APRONUC : maintenir la paix au Cambodge
Dévasté par plus de vingt ans de guerre civile, le Cambodge désespère de renouer avec la paix et la stabilité au tournant des années 1990. L’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC) est mise sur pied en février 1992 pour faire appliquer l’accord de cessez-le-feu, signé à Paris quelques mois plus tôt, et permettre la tenue d’élections.
Une guerre civile interminable
Contrairement à son voisin vietnamien, obligé de prendre les armes pour faire reconnaître son autonomie vis-à-vis de l’Union française, le Cambodge obtient son indépendance le 9 novembre 1953 grâce aux négociations menées par le roi Norodom Sihanouk. Le pays, qui était placé sous la tutelle de l’Union indochinoise depuis 1887, s’apprête à redécouvrir le goût de la liberté, le tout sans avoir eu à verser une goutte de sang. Mais ce dénouement a priori heureux n’est en réalité que le début d’un long chapitre marqué par l’instabilité et la violence.
Malgré les tentatives de Norodom Sihanouk pour préserver la neutralité du Cambodge, le pays est peu à peu rattrapé par la guerre du Vietnam, qui se déroule jusqu’à ses frontières. La stabilité du pays est mise à mal d’un côté par les Khmers rouges, rebelles communistes soutenus par la Chine maoïste et le Vietminh, qui lancent un mouvement d’insurrection en janvier 1968 ; de l’autre, par les bombardements menés dès 1969 par l’armée américaine, qui soupçonne le gouvernement du Cambodge de protéger les troupes du Vietminh. D’abord opposé aux rebelles communistes, le prince Norodom Sihanouk finit par s’associer avec eux en 1970, après avoir été victime du « Coup d’État » mené par le général pro-américain Lon Nol.
Une fois parvenus à la tête de l’État en avril 1975, les Khmers rouges écartent rapidement du pouvoir leur ancien allié princier, qui est fait prisonnier après avoir donné sa démission le 2 avril 1976. Pol Pot, chef des Khmers rouges, a désormais les mains libres pour imposer sa vision de la société. Commence alors l’une des pages les plus sombres de l’histoire du Cambodge, marquée par l’épuration de tous les opposants, la déportation des citadins vers les campagnes, la famine et de terribles exactions perpétrées contre la population. Quatre ans après l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges, leurs victimes sont estimées à deux millions de personnes.
Face aux persécutions des Vietnamiens vivant sur le territoire cambodgien et à la menace que représentent les Khmers rouges, l’armée vietnamienne envahit le Cambodge le 25 décembre 1978. Les troupes khmères sont défaites en seulement deux semaines. L’occupation du pays par les forces du Vietminh durera dix ans. Lorsque les troupes vietnamiennes quittent le Cambodge, en 1989, elles laissent le pays dans un état catastrophique, ruiné, son sol recouvert de milliers de mines antipersonnel.
APRONUC, un projet international ambitieux
Avant de pouvoir entreprendre la reconstruction du pays, l’État cambodgien doit d’abord mettre un terme à la guerre civile qui ravage la société depuis plus de vingt ans. Afin de renouer le dialogue en vue de former un gouvernement de transition, les trois instances politiques qui contestent la légitimité du gouvernement (les royalistes du FUNCINPEC, les Khmers rouges et les nationalistes du Parti du Kampuchéa démocratique) sont conviées à participer au Conseil National Suprême (CNS) cambodgien. Encouragées par la communauté internationale, les quatre factions se rencontrent à plusieurs reprises en 1991 et envisagent les conditions d’une sortie de crise.
Les représentants du Conseil National Suprême cambodgien se réunissent à Paris le 23 octobre pour signer l’accord de paix. Ils s’entendent pour mettre en place un cessez-le-feu et acceptent que le Cambodge soit placé sous la tutelle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) le temps que soient organisées des élections et adoptée une nouvelle constitution. Une première mission est mandatée par le Conseil de sécurité des Nations-Unies (résolution 717) le 24 octobre afin de préparer le terrain sur place. Déployée du 15 novembre 1991 au 15 mars 1992, la Mission préparatoire des Nations unies au Cambodge (MIPRENUC) pose les bases d’un vaste projet international qui donnera naissance quelques mois plus tard à l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC).
