Joséphine Baker, au service de la France
Éternellement reconnaissante au peuple français qui l’a adoptée, Joséphine Baker s’engage pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Concerts aux armées, renseignement, engagement dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL)… La star consacre toutes ses forces à la libération de la France. À l’occasion de son entrée au Panthéon le 30 novembre 2021, ImagesDéfense vous propose de redécouvrir ses années passées au service de la France.
Une Américaine à Paris
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Joséphine Baker est l’une des principales vedettes des music-halls parisiens, aux côtés de Maurice Chevalier, Charles Trenet, Édith Piaf ou encore Mistinguett. Arrivée à Paris en 1925, la jeune Freda Josephine McDonald, de son vrai nom, devient rapidement la coqueluche des cabarets de la capitale. Elle se fait connaître dans la Revue nègre, présentée au Théâtre des Champs-Élysées en 1925, où le public la découvre dansant quasi nue. Mélange de sensualité, de clownerie et de stéréotypes exotiques, son numéro fait sensation… et choque.
Sa carrière explose en 1927 lorsqu’elle participe à la revue des Folies Bergères, au cours de laquelle elle porte la désormais célèbre ceinture de bananes – un accessoire qui la fait rentrer dans la légende du XXe siècle. La jeune Afro-Américaine est rapidement courtisée par le cinéma et se voit offrir l’un des rôles principaux du film muet La Sirène des tropiques réalisé par Mario Nalpas et Henri Étiévant, assistés par un certain Luis Buñuel. Puis elle se lance dans la chanson et rencontre un immense succès en 1930 grâce au titre « J’ai deux amours ». Séduisante, insolente et espiègle, la jeune femme conquiert le cœur des Parisiens, et se laisse charmer par eux.
Une star du renseignement
Lorsque la « drôle de guerre » éclate en septembre 1939, Joséphine Baker, qui a obtenu la nationalité française deux ans plus tôt après avoir épousé le Français Jean Lion, n’hésite pas une minute : elle veut servir son pays. « C'est la France qui m'a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. [...] Ne suis-je pas devenue l'enfant chéri des Parisiens ? Ils m'ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd'hui ma vie », déclare-t-elle au début du conflit.
Pour soutenir le moral des soldats, Joséphine Baker donne des concerts dans le cadre du Théâtre aux armées. Elle est rapidement contactée par Jacques Abtey, chef du Service du contre-espionnage du 2e bureau de l’état-major, qui lui propose de travailler pour le gouvernement. Baker devient un « honorable correspondant » : grâce à son statut de star, elle peut se rendre dans les ambassades et les consulats afin de recueillir des informations sur l’ennemi sans trop éveiller les soupçons. Voulant toujours en faire plus, elle s’implique également auprès de la Croix-Rouge afin de venir en aide aux réfugiés, notamment belges et hollandais, et n’hésite pas à héberger des résistants dans son château en Dordogne.
C’est avec déchirement que Joséphine Baker apprend l’arrêt des combats, annoncé le 10 juin 1940 par le maréchal Pétain. L’appel du 18 juin lui redonne néanmoins espoir et la conforte dans ses convictions : il est hors de question de baisser les bras et d’abandonner la France aux nazis ! Pour poursuivre son engagement, elle n’a pas d’autre choix que celui de la résistance et rejoint la France libre en novembre 1940.
Engagée à Alger
Elle part à Alger début 1941 avec Jacques Abtey, à qui elle offre une couverture : il devient « monsieur Hébert », son secrétaire artistique, et peut ainsi la suivre plus facilement lors de ses déplacements en Europe. L’artiste profite une fois encore de son statut pour passer les frontières sans encombre et faire circuler des informations « sous le manteau » – ou, en l’occurrence, sous ses sous-vêtements ! En effet, lorsqu’elle n’utilise pas des partitions pour transmettre des informations cryptées inscrites à l’encre invisible, Joséphine Baker n’hésite pas à cacher des informations dans son soutien-gorge. « […] mes passages en douane s’effectuent toujours dans la décontraction… explique-t-elle dans ses Mémoires. Les douaniers me font de grands sourires et me réclament effectivement des papiers… mais ce sont des autographes ! »
Joséphine Baker tombe malade en juin 1941 et reste hospitalisée au Maghreb pendant dix-neuf mois. Elle continue néanmoins de soutenir la France libre depuis son lit d’hôpital, où elle reçoit de nombreux militaires et diplomates, notamment américains, qu’elle tente de convaincre d’aider la France – il faudra attendre l’attaque de Pearl Harbor, menée par les Japonais le 7 décembre 1941, pour que les États-Unis prennent part au conflit. Alitée, c’est depuis sa chambre d’hôpital que Joséphine Baker assiste à la bataille de Casablanca en novembre 1942, lorsque les Alliés débarquent en Afrique du Nord.
