus de sept millions de visiteurs par an, le château de Versailles est l’un des monuments les plus visités au monde. Plus de trois siècles et demi après sa construction, ses dorures, galeries et jardins continuent de fasciner les touristes de tous les continents. Modeste relais de chasse au début du XVIIe siècle, il faut attendre l’arrivée de Louis XIV sur le trône pour que naisse le palais que l’on connaît aujourd’hui. Le Roi Soleil n’a de cesse, tout au long de son règne, d’agrandir et d’embellir le palais, qui devient un modèle architectural dans toute l’Europe.
Après un siècle de gloire, la résidence des rois de France tombe en disgrâce avec la Révolution française à l’aube du XIXe siècle. Les générations suivantes nourriront une certaine nostalgie pour le château, symbole de l’Ancien régime et de ses fêtes fastueuses. Fils de la Première République, Napoléon n’osera pas s’y installer et lui préférera le Grand Trianon, autre palais de l’ancien domaine royal. En 1837, tandis que la monarchie a été rétablie, Louis-Philippe inaugure dans le château un musée historique dédié « À toutes les gloires de la France » afin de réconcilier le peuple, profondément divisé depuis la Révolution et l’aventure napoléonienne.
Après un siècle de gloire, la résidence des rois de France tombe en disgrâce avec la Révolution française à l’aube du XIXe siècle. Les générations suivantes nourriront une certaine nostalgie pour le château, symbole de l’Ancien régime et de ses fêtes fastueuses. Fils de la Première République, Napoléon n’osera pas s’y installer et lui préférera le Grand Trianon, autre palais de l’ancien domaine royal. En 1837, tandis que la monarchie a été rétablie, Louis-Philippe inaugure dans le château un musée historique dédié « À toutes les gloires de la France » afin de réconcilier le peuple, profondément divisé depuis la Révolution et l’aventure napoléonienne.
Lieu prestigieux sous le Second Empire, le château accueille de grandes fêtes où sont reçus certains des personnages les plus importants de l’époque, dont la reine Victoria en 1855. Les parlementaires de la Troisième République, royalistes pour les deux tiers, se laissent eux aussi séduire par les attraits de Versailles. Ils siègent dans l’Opéra royal de 1871 à 1879. Le rôle politique du château s’amenuise petit à petit à la fin du siècle, qui est marquée par le travail du conservateur Pierre de Nolhac pour rendre au palais son état d’origine. Transformé en musée, le château ne semble plus être que le vestige d’un passé depuis longtemps révolu. Mais la Première Guerre mondiale va lui donner l’occasion de retrouver le devant de la scène et marquer l’Histoire à nouveau.
Versailles se barricade
Lorsque la mobilisation générale est déclarée le 2 août 1914, le château doit fermer ses portes au public, comme l’ensemble des musées et salles de spectacle du pays. Bien que déserté par les visiteurs, l’ancien domaine royal reste en état d‘effervescence. En effet, il devient rapidement un lieu de rassemblement pour les mobilisés s’apprêtant à partir au front. Situé près du camp retranché de Paris, le château est traversé par la ligne défensive chargée de protéger la capitale. Des tranchées sont creusées et des brèches sont réalisées dans les murs du parc afin de faciliter la défense du domaine, qui n’a pas été conçu dans un but défensif.
Face à l’avancée de l’armée allemande, qui au mois d’août se rapproche de plus en plus de Paris, la nécessité de protéger le patrimoine culturel du château devient urgente. Pierre de Nolhac ordonne la mise à l’abri des œuvres d’art, dont des toiles de Vigée Le Brun, Jean-Antoine Houdon et Jean-Marc Nattier ainsi que des bronzes et des tapisseries, dans les caves saines de l’aile Gabriel. Les sculptures extérieures feront elles aussi l’objet d’un plan de sauvegarde à partir de 1918. Tout comme les cathédrales de l’est et du nord de la France menacées par l’artillerie ennemie, les statues du parc se voient recouvertes d’échafaudages et de sacs remplis de sable.
Le château de Versailles ne se contente pas de se protéger contre l’ennemi mais participe activement à l’effort de guerre de multiples façons. Le domaine accueille dès 1915 des hôpitaux militaires alliés, à l’instar du Trianon Palace, hôtel situé aux abords du parc dans lequel s’installe un service hospitalier britannique. Lorsqu’il rouvre au public en 1915, le château organise des œuvres de guerre pour récolter de l’argent au profit de l’armée. Des spectacles, des concerts, des fêtes et des galas de bienfaisance sont donnés dans le château et son parc pour le plus grand bonheur des visiteurs. Civils, réfugiés des régions occupées, soldats en permission, blessés ou convalescents se pressent pour assister à des représentations en costumes d’époque et profiter de la beauté des jardins.
