Guerre civile russe : l’intervention ratée des Alliés pour contrer les bolcheviks
La prise de pouvoir des bolcheviks en novembre 1917 plonge la Russie dans une guerre civile terrible et déstabilise en profondeur les puissances occidentales qui, en plein conflit mondial, perdent un allié. Redoutant la concentration des forces allemandes sur le front de l’Ouest et craignant que le communisme ne se propage en Europe, les Alliés décident d’intervenir pour soutenir les Russes blancs contre-révolutionnaires.
La Révolution d’Octobre fragilise les Alliés
Dans la nuit du 6 au 7 novembre (26 au 27 octobre dans le calendrier russe), les bolcheviks renversent le gouvernement provisoire, en place depuis le 15 mars à la suite de l’abdication du tsar Nicolas II, et prennent le pouvoir. Passé à la postérité sous le nom de « révolution d’Octobre » bien qu’il s’apparente davantage à un coup d’État qu’à une réelle insurrection populaire, l’épisode marque les prémisses de l’ère soviétique. Les pouvoirs sont transférés aux soviets – conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats – tandis que Lénine met en place la dictature du prolétariat, dont les principaux instruments sont la Tchéka, police politique du régime, et l’Armée rouge.
La révolution d’Octobre n’est pas perçue d’un bon œil par les puissances occidentales alliées de la Russie. Tout d’abord parce qu’elles craignent que l’agitation révolutionnaire ne gagne le reste de l’Europe, particulièrement en cette année 1917 où l’union nationale a commencé à battre de l’aile, la population accusant le coup de trois années d’efforts de guerre. Mais les Alliés ne s’inquiètent pas seulement des conséquences politiques ou idéologiques que fait peser la prise de pouvoir des bolcheviks sur les pays occidentaux, ils craignent avant tout de perdre un allié militaire, Lénine affirmant sans détour sa volonté de mettre fin aux hostilités.
La fin des hostilités sur le front de l’Est rebattrait les cartes du conflit et modifierait profondément les rapports de force. En concluant la paix avec la Russie, les armées ennemies pourraient alors concentrer leurs forces sur le front de l’Ouest. Les Alliés doivent à tout prix empêcher les soldats allemands positionnés en Russie ainsi que les prisonniers de regagner le front occidental, sous peine d’être numériquement inférieurs – les Américains ne sont pas encore prêts pour intervenir – et d’être mis en grande difficulté.
Les puissances occidentales ne savent pas sur quel pied danser face aux bolcheviks. D’un côté elles refusent de reconnaître la légitimité du gouvernement soviétique. De l’autre elles tentent d’orienter la situation politique en dépêchant sur place des envoyés diplomatiques. Clemenceau rappelle en vain aux Russes qu’ils se sont engagés, en signant la Convention de Londres aux côtés de la France et de l’Angleterre le 4 septembre 1914, à ne pas conclure de paix séparée avec l’ennemi. En réalité, la marge de manœuvre des Alliés est très mince, ces derniers ne disposant de presque aucun moyen de pression sur les bolcheviks.
Les Russes vont-ils lâcher leurs alliés ? La question résonne dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères de Paris où se déroule la Conférence des Alliés à la fin du mois de novembre 1917. Bien que la priorité soit ailleurs – il faut créer un état-major naval interallié pour faire face à la guerre sous-marine à outrance menée par l’Allemagne –, le projet d’une possible ingérence dans les affaires russes commence à se dessiner, y compris via une intervention militaire.
De la guerre mondiale à la guerre civile
Foncièrement opposé au conflit international dans lequel se trouve prise la Russie depuis plus de trois ans, Lénine entame des négociations avec les empires centraux pour mettre fin aux hostilités. Un premier armistice est signé le 15 décembre 1917 avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie pour une durée de deux mois. Rapidement, les discussions se retrouvent au point mort, les bolcheviks accusant la partie adverse d’être trop exigeante. Les négociations n’ayant pas réussi à aboutir, le conflit armé reprend le 17 février 1918. L’avancée rapide des troupes austro-hongroises en Ukraine, qui a récemment proclamé son indépendance, et en Russie, devenue la République socialiste fédérative soviétique de Russie le 23 janvier 1918, contraint finalement les bolcheviks à accepter les conditions imposées par les empires centraux.