Une fois remise sur pied, Baker reprend les concerts de soutien aux troupes alliées et entame une tournée pour promouvoir la cause de la France libre. Elle parcourt une grande partie de l’Afrique du Nord, parfois en jeep, en passant notamment par l’Algérie (Casablanca, Oran), le Liban (Beyrouth), l’Egypte (Le Caire) et la Syrie (Damas). L’idée lui vient de déployer sur scène un gigantesque drapeau français orné de la croix de Lorraine, symbole de la France libre et de la Résistance. Sensible à son engagement pour la France, le général de Gaulle lui offre à l’issue d’un concert une petite croix de Lorraine en or. Touchée par le cadeau du général qu’elle admire, Joséphine la revend aussitôt au profit de la Résistance.
Baker prend du galon
Non contente de servir la France en tant qu’espionne, Joséphine Baker s’engage dans les Formations féminines de l’Air comme « élève stagiaire rédactrice » le 23 mai 1944 et est détachée en tant que « sous-lieutenant » auprès de l’état-major général Air qui l’envoie sur les différents théâtres d’opérations comme symbole d’une scène artistique française qui ne s’est jamais compromise avec l’occupant. Elle débarque à Marseille en octobre 1944, deux mois à peine après le débarquement des Alliés en Provence. Missionnée par le général de Lattre de Tassigny, elle suit l’avancée de la Première armée et chante dans les villes françaises libérées. Selon les circonstances, elle troque ses exubérants costumes pour un uniforme militaire. Sa prestation au Studio Washington pour la Radiodiffusion française (RDF), filmée début 1945 par le Service cinématographique de l’armée, dévoile une artiste à la fois radieuse et émue, chantant son plus grand tube : « J’ai deux amours ».
Si Joséphine Baker a temporairement délaissé les strass, les paillettes et les plumes de ses premières apparitions, elle n’a pas perdu pour autant son assurance et son charme ravageurs. Elle livre ici une prestation bouleversante à mi-chemin entre la légèreté burlesque qu’on lui connaît et l’intensité dramatique imposée par cette sombre période. La chanteuse prend un plaisir évident à retrouver le public parisien : elle ne cesse de gesticuler et d’échanger avec les personnes présentes dans l’assistance, qu’elle invite à chanter avec elle.
Son sourire étincelant crève l’écran comme jamais, mais derrière ses airs badins transparaît une grande émotion. Sa gestuelle très expressive (bras tendus vers le ciel, mains jointes comme en prière) rappelle celle des actrices du cinéma muet. « J’ai deux amours », véritable déclaration d’amour à la France et à Paris, se transforme ici en une supplique, un cri du cœur adressé à sa patrie d’adoption, toujours en danger mais bientôt sauvée.
Une reconnaissance tardive
Joséphine Baker a montré comme nulle autre star son attachement à la France pendant la Seconde Guerre mondiale, allant jusqu’à risquer sa vie et mettre en danger sa santé. Malgré la reconnaissance de ses frères d’armes et d’importantes personnalités, comme le général de Gaulle, la France mit du temps avant de témoigner toute sa gratitude à l’artiste qui, si elle reçut la médaille de la Résistance en 1946, dut attendre 1957 pour être nommée Chevalier de la Légion d’honneur.
La reconnaissance tardive de son engagement pendant la guerre ne changea rien à l’amour que portait Joséphine Baker à la France. Pour preuve : la chanteuse apporta une petite modification lourde de signification au refrain de sa célèbre chanson « J’ai deux amours ». Après avoir chanté pendant près de vingt ans que ses deux amours étaient son pays (les États-Unis) et Paris, Joséphine Baker préféra la formule suivante : « mon pays c'est Paris ». Un minuscule détail qui traduit son amour inconditionnel pour la France
Pour aller plus loin
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