Le fort d’Ivry : un monument entre Histoire et cinéma
Construit au milieu du XIXe siècle pour protéger Paris, le fort d’Ivry a été le témoin de nombreux événements historiques, de la Commune de Paris à la Seconde Guerre mondiale. Depuis 1948, il abrite l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD), centre d’archives et de production audiovisuelle dédié au patrimoine militaire.
Ivry, un village agricole stratégique pour Paris
Situé à quelques kilomètres au sud de Paris, Ivry est un petit village agricole comme la France en compte des milliers à la fin du XVIIIe siècle. Les bouleversements du XIXe siècle (voie ferrée, industrialisation) modifient progressivement la physionomie de la ville, qui semble se rapprocher de plus en plus de Paris à mesure que l’urbanisme de la capitale s’étend dans les communes limitrophes. Les carrières d’Ivry contribuent aux projets urbains parisiens en fournissant à sa voisine d’importantes quantités de pierres, à l’instar d’autres communes de la région, notamment dans l’Oise. L’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe, sacré roi des Français en 1830, va considérablement modifier le rapport de la petite ville avec la capitale.
Soucieux de protéger Paris – tout le monde se souvient alors de la défaite de Napoléon lors de la bataille de Paris en 1814, durant laquelle la capitale fut assiégée par la coalition européenne – Louis-Philippe souhaite faire bâtir une nouvelle enceinte défensive autour de la ville. D’abord présenté en 1833 par le maréchal Soult, président du Conseil et ministre de la Guerre, le projet est refusé par la Chambre des députés, certains craignant qu’il ne serve davantage à contrôler Paris et sa population – régulièrement sujette à l’agitation depuis la Révolution française – qu’à les protéger. Une deuxième version du projet, portée par Adolphe Thiers, alors président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, est votée en 1840.
Le projet prévoit la construction d’une ceinture défensive de trente-quatre kilomètres autour de Paris, comprenant quatre-vingt-quatorze bastions, dix-sept portes et seize forts. L’un de ces forts doit être bâti à la lisière des villages d’Ivry et de Vitry, entre les vallées de la Bièvre et de la Seine. Les travaux débutent en 1841 sur les anciennes carrières d’Ivry. Réalisés par l’ingénieur civil M. Barison, les travaux emploient près de mille ouvriers pendant quatre ans. De forme pentagonale, le fort d’Ivry rappelle les fortifications conçues par le marquis de Vauban au XVIIe siècle. Il est inauguré en 1846, année où il accueille sa première garnison.
Témoin de l’agitation parisienne et des grands conflits
Le fort change de fonction après la révolution de 1848, qui marque le début de la Seconde République, et se voit transformer en prison. Après les journées de Juin, mouvement d’insurrection d’ouvriers parisiens qui protestent contre la fermeture des ateliers nationaux, l’enceinte accueille plus de mille-cinq-cents insurgés. Ils sont incarcérés dans les anciennes carrières de pierre, sur les murs desquels ils laisseront des inscriptions célébrant la République.
Le fort d’Ivry se trouve à nouveau pris dans la tourmente lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et de la Commune de Paris. Soumis à l’artillerie de l’armée prussienne pendant le siège de Paris (20 septembre 1870 – 28 janvier 1871), le fort est occupé par les soldats de Bismarck à partir du 29 janvier 1871. Opposée au gouvernement qui s’est réfugié à Versailles et à la nouvelle Assemblée nationale dominée par les monarchistes, une partie des Parisiens lance un mouvement insurrectionnel le 18 mars qui va déboucher sur la mise en place d’un gouvernement révolutionnaire inspiré par la démocratie directe : la Commune.
L’armée prussienne quitte le fort quelques jours après le soulèvement de Paris. Il est investi par l’armée fédérée, composée de gardes nationaux partisans de la Commune, afin de s’assurer que l’armée de Versailles ne puisse pas s’en servir pour agresser Paris. Craignant d’être attaqués par les Versaillais, ils évacuent le fort dans la nuit du 24 au 25 mai. En quittant les lieux, ils font sauter un dépôt de munitions et endommagent plusieurs casemates qui seront reconstruites l’année suivante.
Le fort connaît après l’épisode de la Commune une période de relative accalmie pendant près de soixante-dix ans. Il héberge un poste de Défense contre avions (DCA) durant la Première Guerre mondiale mais ne sera jamais directement menacé par l’ennemi. Pendant les années de paix de l’entre-deux-guerres, il sert de caserne à différents bataillons dont les 21e et 23e régiments d’infanterie coloniale. Il reprend du service lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale. Après la défaite française de juin 1940, le fort est occupé par l’armée allemande qui s’en sert de dépôt de munitions. Les carrières sont également reconverties en abri antiaérien. Les soldats allemands ne seront délogés qu’à la Libération de Paris, fin août 1944. Le fort accueille alors des membres des Forces françaises de l’intérieur (FFI) puis des troupes américaines avant que le centre militaire de rapatriement n’y installe ses quartiers à partir d’avril 1945.
