Aldébaran : le premier essai nucléaire en Polynésie française

Essai nucléaire Aldébaran

Premier tir nucléaire réalisé en Polynésie française, « Aldébaran » inaugure un programme expérimental ambitieux qui doit permettre à la France de conserver son rang de puissance mondiale.


Le nucléaire français, du Sahara à la Polynésie

Vue aérienne de Moruroa.[Description en cours]
  • Vue aérienne de Moruroa.[Description en cours]
  • Date de fin : 1976-05-26
  • Lieu(x) :
  • Auteur(s) : Ferrari Pierre
  • Origine : ECPA
  • Référence : F 76-255 RC356
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18 mars 1962. Après des mois de négociations, la signature des Accords d’Évian met fin à la guerre d’Algérie. La France, qui réalise des essais nucléaires dans le Sahara algérien depuis février 1960, doit cesser ses expérimentations d’ici 1967. Ne pouvant se résoudre à arrêter le programme nucléaire français, indispensable pour que le pays conserve son rang de puissance mondiale, le général de Gaulle, alors président de la République, décide de poursuivre les essais ailleurs. Plusieurs territoires sont envisagés, près de la métropole (Corse), en Afrique (Djibouti), en Amérique du Sud (Guyane) ou encore en Antarctique (Îles Kerguelen). Mais c’est sur la Polynésie française que les pouvoirs publics vont finalement jeter leur dévolu.


Les Français ne sont pas les premiers à choisir l’océan Pacifique comme champ d’expérimentation nucléaire. Les Américains et les Britanniques y mènent depuis les années 1950 une partie de leurs essais, au cœur des îles Marshall et des Kiribati. Géographiquement isolé et peu peuplé, l’océan Pacifique apparaît en effet comme l’endroit idéal pour réaliser des tirs nucléaires. Réalisée par l’armée en 1966 pour promouvoir le programme nucléaire français, une vidéo institutionnelle vante l’« immense périmètre d’océan parsemé de rochers et d’atolls inhabités, largement baigné par des courants marins et généreusement aéré par des vents réguliers », assurant que les populations locales sont « naturellement abritées des retombées radioactives ».


Parmi les arguments justifiant ce choix géographique, les autorités françaises insistent particulièrement sur la faible densité de population, voire l’absence de population dans certains atolls. Malgré une superficie neuf fois supérieure à celle de la métropole, la Polynésie française n’abrite en effet que 75 000 habitants au début des années 1960 (contre 45 millions en métropole). Le choix se porte sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa, situés dans l’archipel des Tuamotu à plus de 1 000 kilomètres de Tahiti. Ils ont l’avantage de posséder un nombre d’habitants très faible : moins de 2 300 dans un rayon de 500 kilomètres autour de l’archipel et à peine le double dans un rayon de 1 000 kilomètres.


Une bombe deux fois plus puissante qu’Hiroshima

Essai nucléaire   Essai nucléaire
Essai nucléaire "Aldébaran" à Moruroa © ECPAD (Extraits de la vidéo SCA 400)

Afin d’encadrer le programme nucléaire en Polynésie, les autorités françaises créent au début des années 1960 le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP). Composé de deux sites de tir, à Moruroa et Fangataufa, d’une base avancée à Hao et d’une base arrière à Tahiti, le CEP offre aux différents acteurs impliqués dans le projet – armée, Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et entreprises privées – tout le matériel nécessaire aux expérimentations scientifiques. Des navires sont spécialement aménagés en laboratoires flottants pour analyser les conséquences des futurs tirs.


Pour pouvoir observer le plus près possible les expérimentations et recueillir les données scientifiques, un blockhaus est construit sur la ceinture de corail à Moruroa, à 1 500 mètres de l’endroit où sera tirée la première bombe nucléaire française dans le Pacifique. 50 000 tonnes de béton sont coulées pour rendre indestructible cet abri de soixante mètres de long et de treize mètres de haut. Il doit en effet résister à une température de plusieurs milliers de degrés ainsi qu’au souffle surpuissant provoqué par l’explosion nucléaire.


