Amiens, le rempart de Paris
De l’occupation allemande éclair de septembre 1914 à la bataille d’Amiens en août 1918, la capitale historique de la Picardie a joué un rôle stratégique durant la Première Guerre mondiale. Victime de nombreux bombardements, Amiens a subi d’importantes destructions. Une grande partie de son patrimoine a néanmoins pu être préservé grâce aux opérations de sauvetage mises en place.
De la ville occupée à la ville de l’arrière
Malgré la perte de vitesse de l’industrie textile qui fit autrefois sa gloire, Amiens reste une ville dynamique au début du XXe siècle. Classée au dixième rang des villes les plus peuplées de France, elle accueille des événements de grande envergure comme une exposition internationale en 1906 et un Grand Prix automobile de France en 1913. Marquée par le développement des grands magasins, du sport et des loisirs, la Belle Époque bat son plein à Amiens, du moins pour les classes les plus aisées. Ce formidable élan est brusquement interrompu à l’été 1914 lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale.
Les troupes allemandes envahissent la Belgique début août puis progressent vers la France, dont elles atteignent le territoire fin août. Située dans la Somme à mi-chemin entre Paris et Lille, la ville d’Amiens se retrouve prise au cœur du conflit. Elle accueille des réfugiés belges et français qui fuient les combats à partir du 24 août. Face à l’avancée allemande, de nombreux habitants quittent la ville à partir du 27 août. L’armée française continue de se replier, laissant la ville sans défense La municipalité, qui garde un souvenir douloureux de l’occupation prussienne en 1870, appelle la population à déposer les armes à l’hôtel de ville afin d’éviter toute confrontation avec l’ennemi.
Les Allemands entrent dans Amiens le 31 août. Ils accordent une journée à la ville pour réunir un grand nombre de marchandises. En cas de non-satisfaction, ils demanderont 20 millions de francs en dédommagement et bombarderont la ville. Le maire, qui souhaite épargner tant que possible la ville et ses habitants, parvient à rassembler la quasi-totalité de ce que l’ennemi réclame. Le commandant des troupes allemandes, Von Stockhausen, menace Amiens de représailles en cas de non coopération. « Toute personne qui n’appartienne pas à l’armée et qui soit trouvée les armes entre les mains sera fusillée à l’instant ; elle sera considérée comme hors du droit des gens », peut-on lire sur les affiches placardées dans les rues.
L’occupation allemande s’organise dans les premiers jours de septembre. L’armée multiplie les perquisitions et les réquisitions, prenant peu à peu le contrôle de la ville. Face aux succès remportés par la France lors de la bataille de la Marne, l’armée allemande durcit le ton. Elle décide néanmoins de se replier le 10 septembre et emporte avec elle un peu plus d’un millier de prisonniers civils. Les derniers soldats allemands quittent la ville le 11 septembre : l’occupation n’aura duré que onze jours. Les Amiénois sont rassurés, mais le plus dur reste encore à venir.
Un patrimoine menacé qu’il faut sauver
Après le départ des Allemands, Amiens se retrouve libre mais isolée, les voies ferroviaires et fluviales ayant été coupées par l’ennemi. La ligne de chemin de fer qui relie Paris à Amiens est rétablie le 24 septembre. Le front se stabilise à la fin de l’année à une trentaine de kilomètres au nord de la ville. Amiens s’en sort bien : après avoir échappé à une longue occupation, elle est épargnée par les combats – du moins pour l’instant.
Sa position géographique, stratégique par rapport au front, lui confère un rôle important dans l’organisation militaire alliée. Plus grande ville de l’arrière, elle devient un lieu de passage important pour les troupes de la Triple-Entente, notamment britanniques. La population voit défiler des soldats venus du monde entier, de l’Australie jusqu’au Canada. Elle croise également des soldats allemands, faits prisonniers dans les environs d’Amiens. Civils et militaires se mêlent dans leur vie quotidienne, partageant parfois les mêmes distractions.
Bien que située à l’arrière, la ville est rapidement rattrapée par la guerre. Elle subit son premier bombardement le 16 avril 1915. Prenant conscience du danger que court le patrimoine d’Amiens, les autorités publiques décident d’agir aux côtés du service des monuments et œuvres d'art de la zone des armées du front Nord. La cathédrale Notre-Dame fait l’objet de nombreux travaux visant à la protéger à partir de mai 1915. En cas de feu, l’on installe des pompes à incendie et l’on construit une autopompe et une citerne. On construit des poutrelles devant les façades des portails extérieurs sur lesquelles sont déposés 6 000 sacs de sable et de terre. À partir de juin 1916, les stalles à l’intérieur de la cathédrale sont également protégées à l’aide de milliers de sacs.
