Bataille d'Arras : l’empire britannique à l’assaut de l’Artois
9 avril 1917. Quelques jours avant l’offensive française prévue au Chemin des Dames, les soldats de l’empire britannique s’élancent dans la région d’Arras. Malgré quelques exploits techniques (aménagement de la carrière Wellington) et stratégiques (victoire canadienne à Vimy), la bataille d’Arras n’atteint pas les objectifs fixés et entraîne de nombreuses pertes humaines.
Arras en première ligne
Située à une soixantaine de kilomètres de la frontière belge, la ville d’Arras se retrouve rapidement en première ligne lorsque l’armée allemande lance son offensive en août 1914. Les Allemands font plusieurs incursions dans la ville entre fin août et début septembre. Le front se stabilise à seulement 1 500 mètres des portes d’Arras, plongeant ses habitants au cœur du conflit pour plusieurs années. Prête à tout pour s’approcher au plus près de la ville, l’armée allemande n’hésite pas à construire des tranchées en plein milieu du cimetière arrageois, entre les tombes et les chapelles.
Malgré son statut de ville ouverte, qui est censé la protéger des combats, Arras n’est pas épargnée par les bombardements allemands. Intenses à partir d’octobre, ces derniers endommagent d’important bâtiments et monuments : l’hôtel de ville est détruit le 7 octobre 1914, le beffroi brûle le 21 octobre. La cathédrale et le palais Saint-Vaast subissent le même sort en juillet 1915. Les destructions perdureront jusqu’à la fin du conflit. De nombreux villages des alentours font également les frais du feu allemand. Certains sont littéralement rayés de la carte, comme Beaurains en octobre 1914.
Du 6 au 8 décembre 1915, les Alliés se réunissent à Chantilly pour élaborer la stratégie à adopter pour la suite du conflit. Afin de relancer la guerre de mouvements, plusieurs projets d’offensives sont esquissés, notamment sur le front français. Deux opérations sont prévues pour le premier semestre 1917 afin d'enfoncer la ligne allemande : la bataille d'Arras, menée par les armées de l'empire britannique (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Terre-Neuve, Afrique du Sud) entre Vimy et Bullecourt ; et la bataille du Chemin des Dames, également connue sous le nom d'offensive Nivelle, menée par l'armée française entre Reims et Soissons. Le projet des Alliés est ambitieux : grâce à ces deux offensives combinées, ils pensent pouvoir mettre fin à la guerre en seulement quarante-huit heures !
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Carrière Wellington, une ville souterraine
Les troupes britanniques et alliées débarquent en Artois entre février et mars 1916 pour préparer ce qui sera plus tard connu sous le nom de « bataille d’Arras ». Pour pouvoir abriter les nombreux soldats qui se lanceront à l’assaut des lignes ennemies sans pour autant éveiller les soupçons des Allemands, les armées alliées basées à Arras décident d’aménager les carrières souterraines de la ville, exploitées depuis le Moyen-Âge, situées à vingt mètres sous terre.
Les importants travaux, qui transforment les carrières en une gigantesque caserne militaire, commencent en novembre 1916. Ils sont entrepris par différentes compagnies à commencer par celle des tunneliers néo-zélandais, qui compte près de cinq cents hommes, pour la plupart engagés volontaires issus du secteur minier. Parmi eux figurent quarante-trois tunneliers d’origine maorie. La mission est titanesque : en quelques mois, ils créent un réseau d’une vingtaine de kilomètres reliant les différentes carrières et sécurisent les lieux. Pour se repérer dans ce dédale, les soldats océaniens baptisent les souterrains du nom de leurs villes d’origine, comme Wellington, Auckland ou Nelson.
Terrés sous Arras dans le plus grand secret, des milliers d’hommes se préparent à donner l’assaut. À la veille de l’attaque, 24 000 soldats vivent retranchés dans les carrières souterraines et les caves de la ville, soit l’équivalent de la population arrageoise. 13 000 hommes sont entassés dans le seul secteur des places, appelé ainsi en raison de sa localisation sous les deux grandes places de la ville. Aménagées pour les troupes, les carrières offrent tout le confort d’une ville moderne du début du XXe siècle, de l’éclairage électrique aux toilettes, en passant par le bloc opératoire.