  • Date de prise de vue : 08/05/1966
  • Référence : SCA 400
  • Réalisateur : Darret André
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Baptisé « Aldébaran » d’après une étoile géante, le premier tir nucléaire en Polynésie française est programmé pour le 1er juillet 1966. Plusieurs personnalités officielles sont présentes pour assister à cette grande première, dont Jacques Tauraa, président de l'Assemblée de Polynésie, et deux élus, Frantz Vanizette et Rudy Bambridge. Mais, à la dernière minute, le tir est reporté au lendemain à cause d’un problème technique dont on ne connaît pas la nature exacte.


Tout est finalement prêt le 2 juillet au petit matin. Malgré des conditions météorologiques moins bonnes que la veille, le tir est maintenu. À cinq heures trente-quatre, l’amiral Lorain ordonne le déclenchement de l’expérimentation. Tirée depuis une barge, la bombe de vingt-huit kilotonnes (soit deux fois la puissance de la bombe lâchée sur Hiroshima en 1945) explose au milieu de l’océan, transformant en quelques secondes un décor de carte postale en paysage apocalyptique. La boule de feu aveuglante laisse immédiatement place à un nuage de poussières prenant la forme d’un champignon. Seules les personnes disposant de lunettes de protection peuvent profiter des premières minutes de cet impressionnant spectacle, les autres devant garder le dos tourné à l’explosion en attendant que soit donné le feu vert pour pouvoir se retourner.


Essai nucléaire Aldébaran  Essai nucléaire Aldébaran
Des militaires assistent au tir nucléaire Aldébaran / Le bunker du Centre expérimental du Pacifique (CEP) © ECPAD (Extraits de la vidéo SCA 400)

Un premier tir riche d’enseignements

Après le tir vient le temps de l’analyse scientifique. Des échantillons d‘aérosols (gaz et poussière) sont prélevés par des avions au cœur du nuage afin de mesurer le niveau de radioactivité. Sont également récupérés des échantillons d’algues et de coraux prélevés dans le lagon où a été effectué le tir, ainsi que des poissons et des aliments des alentours pour surveiller la non-contamination de la chaîne alimentaire. Deux services sont chargés d’analyser ces échantillons : le Service mixte de sécurité radiologique (SMSR) et le Service mixte de contrôle biologique (SMCB).


Analyse après l'essai nucléaire Aldébaran en Polynésie française   Analyse après l'esai nucléaire Aldébaran en Polynésie française
Des scientifiques réalisent des analyses après l'essai nucléaire Aldébaran à Moruroa © ECPAD (Extraits de la vidéo SCA 400)

L’armée et le CEA assurent avoir tout mis en œuvre pour que les retombées radioactives n’affectent aucune zone habitée. Leur discours se veut rassurant vis-à-vis des populations, dont l’évacuation préventive n’a pas été jugée nécessaire. Malgré les précautions prises, le vent dissipe le nuage radioactif, dont certains éléments parviennent jusqu’à des atolls habités. Chargées de poussières, les pluies ruissellent sur les cultures agricoles et s’infiltrent dans les citernes d’eau potable. Mangareva, la principale île des Gambier, située à un peu moins de 500 kilomètres au sud-est de Moruroa, n’est pas épargnée par ces retombées.


L’armée tire les leçons de ce premier tir et renforce la protection pour les essais suivants. Les militaires construisent notamment un abri pour protéger la population civile durant les prochains essais. Pour minimiser les risques de contamination, l’armée arrêtera les tirs atmosphériques (en plein air) en 1974 pour réaliser des tirs souterrains, considérés comme étant « plus propres ». Cent-quatre-vingt-douze autres essais seront réalisés après Aldébaran, jusqu’en 1996, date de l’arrêt du programme nucléaire en Polynésie française.


Maxime Grandgeorge


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