Les chiens sanitaires, sauveteurs de la Grande Guerre
Fidèles, intelligents et doués d’un odorat exceptionnel, les chiens représentent un formidable potentiel pour les armées au début du XXe siècle. Employés pendant la Première Guerre mondiale comme chiens sanitaires, les « poilus » à quatre pattes ont grandement contribué à retrouver les blessés français sur les champs de bataille, sauvant ainsi de nombreux soldats.
Des « poilus » pas comme les autres
Comment sauver le maximum de blessés sur le champ de bataille ? La question devient de plus en plus pressante à la fin du XIXe siècle tandis que les conflits, dont l’intensité est amplifiée par l’industrialisation et la mécanisation rutilantes, font de plus en plus de victimes. Les brancardiers ont bien souvent du mal à trouver les blessés. Ces derniers, qui ne peuvent pas toujours appeler à l’aide, sont généralement éparpillés sur plusieurs kilomètres, tapis dans l’obscurité, parfois même enfouis sous terre afin de ne pas être repérés par l’ennemi. Autant de difficultés qui ne facilitent pas la tâche des secours et qui expliquent en partie le nombre considérable de soldats portés disparus.
Pour éviter de passer à côté de blessés qui pourraient être secourus, l’armée allemande a l’idée de dresser des chiens sanitaires. Pourvus d’un odorat exceptionnel, ceux-ci peuvent facilement repérer les hommes sur le champ de bataille et permettre ainsi aux brancardiers de les secourir, y compris la nuit. Comme souvent en cette fin de siècle, l’Allemagne prend une avance considérable par rapport à ses concurrents et commence à former de nombreux chiens aux missions sanitaires. En 1913, l’armée allemande possède déjà 2 000 sauveteurs canins, alors que l’armée française commence tout juste à s’intéresser à cette nouvelle opportunité.
En France, le capitaine Tolet fait partie des premiers à prendre conscience du formidable intérêt que représentent les chiens sanitaires. Commencés en 1895, ses efforts attirent l’attention d’Alfred Lepel-Cointet, qui fonde avec lui la Société d'étude pour le dressage des chiens sanitaires, qui devient en 1908 la Société nationale du chien sanitaire. À force de démonstrations et de conférences, la Société réussit à convaincre l’opinion publique du rôle primordial que peuvent jouer les chiens sanitaires en temps de guerre, emportant même l’adhésion du Service de santé de l’armée. Le premier chenil militaire français voit le jour en 1911 à Avon-Fontainebleau. Deux ans plus tard, les chiens sanitaires défilent pour la première fois sur les Champs-Élysées à l’occasion du 14 Juillet.
Des bergers… mais surtout pas allemands !
Pour fournir à l’armée française un nombre suffisant de chiens sanitaires en vue du conflit qui se profile, les civils sont appelés à contribuer à l’effort national en dressant eux-mêmes des canidés. Le docteur H. Kresser, secrétaire de la Société nationale du chien sanitaire, donne quelques instructions lors d’une conférence en 1913 : « il faut un chien résistant, un chien qui puisse passer la nuit dehors au bivouac, recevoir la pluie et supporter le froid et se contenter de pâtées hasardeuses ; il faut un chien facile à entretenir, car le soldat en campagne n’aura pas le loisir de le passer tous les jours au peigne fin, il faut un chien qui ait un flair susceptible de recueillir à distance les émanations d’un blessé. »
Les chiens de berger sont les candidats idéaux pour remplir cette mission. Après avoir commencé à dresser des bergers allemands, qui avaient déjà montré leurs capacités outre-Rhin, l’armée française préfère se concentrer sur des chiens « français » – patriotisme oblige. Les chiens dressés sont entraînés à retrouver les blessés, à rapporter un objet leur appartenant et à prévenir les secours. Une fois le dressage sanctionné par un jury, les chiens sont inscrits sur un registre militaire afin d’être mobilisés en cas de besoin.
Connus pour leur fidélité, les chiens se montrent appliqués à la tâche, comme le constate en 1915 l’écrivaine et journaliste Colette lors d’un reportage consacré à l’entraînement des chiens sanitaires, réalisé dans le parc de Saint-Cloud pour le magazine Le Flambeau. Elle décrit avec talent et précision ces bêtes qui « délirent de l’envie de servir », comme « pris d’un frisson sacré », ces « démons fiévreux, râlant, buvant le vent, saluant de la voix au passage un soldat dont ils reconnaissaient l’uniforme ».
Du chien sanitaire au chien de guerre
Août 1914. L’heure du combat a sonné pour près de quatre millions de Français. Les chiens sanitaires répertoriés sont eux aussi réquisitionnés par l’armée pour effectuer leur service sous les drapeaux. Équipés d’un caparaçon orné d’une croix rouge, symbole des secouristes, les chiens s’élancent à la recherche de blessés. Lorsqu’ils trouvent un soldat à terre, les loyaux serviteurs attrapent un mouchoir, un gant, un bouton ou un bout de vêtement du blessé et filent prévenir leur maître, à qui ils indiquent ensuite la position du soldat. Ils sont confrontés aux mêmes conditions de vie que les combattants et doivent porter un masque à gaz pour se protéger lors des attaques chimiques.
Malgré tous les efforts réalisés par la Société nationale du chien sanitaire, le Service de santé des armées et de nombreux particuliers, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Tout d’abord, le nombre de canidés enrôlés est insuffisant pour répondre aux besoins des équipes sanitaires déployées au front, ce qui oblige à dresser au plus vite de nouveaux chiens pour assister les brancardiers débordés. Le manque de formation des brancardiers, qui n’ont pas toujours les connaissances nécessaires en cynologie, n’arrange pas la situation la plupart du temps.
À partir de l’automne 1914, le passage d’une guerre de mouvement à une guerre de position change la donne pour les recrues canines. Tandis que les soldats s’enterrent dans des tranchées, de nouvelles missions sont peu à peu confiées aux chiens engagés. En août 1915, le ministère de la Guerre demande que les chiens sanitaires deviennent des chiens de guerre. Les « poilus » à quatre pattes abandonnent alors leurs missions sanitaires pour devenir des soldats à part entière, guettant l’ennemi et transportant des messages. Ils s’acquitteront avec le même dévouement de leurs nouvelles tâches, en y laissant parfois leur vie.
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