11 novembre 1918 : Paris en liesse pour célébrer l’armistice
Mettant fin à la Grande Guerre sur le front occidental, la signature de l’armistice fut accueillie avec joie et soulagement dans toute la France. Revivez l'ambiance de fête qui s'empara de la capitale le 11 novembre 1918 grâce aux images tournées par les opérateurs de l’armée.
La rumeur gagne la capitale
Il est 5 heures, Paris s’éveille. Après un dimanche automnal passé en famille, dans les guinguettes des bords de Seine ou bien encore au cinéma, les Parisiens les plus matinaux s’apprêtent à reprendre le chemin du travail en ce lundi 11 novembre 1918. Ils ne le savent pas encore, mais c’est en ce moment même que se joue l’avenir de l’Europe toute entière, à seulement une centaine de kilomètres de la capitale, au beau milieu de la forêt de Compiègne…
Réunis à Rethondes, dans l’Oise, les représentants des armées française, britannique et allemande tentent de s’entendre pour mettre fin au conflit meurtrier dans lequel les nations européennes se sont engouffrées depuis quatre ans. Un accord est finalement trouvé à l’issue d’une longue nuit de négociations. L’armistice est signé vers 5h15 du matin ; le cessez-le-feu doit entrer en vigueur le jour-même à 11 heures précises.
Paris est encore calme en ce début de matinée, comme on peut le voir sur les images tournées par la Section photographique et cinématographique de l’armée (SCA). Malgré le sourire guilleret et la démarche enjouée de quelques passants, rien ne laisse présager de l’ambiance fiévreuse qui va bientôt s’emparer du pays tout entier. La nouvelle de l’armistice se répand dans la ville aux alentours de 11 heures du matin. Le bruit court d’abord sous la forme d’une rumeur nourrie par le bouche-à-oreille, que chacun colporte avec espoir, stupeur et peut-être aussi prudence à travers les quartiers et les faubourgs de la ville. Si la nouvelle semble crédible, les Allemands ayant demandé l’armistice quelques jours plus tôt, il faut attendre la confirmation donnée par les dépêches de journaux et les autorités locales pour enfin pousser un grand cri de soulagement : la guerre est bel et bien finie !
La foule laisse exploser sa joie
La joie se manifeste avec expressivité : les bras se dressent jusqu’au ciel, les poings se serrent en signe de victoire et les couvre-chefs sont agités dans les airs. Si certains passants restent discrets, d’autres ne cachent pas leur joie, comme ce soldat qui fanfaronne, offrant son plus beau pied de nez à la caméra. Un mélange de soulagement, de fierté et de joie se lit sur les visages fatigués par quatre années d’une guerre sans précédent. Impossible de passer à côté de la nouvelle : tous les immeubles de la ville sont pavoisés avec les drapeaux français, britannique et américains. On aperçoit même parfois le drapeau de l’armée impériale japonaise.
C’est une véritable marée humaine qui se déverse dans les rues de Paris en seulement quelques minutes. Instinctivement, un million de Parisiens se précipitent dans les lieux publics pour partager ce grand moment de communion. La foule éparse se mue rapidement en une masse imposante dans laquelle se fondent les individus, jusqu’à ne plus former qu’un seul et même corps. Les voitures et calèches, pourtant habituées à la circulation quelque peu anarchique de la capitale, peinent à se frayer un chemin à travers cette masse compacte qui envahit les places de la Concorde, de l’Étoile et de l’Opéra.
Pour profiter au mieux de ce spectacle exceptionnel et saluer les soldats qui défilent, certains habitants sont même montés sur les toits des immeubles. Toujours partants pour escalader, les enfants grimpent eux aussi sur tout ce qui leur permet de prendre de la hauteur. Perchés pour certains sur des canons, tels de jeunes « hommes-canons » prêts à être projetés dans le ciel de la capitale pour diffuser la grande nouvelle, les enfants célèbrent la fin de la guerre au cours de laquelle leurs pères, oncles et frères ont servi la patrie.
Muettes, les images qui nous sont parvenues de cette journée ne rendent pas compte du brouhaha qui régnait alors dans Paris. Quatre ans après le glas du tocsin qui avait annoncé la mobilisation générale, le 1er août 1914, les cloches d’église sonnent à nouveau, pour annoncer une bonne nouvelle cette fois-ci. Au milieu des tintements assourdissants résonnent également des cris de joie, des Marseillaise spontanées et d’autres chants patriotiques. À en croire le journal parisien Le Populaire, une chanson de camelot tournant en ridicule le Kaiser Guillaume II, qui abdique le 9 novembre 1918, devient très à la mode. « Ah ! il est foutu Guillaume ! » chantonne-t-on au coin des rues.
Une victoire au goût amer
La fête bat son plein dans la capitale, mais tout le monde n’a pas le cœur à la célébration. Malgré leur intensité, les effusions de joie ne peuvent occulter complètement les nombreuses effusions de sang qui ont inondé le sol français pendant quatre longues années. La tristesse des civils endeuillés n’est pas montrée explicitement dans les images filmées à Paris le 11 novembre 1918, mais quelques détails viennent néanmoins souligner la profonde amertume qui accompagne la victoire qui vient d’être arrachée à l’Allemagne.
Parmi les soldats qui apparaissent sur les images tournées par la SCA, certains sont mutilés, marchant avec une canne ou des béquilles, rappelant ainsi que de nombreux Français ont été meurtris dans leur chair pendant le conflit. On estime à près de 4,3 millions le nombre de soldats français blessés au combat, dont 15 000 « gueules cassées », gravement défigurés. L’armée française paya un lourd tribut lors du conflit : sur 8 millions de Français mobilisés, plus d’un 1,3 million trouvèrent la mort ou furent portés disparus. Un chiffre effrayant qui semble oublié en ce moment d’euphorie.
Si la souffrance touche les corps, elle touche également le territoire. L’Alsace-Loraine, perdue en 1871 à la suite de la défaite française contre les Prussiens, fait l’objet d’un incroyable culte mémoriel sous la Troisième République. Tandis qu’on célèbre l’armistice, un étrange rituel est observé sur la place de la Concorde : des soldats ouvrent une caisse remplie de terre qu’ils dispersent sur les pavés, devant un panneau sur lequel est indiqué « Terre d’Alsace ». Une manière symbolique de célébrer le retour des provinces perdues dans le territoire national tout en rendant hommage à ceux qui sont tombés sur cette terre encore gorgée de sang.
De nombreux Français l’ignorent lorsqu’ils laissent éclater leur joie, mais le conflit n’est pas complètement terminé. Si la guerre est bien finie sur le front occidental, elle se poursuit néanmoins sur le front oriental, notamment en Grèce, Turquie et Russie. Dans l’ancien empire russe, les troupes alliées apportent leur soutien aux armées blanches qui luttent contre les bolcheviks. Ceux-là avaient pris le pouvoir en octobre 1917 avant de déposer les armes deux mois plus tard. Malgré l’armistice, plusieurs milliers de Français restent mobilisés jusqu’en 1920. Mais pour l’heure, pas de quoi gâcher la fête !
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