Une offensive qui crée la surprise
Du 2 au 8 avril, l’artillerie alliée prépare l’offensive en pilonnant les lignes allemandes. Une pluie de près de 2,7 millions d’obus s’abat sur les positions adverses, contribuant à épuiser l’ennemi et à neutraliser une partie de son artillerie. Cette phase de pilonnage est accompagnée de raids aériens et d’opérations de reconnaissance menés par le Royal Flying Corps (RFC). Soixante-quinze avions de combat britanniques sont abattus par la Luftstreitkräfte en seulement quelques jours, ce qui vaudra à au mois d’avril 1917 d’être qualifié de « sanglant » (Bloody April).
Initialement prévue le 8 avril 1917, l’offensive est retardée de vingt-quatre heures à la demande des Français, qui préparent leur offensive entre Reims et Soissons. L’assaut est donné le 9 avril à 5h30 du matin. Des milliers de soldats britanniques et alliés surgissent de leur cachette, parfois à seulement quelques dizaines de mètres des lignes ennemies, prenant de court les troupes allemandes. Trente-trois divisions britanniques sont engagées dans la bataille, dont quatre divisions canadiennes qui s’illustrent notamment sur la crête de Vimy, et quatre australiennes.
Grâce à l’effet de surprise provoqué par l’assaut, la progression est d’abord plutôt rapide. Les Anglais ont repris le contrôle du village et de la colline de Monchy-le-Preux le 11 avril, les Canadiens celui de la crête de Vimy le 12 avril. Les troupes alliées bénéficient d’une impressionnante concentration d‘artillerie – un canon tous les dix mètres sur le front entre Vimy et Bullecourt – et de l’utilisation de nouvelles armes, dont le projecteur Livens, invention du capitaine Livens permettant de tirer des charges chimiques.
Malgré des victoires importantes, les troupes britanniques s’enlisent peu à peu, rattrapées par l’armée allemande dont les renforts arrivent. La bataille de Bullecourt illustre particulièrement les difficultés auxquelles sont confrontées les armées alliées. N’ayant pas reçu le message ordonnant de reporter l’attaque au lendemain, deux bataillons du régiment du West Yorkshire s’élancent, seuls, à l’assaut de ce village stratégique le 10 avril. Plus de cent-soixante hommes périssent en quelques minutes seulement. Épuisés par les dix kilomètres qu’ils viennent de parcourir dans la boue et la neige, les soldats australiens échouent également à prendre le village le 11 avril, perdant eux aussi de nombreux soldats. Les Britanniques parviendront finalement à reprendre le village au mois de mai, mais sans réaliser la percée souhaitée.
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Des dizaines de milliers de victimes… pour quelques kilomètres gagnés
La bataille d’Arras se termine le 16 mai 1917 après cinq semaines de combats éprouvants pour les armées britanniques. Grâce à elles, le front a pu reculer d’une dizaine de kilomètres côté allemand, permettant ainsi à la ville d’Arras, épuisée par la proximité avec l’ennemi depuis le début des hostilités, d’être désenclavée. Malgré ces quelques gains territoriaux pouvant s’apparenter à une victoire, l’offensive est loin d’avoir atteint les objectifs que les Alliés s’étaient fixés. Le front n’a pas été enfoncé comme voulu et l’équilibre stratégique reste presque inchangé.
Du point de vue humain, les pertes sont considérables. Les troupes britanniques déplorent 150 000 victimes (morts, disparus et blessés), dont plus de 11 000 soldats canadiens pendant la seule bataille de la crête de Vimy, l’un des succès incontestables de l’offensive. On estime que plus de 4 000 soldats britanniques et de l'empire sont morts en moyenne chaque jour de la bataille. Les pertes sont également élevées côté allemand : elles sont estimées à 130 000 hommes.
L'historiographie a longtemps présenté la bataille d'Arras comme une opération de diversion censée détourner l'attention des Allemands du Chemin des Dames, où se préparait l’offensive française, considérée comme « le » véritable assaut. Cette assertion est largement contestée aujourd'hui : d'une part parce que, loin de se contenter de « faire diversion », les troupes britanniques jouèrent un rôle stratégique à part entière au cours de l'offensive ; d'autre part parce que l'effet de surprise attribué à leur assaut semble avoir été exagéré. Grâce à leurs services de renseignement, les Allemands étaient en effet au courant des deux attaques préparées par les Alliés et purent s'organiser. Du côté français, l’offensive fut un échec qui coûta la vie de nombreux soldats, le général Nivelle s’entêtant à prolonger l’opération pendant de longs mois.
Maxime Grandgeorge
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