La signature du traité de Brest-Litovsk, le 3 mars 1918, marque la fin officielle de la Première Guerre mondiale pour les Russes, qui ont payé un lourd tribut tout au long du conflit (plus de 1,8 million de victimes parmi les soldats). Les bolcheviks achètent la paix à prix fort en faisant d’énormes concessions, notamment territoriales. À l’issue du conflit, l’ancien empire russe est amputé de sa partie la plus occidentale composée de l’Ukraine, de la Finlande et des pays baltes. Le pays retrouve ainsi, à peu de choses près, les frontières qui étaient celles de la Grande-principauté de Moscou sous Ivan le Terrible.
En seulement quelques mois, les bolcheviks ont réussi à prendre le pouvoir, à mettre en place les bases d’un État soviétique et à se retirer du conflit mondial. Mais de nombreux obstacles attendent encore les révolutionnaires. Loin de faire l’unanimité dans le pays, les bolcheviks sont contestés par une grande partie de la population. Les dissensions, qui portent notamment sur la poursuite ou non des hostilités avec les empires centraux, débouchent au début de l’année 1918 sur une terrible guerre civile qui durera jusqu’en 1922. Face aux bolcheviks « rouges » se dressent les « Blancs », opposés à la révolution et à l’instauration d’un gouvernement soviétique. À ces deux camps viennent s’ajouter de nombreux autres acteurs formant des groupes plus ou moins unis, dont des formations révolutionnaires non bolcheviques et les « armées vertes » paysannes.
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Une intervention chaotique des Alliés
Malgré la reprise de la guerre de position en mars 1918 après trois années passées enterrées dans les tranchées, les puissances occidentales décident d’intervenir en Russie au printemps 1918. Il aurait été extrêmement hasardeux de se lancer dans une intervention étrangère sans appui local. Mais l’aggravation de la guerre civile offre aux Alliés l’occasion de s’ingérer dans les affaires russes. Craignant que la fièvre communiste se propage en Europe, ils décident d’aider les contre-révolutionnaires blancs à renverser les bolcheviks pour rétablir un gouvernement non communiste. Les puissances occidentales souhaitent également mettre en sûreté le matériel de guerre qu’ils ont livré à la Russie durant la guerre, matériel qui pourrait être utilisé contre leurs intérêts par les communistes. Enfin, cette intervention a pour objectif de secourir le Corps tchécoslovaque de Russie, mise en difficulté par les révolutionnaires.
L’intervention alliée débute au printemps 1918. Les premiers soldats britanniques sont envoyés au nord du pays, à Arkhangelsk, en passant par la Mer Blanche. Une partie des soldats de l’armée d’Orient, qui ont notamment combattu dans les Balkans, les Dardanelles et à Salonique, sont dépêchés pour participer à l’intervention. Ils débarquent dans les ports d’Odessa et de Sébastopol situés sur les rives de la Mer noire. Des troupes américaines et japonaises débarquent également à l’est, à Vladivostok, permettant ainsi aux Alliés de couvrir les différentes parties du territoire russe. Les troupes alliées apportent leur soutien aux contre-révolutionnaires, sans toujours combattre frontalement l’Armée rouge. Elles assurent notamment la protection du Transsibérien et appuient les troupes de l'amiral Koltchak, opposant des bolcheviks qui, aidé par le Corps tchécoslovaque de Russie composée de 4 000 hommes, a proclamé l'indépendance de la Sibérie.
L’intervention s’avère être un fiasco. L’insuffisance d’hommes compte tenu de l’immensité du territoire russe, le manque de matériel et la mauvaise coordination entre les Russes blancs et les Alliés, ainsi qu’entre les Alliés eux-mêmes, nuit à l’efficacité des manœuvres. Les soldats français sont fatigués et démoralisés pour la plupart. Ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent continuer à se battre tandis que leurs camarades du front occidental sont rentrés chez eux. Beaucoup ne se sentent pas concernés par cette guerre, dont la plupart des enjeux leur échappent complètement.
Un sentiment de solidarité vis-à-vis des bolcheviks naît même chez certains soldats français. Quelques mutineries éclatent au sein de l’armée française entre le printemps et l’été 1919, notamment en Crimée. Plusieurs bâtiments sont touchés, dont le cuirassé France. Le drapeau rouge est même hissé sur le Jean-Bart et le Vergniaud. Relativement circonscrites et contenues, ces mutineries sont réprimées et les mutins condamnés.
Face à l’avancée de l’armée rouge, les soldats français entament leur retrait de Russie à partir d’avril 1919. Si les Alliés ont réussi à ralentir la progression des bolcheviks, ils n’ont pas permis aux Russes blancs de reprendre la situation en main.
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