Créée le 28 février 1992 par le Conseil de sécurité des Nations Unies (résolution 745), l’APRONUC a pour objectif de faire respecter les accords de paix de Paris concernant le Cambodge pendant la période de transition politique. Du 15 mars 1992 au 24 septembre 1993, ce sont 16 000 militaires issus de quarante-sept pays qui s’impliquent dans cette grande opération de maintien de la paix.
Une paix difficile à maintenir
C’est avec une certaine émotion que débarquent sur le sol cambodgien les soldats français, là où leurs aînés ont combattu durant la guerre d’Indochine plus de trente ans auparavant. Nombre d’entre -eux ont en tête les images de La 317e section, film culte de Pierre Schoendoerffer sur le conflit indochinois. Mais la mission qui les attend est très différente de celle menée par l’armée française quelques décennies plus tôt.
Le principal objectif des Casques bleus est d’assurer les conditions du maintien de la paix. Pour cela, ils doivent notamment désarmer les factions combattantes, contrôler le retrait des forces armées étrangères et sécuriser les dépôts d’armes et de munitions. La tâche n’est pas aisée car les différentes parties rechignent à se laisser désarmer, entravant à plusieurs reprises les missions de l’APRONUC. Le Parti du Kampuchéa démocratique interdit aux soldats de la coalition l’accès aux zones qu’il contrôle. À Sihanoukville, les Casques bleus sont même obligés de s’interposer entre les Khmers rouges et les forces gouvernementales.
Les troupes de l’APRONUC participent également à la remise en état des axes routiers, à la consolidation des ponts et des infrastructures ainsi qu’à diverses missions humanitaires. Les Casques bleus français ont notamment construit une école et apporté un soutien médical en offrant plus de 17 000 consultations gratuites. Malgré le succès rencontré auprès de la population, nombreux sont les soldats à faire part de leur désarroi face aux exactions commises par des groupes armés contre les civils, sans avoir le droit pour autant d’intervenir.
Un bilan contrasté
Lorsque les forces de l’APRONUC sont désengagées en octobre 1993, leur action est globalement saluée par la communauté internationale. L’un des principaux objectifs de la mission a pu être atteint, à savoir la tenue d’élections nationales, en mai 1993. Les armées mandatées par l’ONU ont également apporté une contribution non négligeable à la sécurisation du territoire. Rien que dans la zone contrôlée par les Casques bleus français, un millier de combattants ont été désarmés, plus de 30 000 mines et engin explosifs détruits, 160 ponts reconstruits et plus de 150 kilomètres de routes rétablis.
Malgré ces points positifs, le bilan de l’APRONUC est loin d’être parfait, tant du point de vue international que cambodgien. Les Casques bleus n’ont réussi à désarmer qu’une partie des différentes factions cambodgiennes qui, malgré la signature des accords de Paris, n’ont pas toujours collaboré avec les forces de l’ONU. Les pertes ont été nombreuses pour la communauté internationale – quatre-vingt-deux personnes ont trouvé la mort au cours de la mission –, tandis que le budget de l’opération a plus que doublé (1,6 milliard au lieu des 600 millions de dollars prévus initialement).
Du côté cambodgien, la mission de l’ONU a également fait l’objet de vives critiques. En dépit des importantes aides financières consenties par la communauté internationale, l’économie locale a été fortement déstabilisée par l’intervention des Nations Unies, entraînant une terrible inflation. Quoique difficiles à mesurer, les conséquences sociales de la mission ne sont pas négligeables non plus. Sans qu’un lien de causalité puisse être clairement établi, il a été constaté que le nombre de prostituées avait été multiplié par trois après l’arrivée des troupes de l’ONU. Plusieurs cas d’abus et de violences sexuelles commises par des soldats ont également été rapportés, notamment sur des mineurs, sans que de réelles sanctions soient prises. Autant de zones d’ombre qui viennent entacher cette mission ambitieuse, la plus importante jamais entreprise par les Nations Unies à l’époque.
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- le livre 1945-1954 - Regards sur l'Indochine.
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