Le Jour le plus long : dans les coulisses d’une grande opération cinématographique
Fresque historique monumentale, Le Jour le plus long a fait vivre aux spectateurs le débarquement de Normandie comme nul autre film avant lui. À l’occasion du soixantième anniversaire de sa sortie en salle, ImagesDéfense vous propose de découvrir les coulisses de ce long métrage hors normes qui a modelé notre imaginaire du D-Day.
Overlord, l’opération la plus folle de la Seconde Guerre mondiale ?
Deux ans après l’échec du raid de Dieppe – mille deux cents morts ou portés disparus, deux mille prisonniers et mille cinq cents blessés sur six mille hommes engagés –, les forces alliées préparent une opération d’envergure en France. Leur objectif ? Ouvrir un nouveau front à l’Ouest pour soulager l’armée russe et créer une tête de pont afin de reconquérir les territoires occupés par l’Allemagne. Les Alliés ne lésinent pas sur les moyens pour faire de ce débarquement un succès : plus de 150 000 soldats, plus de 5 000 navires de transport et de guerre, et près de 10 000 avions d’attaque et d’appui sont mobilisés pour la grande offensive.
L’opération Overlord débute dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 sur le littoral normand, entre Le Havre et Cherbourg. Des parachutistes américains et britanniques sont largués dans les terres pour préparer le terrain quelques heures avant que les Alliés ne lancent un intense bombardement aérien et naval. Les troupes débarquent à partir de 6 h 30 sur cinq plages : Utah Beach, Omaha Beach, Gold Beach, Juno Beach et Sword Beach. Malgré des pertes importantes – on dénombre plus de dix mille soldats tués, blessés ou portés disparus pour la seule journée du 6 juin – et des objectifs atteints plus tard que prévu, le débarquement reste un succès qui va permettre aux Alliés de regagner du terrain et de libérer la moitié nord de la France.
Un film historique en noir et blanc, le pari risqué de la Fox
En 1959 paraît le livre Le Jour le plus long du journaliste irlando-américain Cornelius Ryan. L’ouvrage, qui retrace le débarquement de Normandie, aura nécessité neuf ans d’enquête et plusieurs milliers d’interviews. Le magnat de l’industrie cinématographique américaine, Darryl F. Zanuck, cinéaste, producteur et ancien patron du studio 20th Century Fox, décide d’acheter les droits du livre pour l’adapter sur grand écran et engage Cornelius Ryan pour écrire le scénario. D’autres auteurs seront sollicités pour venir prêter main forte, dont le romancier français Romain Gary, le vétéran et auteur américain James Jones, à qui l’on doit Tant qu’il y aura des hommes et La Ligne rouge, et l’écrivain allemand Erich Maria Remarque, auteur d’À l’Ouest rien de nouveau.
Contre toute attente, Zanuck décide que le film sera tourné en noir et blanc. Le producteur prend alors à rebours la tendance des grosses productions de l’époque, quasi toutes tournées en couleur. Le choix est d’autant plus risqué que la Fox, endettée à cause du tournage du Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, compte sur le film pour se refaire une santé. Si certains s’inquiètent de la rentabilité de ce choix esthétique, d’autres sont davantage préoccupés par la confusion qu’il pourrait créer avec les images d’archives. Pour leur assurer qu’on verrait la différence entre les images d’époque et celles du film, Zanuck leur aurait répondu : « Ne vous en faites pas, je mettrai une célébrité dans chaque plan ! ».
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Il rassemble un casting d’exception comprenant des stars comme John Wayne (Rio Bravo, La Prisonnière du désert), Henry Fonda (Les Raisins de la colère, Douze hommes en colère) et Robert Mitchum (Rivière sans retour, La Nuit du chasseur), mais aussi Richard Burton (qui vient de tourner dans Cléopâtre) et Sean Connery. Figurent également au générique des acteurs français (Arletty, Bourvil, Jean-Louis Barrault), allemands (Hans Christian Blech, Curd Jürgens, Gert Fröbe) et belges. Pour plus de réalisme, Zanuck engage même des vétérans de la Seconde Guerre mondiale, dont certains ont participé à l’opération Overlord.
Pour réaliser le film, Zanuck fait appel à plusieurs cinéastes, comme le font alors de nombreux studios hollywoodiens. Mais le producteur, qui voit les choses en très grand, pousse la logique à son maximum en engageant cinq équipes différentes. Les séquences anglaises sont tournées par Ken Annakin et Darryl Zanuck lui-même, les séquences américaines par Andrew Marton et les séquences allemandes par Bernhard Wicki. S’ajoutent encore deux autres équipes spécifiques pour tourner les séquences de combats et les sauts en parachute.