Quand chaque parcelle de terre du territoire français doit être exploitée pour nourrir les soldats et la population, les espaces verts du domaine sont réquisitionnés et transformés en parc de ravitaillement. Les carrés de légumes du potager du roi n’étant pas suffisant pour répondre aux besoins, Georges Truffaut, fondateur des Jardineries Truffaut, crée les pépinières nationales où sont produits plus de cent millions de plants. Pour pouvoir tenir le rythme, le service des jardins est renforcé avec des soldats réformés ou infirmes, des travailleurs étrangers – majoritairement venus d’Indochine – et des femmes.
Le château redevient un haut lieu diplomatique
Symbole de la puissance française où furent reçus des émissaires du monde entier sous l’Ancien régime, le château de Versailles retrouve un rôle politique et diplomatique de premier plan pendant le conflit. Les visites officielles passent quasi systématiquement par le domaine, qui n’a pas d’équivalent à Paris. Les autorités françaises y reçoivent régulièrement les représentants des pays alliés et neutres, parmi lesquels des Serbes, des Espagnols, des diplomates du Maghreb et d’Amérique du Sud.
Les réceptions organisées à Versailles ont pour objectif d’impressionner les hôtes, de les sensibiliser au magnifique patrimoine national menacé par l’armée allemande et d’obtenir l’aide militaire des pays étrangers. Reçus avec soin, les représentants en visite entrent systématiquement par la cour d’honneur avant de visiter la galerie des Glaces, la galerie des Batailles et le parc. Des festivités, auxquelles participent les orchestres militaires, sont généralement organisées en l’honneur des invités.
Les représentants américains sont particulièrement bien reçus lors de leurs séjours en France. Pour fêter l’entrée en guerre des États-Unis, avec qui la France entretient des liens étroits depuis la fin du XVIIIe siècle, le château organise le 4 juillet 1917 une grande réception à l’occasion de la fête nationale américaine. La visite du palais est sans doute chargée d’émotion pour les Américains : c’est là que fut signé en 1783 le traité d’indépendance des États-Unis.
Afin de coordonner au mieux leurs forces, les Alliés décident de la création d’un Conseil supérieur de guerre interallié le 7 novembre 1917. C’est le Trianon Palace à Versailles qui est choisi pour accueillir les commandants et dirigeants politiques de l'Entente chargés de discuter de la suite de la campagne militaire. Réuni pour la première fois entre le 30 janvier et le 2 février 1918, le Conseil se rencontrera à plusieurs reprises jusqu’à l’armistice, signé dans la clairière de Rethondes le 11 novembre 1918.
Un traité de paix historique
Si la ville de Paris est préférée à Versailles pour accueillir la Conférence de la paix à partir du 18 janvier 1919, c’est bien l’ancienne capitale qui est choisie pour finaliser la rédaction et la signature du traité de paix qui doit mettre officiellement un terme au conflit. Après de longues négociations entre Woodrow Wilson (États-Unis), David Lloyd George (Royaume-Uni), Georges Clemenceau (France) et Vittorio Orlando (Italie), le traité de paix est remis aux Allemands le 7 mai 1919 dans l’enceinte du Trianon Palace. Le vaincu, qui n’a pas été consulté pour la rédaction du traité, émet par écrit le 29 mai des contre-propositions qui donnent lieu à de légères modifications. Lorsqu’il reçoit le texte définitif le 16 juin, le gouvernement allemand n’a que cinq jours pour le signer, sous peine de voir l’Allemagne envahie par l’armée française. Le texte est adopté, non sans rancœur, par les députés allemands le 22 juin.
La signature du traité a lieu le 28 juin 1919, jour anniversaire de l’attentat de Sarajevo qui précipita l’Europe dans la guerre. Elle se déroule dans la galerie des glaces du château de Versailles. Le choix n’est pas anodin : c’est là que fut proclamé l’Empire allemand à l’issue de la guerre franco-prussienne, le 18 janvier 1871. Des représentants venus des quatre coins du globe ont fait le déplacement pour assister et participer à ce moment historique. Outre la France qui préside la conférence, sont présents les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Belgique, le Canada, l’Australie, l’Afrique du Sud, la Nouvelle Zélande, le Japon, le Brésil, la Grèce, le Portugal, la Serbie, l’Inde, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie récemment créée.
Qualifié de diktat en Allemagne, le Traité de Versailles nourrira le ressentiment du peuple germanique pendant vingt ans, contribuant ainsi à la montée du nazisme. Mais pour l’heure, l’ambiance est à la fête à Versailles. La guerre est finie et l’honneur français a été restauré. Le château a une fois de plus marqué l’Histoire.
Maxime Grandgeorge