Les opérations de sauvetage se multiplient en 1918 à mesure que les bombardements deviennent de plus en plus fréquents. Les autorités évacuent tout ce qu’elles peuvent. L’intérieur de la cathédrale étant menacé, on dépose ses vitraux, statues, tableaux, gisants et son autel pour les mettre à l’abri. En juillet, c’est au tour du grand orgue et de ses 3 500 tuyaux d’être démontés, à la demande du ministère des Beaux-Arts. Les principales œuvres du musée de Picardie sont également évacuées après que le bâtiment a été touché par une torpille le 26 mars. On observe la même agitation à l’hôtel de ville où les équipes empaquètent les archives municipales avant de les déménager via des glissières de toile et de les expédier par train à la mairie de Tours.
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La bataille d’Amiens, fer de lance de la victoire
Relativement épargnée durant les trois premières années de la guerre, Amiens devient l’une des cibles principales de l’armée allemande lorsque celle-ci lance son offensive en Picardie le 21 mars 1918. Face à l’intensité des bombardements, le maire décide d’évacuer la ville. Les blessés et les malades sont transférés dans des hôpitaux à Rouen et Nice à la fin du mois. De passage dans la ville le 31 mars 1918, le président Raymond Poincaré martèle : « Les Allemands n’auront pas Amiens. Nous défendrons Amiens comme nous défendrions Paris. D’ailleurs, le sort d’Amiens, c’est le sort de la capitale et de la France. Donc, courage et confiance ! » Pour continuer d’assurer ses missions, la mairie s’installe à Neufchâtel-en-Bray le 11 avril 1918. Elle ne réintègrera l’hôtel de ville que le 5 octobre.
Une pluie d’obus s’abat sur la ville tout au long du printemps et au début de l’été, ravageant différents quartiers. Pas moins de 300 projectiles tombent sur Amiens entre le 28 et le 29 avril, cent-quatre-vingt le 13 juin. De nombreux bâtiments municipaux sont touchés, dont le cirque, la bibliothèque et le théâtre. Malgré les précautions prises, les dégâts sont importants. La cathédrale est touchée à plusieurs reprises, une partie de la voûte de l’église Saint-Germain s’est effondrée, et la gare Saint-Roch est ravagée. Le 14 juillet 1918 se passe dans une drôle d’atmosphère. Les autorités militaires françaises, britanniques et australiennes célèbrent la fête nationale dans une ville en ruines et quasi déserte, la population s’étant réfugié au début des bombardements allemands.
Du 8 au 11 août, les Alliés lancent une contre-offensive dans la région d’Amiens afin de reprendre le contrôle de la ligne de chemin de fer reliant Paris à Amiens. Le prix humain de la bataille d’Amiens est considérable – les pertes alliées sont estimées à 46 000 hommes – mais l’effort est récompensé puisque l’armée allemande est obligée de reculer. Cette contre-offensive marque la fin des bombardements sur Amiens ainsi que le début de l’offensive « des Cent-Jours » qui va permettre de remporter la victoire finale.
L’armistice du 11 novembre sonne l’heure de la délivrance pour les habitants d’Amiens, durement éprouvés par le conflit. La ville est citée à l’ordre de l’armée par Georges Clemenceau, président du Conseil des ministres et ministre de la Guerre, le 24 août 1919. « La ville d’Amiens a supporté pendant quatre ans, avec un courage et une dignité sans défaillance, les bombardements et la menace de l’ennemi. Par sa fermeté devant le péril, par la fière attitude de sa population alors même que les vicissitudes de la lutte avaient ramené la bataille jusque dans ses faubourgs, a bien mérité de la Patrie », déclare celui qu’on surnomme le « Père la Victoire ». La ville obtient la Croix de Guerre le 10 juillet 1921, juste honneur militaire pour celle qui protégea Paris en faisant rempart contre l’armée allemande et servit de base arrière pour le front de la Somme.
Maxime Grandgeorge
Pour aller plus loin
Initiée par le professeur d’histoire Louis Teyssedou et conçue par une classe de terminale du lycée professionnel Edouard Gand à Amiens en partenariat avec l’ECPAD, l’exposition Amiens 15-18 met en regard les images réalisées durant la Première Guerre mondiale par Raoul Berthelé, lieutenant de l’armée française, et celles des opérateurs de la Section photographique de l’armée prises en 1918 après les bombardements de l’ultime offensive allemande.
L’exposition est présentée à la bibliothèque Louis Aragon à Amiens du 9 au 25 mars 2023. Une partie de l’exposition est visible jusqu’au 14 avril à la gare d’Amiens.
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