Un tournage titanesque
Le tournage débute à l’été 1961 en France, où sera filmé l’intégralité du long métrage. Un certain nombre de séquences sont tournées en Normandie sur les lieux mêmes du débarquement, notamment à Sainte-Mère-Église et à la Pointe du Hoc, tandis que la plupart des scènes d’intérieur sont réalisées dans les studios de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Mais c’est en Corse, sur la plage de Saleccia, bien loin du littoral normand, que sont mises en boîtes certaines des scènes les plus spectaculaires, la côte normande ne ressemblant plus beaucoup à ce qu’elle était en 1944. Le choix a de quoi surprendre – dans l’inconscient collectif, les plages corses sont davantage associées au soleil, au sable blanc et à l’eau turquoise qu’à la grisaille normande –, mais le résultat est bluffant. D’autres scènes de débarquement seront également tournées sur l’île de Ré à la Toussaint.
Les équipes de production doivent fournir un travail colossal pour recréer l’ambiance du débarquement, tant du point de vue des décors et du matériel que des figurants et des costumes. Le producteur et réalisateur Zanuck déclarera, non sans humour, que le tournage du film lui aura demandé « plus de travail qu’Eisenhower n’en a eu pour le Jour J ». Chars en carton, fausses mines, hérissons tchèques factices, mannequins, effets pyrotechniques… Tout est mis en œuvre pour recréer la plus grande opération militaire du XXe siècle. Pour avoir un grand nombre de figurants sans faire exploser le budget, la production fait même appel à des appelés du contingent français et à des soldats américains basés en France.
Les nerfs des équipes de tournage sont mis à rude épreuve. Il faut diriger des centaines voire des milliers de personnes, s’assurer que les badauds ne se glissent pas sur le plateau – notamment des nudistes en vacances à quelques kilomètres de là – et, sans doute la plus difficile des missions, mettre la main sur le matériel de l’époque. Qu’ils soient allemands, les Messerschmitts, ou britanniques, les Spitfires, rares étaient les avions utilisés durant la Seconde Guerre mondiale à être toujours en état de marche au moment du tournage. Zanuck arrive tout de même à en dénicher quelques-uns pour donner plus de réalisme aux scènes de bataille. Ne trouvant pas les planeurs utilisés pour le débarquement, la production va jusqu’à demander à la société qui les avait fabriqués d’en réaliser des répliques !
Un grand succès populaire truffé d’inexactitudes
Sorti sur les écrans le 25 septembre 1962, Le Jour le plus long rencontre un grand succès dans les salles. Il cumule douze millions de spectateurs rien qu’en France, soit un Français sur quatre à l’époque, et engrange cinquante millions de dollars à l’international, ce qui équivaudrait à près de 500 millions de dollars en 2022. Plutôt bien accueilli par la critique qui salue le grand-spectacle orchestré par Zanuck, le film remporte deux Oscars en 1963 : meilleure photographie et meilleurs effets spéciaux.
Il est néanmoins nettement moins bien reçu par les historiens qui relèvent un grand nombre d’inexactitudes. Parmi les exemples les plus criants, la scène de l’attaque du casino de Ouistreham relève du pur fantasme : le bâtiment avait déjà été détruit avant le débarquement. Autre fait erroné devenu célèbre : les vers de Verlaine « les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone » n’étaient pas destinés à annoncer le débarquement mais à donner des instructions à un groupe de résistants français. Quant au maire de Colleville-sur-Orne interprété par Bourvil, qui dans le film accueille les Alliés avec une bouteille de champagne, il n’a jamais été résistant.
Et pourtant, malgré les libertés prises par les producteurs, le film a participé à façonner notre imaginaire du débarquement de Normandie. Il a notamment rendu célèbres les « crickets », instrument en laiton permettant aux soldats de se reconnaître, et les « paradummies », poupées parachutistes utilisées pour tromper l’ennemi sur l’effectif engagé (celles du film sont néanmoins beaucoup plus détaillées que les vraies). Il a également popularisé l’histoire du parachutiste John Steele qui s’est retrouvé suspendu au clocher de l’église de Sainte-Mère-Église.
Son influence sur le cinéma de guerre, et plus particulièrement sur les films consacrés à la Seconde Guerre mondiale, est indéniable, comme le montre Il faut sauver le soldat Ryan (1998) de Steven Spielberg. À l’instar du Jour le plus long, les personnages d’Inglourious Basterds (2009) de Quentin Tarantino parlent tous dans leur langue maternelle, ce qui était une nouveauté en 1962.
Soixante ans après sa sortie, Le Jour le plus long reste un divertissement grand public qui, malgré les nombreuses libertés qu’il prend avec le récit historique, rend un hommage vibrant aux hommes qui ont participé au débarquement.
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