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Le fort d’Ivry fait son cinéma
Le fort connaît une nouvelle reconversion après la guerre en troquant ses canons pour des caméras : au revoir les munitions, bonjour les pellicules de film ! C’est une nouvelle page de l’histoire du fort qui s’ouvre en 1948 lorsque le Service cinématographique des armées (SCA), fusionnant des services cinématographiques de l’armée, de la Marine et de l’armée de l’Air, s'installe dans l'enceinte d'Ivry, comme l'y autorise le décret publié le 26 juillet 1946. La structure, qui deviendra l’Établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA) en 1969 puis l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) en 2001, participe à la promotion et à la valorisation de l’armée française de multiple façons, notamment en conservant une partie de ses archives audiovisuelles et en produisant de nombreux films, dont beaucoup servent à l’instruction. Toujours installé au fort d’Ivry, l’ECPAD conserve aujourd’hui 15 millions de photos et 94 000 heures de films couvrant plus d’un siècle de conflits et d’interventions militaires.
Bénéficiant du savoir-faire de professionnels et de l’inventivité de jeunes réalisateurs, dont certains deviendront célèbres (Pierre Schoendoerffer, Claude Lelouch, Philippe de Broca, Bruno Podalydès…, que l'on peut voir dans le film Ils sont passés par là), l’ECPAD réalise des productions audacieuses. Parmi les plus marquantes figurent le court-métrage humoristique Chifonnard et Bonaloy (1954) de Pierre Lhomme avec le jeune Jean-Claude Brialy dans le rôle d’un soldat récalcitrant ; le documentaire Sept jours en mer (1963) de Pierre Schoendoerffer ; la parodie de film de science-fiction Les Martiens arrivent ! (1974) d’Yves Ciampi ; la comédie musicale Mélodie Conseil (1978) de Francis Pernet ; ou encore le dessin animé décalé Bleu marine et rouge pompon (1985) de Jacques Rouxel, créateur des Shadoks.
En plus d’héberger l’ECPAD et ses activités, le fort d’Ivry devient au fil des années un lieu de tournage prisé où sont tournés de nombreux films et séries, notamment dans les carrières et les casemates. Des productions aussi variées que les films Le Trou (1958) de Jacques Becker et L’Empereur de Paris (2017) de Jean-François Richet, la série Les Mystères de Paris (1980) et le téléfilm Mystères à la Sorbonne de Léa Frazer (2018) tirent parti de l’ambiance unique des carrières. Les casemates servent quant à elles de décor pour Eryx (1986), court-métrage de Patrice Tessier produit par l’ECPA, ou encore le film L’ombre des femmes (2014) de Philippe Garrel. Des productions étrangères sont également tournées au fort, dont un épisode de la série franco-canadienne Highlander (1993) et un épisode de la série franco-germano-anglo-canadienne Sydney Fox, l’aventurière (2000).
Bien ancré dans son époque, le fort d’Ivry ne cesse d’évoluer pour répondre aux nouveaux besoins de l’ECPAD comme aux nouvelles normes (environnement, conservation des archives, infrastructure, sécurité…). L’un des bâtiments historiques du fort a été entièrement réhabilité afin d’accueillir depuis 2013 l’École des métiers de l’image (EMI), qui forme les militaires et les civils du ministère des Armées dans les domaines photo, vidéo-son-lumière, digital, médias sociaux et écritures audiovisuelles. Deux importants chantiers ont été lancés en 2022. Le premier, qui concerne la rénovation des casemates, a pour objectif d’offrir aux archives les meilleures conditions de conservation. Les casemates pourront désormais conserver des supports de nitrate de cellulose, soit l’intégralité des photographies et films d’avant les années 1920. Le second concerne la résidence d’artiste de l’ECPAD, qui accueillera son premier pensionnaire à la rentrée 2022, l'auteur de bandes dessinées Séra.
À la fois ancien fort militaire où perdurent les traditions – différentes cérémonies y sont toujours célébrées, dont la fête de la Sainte-Véronique, sainte patronne des photographes –, et centre d’archives, de production audiovisuelle et de formation, le fort d’Ivry est, un siècle et demi après sa construction, un lieu unique en son genre qui participe de manière plurielle à la préservation de notre riche patrimoine. Il accueille notamment une médiathèque ouverte au public où peuvent être consultées des millions d'archives audiovisuelles. Il est ouvert à la visite pendant les Journées européennes du patrimoine, les 17 et 18 septembre 2022.
Pour aller plus loin
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- et le livre Soldats de l'image.