Guerre de Bosnie : la fin du rêve yougoslave
Le démantèlement de la Yougoslavie au début des années 1990 plonge les Balkans dans une guerre sanglante. Véritable mosaïque ethnique où cohabitent des communautés serbes, croates et bosniaques, la Bosnie-Herzégovine devient l’épicentre d’un conflit au cours duquel les populations civiles sont lourdement éprouvées, entraînant l’intervention des Nations Unies.
La Yougoslavie, une mosaïque ethnique au bord de l’éclatement
De l’Empire ottoman à la Yougoslavie, en passant par l’Empire austro-hongrois, la Bosnie-Herzégovine n’a cessé d’être accaparée par ses voisins durant son histoire moderne. À la chute de l’empire des Habsbourg, conséquence de la Première Guerre mondiale, la Bosnie-Herzégovine est intégrée au royaume des Serbes, Croates et Slovènes, créé le 1er décembre 1918. Le nouvel État panslave se compose de six entités : les royaumes de Serbie et du Monténégro, la Croatie, la Slovénie, la Voïvodine et la Bosnie-Herzégovine. En 1929, le royaume prend le nom de Yougoslavie, qui signifie « pays des Slaves du Sud ».
Malgré des tensions parfois vives – le roi Alexandre 1er est assassiné en 1934 par des indépendantistes croates –, le royaume parvient à maintenir son unité, misant notamment sur un héritage culturel commun parfois fantasmé. L’équilibre est subitement rompu en 1941 lorsque Hitler envahit le pays. Tandis que des sécessionnistes croates fondent un État indépendant proche des nazis allemands et des fascistes italiens, la résistance s’organise, particulièrement chez les Tchetniks, militants serbes qui souhaitent instaurer une Grande Serbie, ainsi que chez les partisans communistes menés par Tito. À l’issue de la guerre, ce dernier prend le pouvoir, qu’il gardera jusqu’à sa mort en 1980, et proclame la République fédérative socialiste de Yougoslavie le 29 novembre 1945.
Étouffées mais pas éteintes par les trente-cinq années passées par Tito au pouvoir, les revendications communautaires resurgissent dans les années 1980, dans une société marquée par l’instabilité économique et la montée des nationalismes. L’onde de choc provoquée par la chute du mur de Berlin en novembre 1989 vient déstabiliser encore davantage une Yougoslavie déjà très fragilisée par les velléités sécessionnistes de différentes communautés, notamment croate et serbe. L’inévitable divorce surgit le 25 juin 1991, date à laquelle la Slovénie et la Croatie déclarent leur indépendance vis-à-vis de la Yougoslavie, qui répond militairement.
Si la guerre ne dure que quelques jours en Slovénie (« guerre des dix jours »), la Croatie, pays multiethnique, s’enlise dans un long conflit qui prend parfois des allures de guerre civile. Soutenus par le président de la République de Serbie Slobodan Milošević, , partisan d’une Serbie forte et unie, les Serbes de Croatie refusent de quitter la fédération et prennent les armes. Le conflit est pour l’instant circonscrit au seul territoire croate, mais la communauté internationale s’inquiète : la guerre va-t-elle gagner le reste de la Yougoslavie ?
La FORPRONU, pare-feu international dans la poudrière des Balkans
Voyant la situation yougoslave se dégrader, la communauté internationale décide d’agir avant que la poudrière des Balkans ne s’embrase entièrement. Le 21 février 1992, soit quelques jours avant la tenue en Bosnie d’un référendum sur l’autonomie du pays, le Conseil de sécurité des Nations Unies vote la résolution 743 instituant la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU). Celle-ci est chargée d’assurer le maintien de la paix en Croatie en attendant qu’une issue soit trouvée à la crise yougoslave.
La Bosnie-Herzégovine emboîte le pas à ses voisins slovène et croate en proclamant à son tour son autodétermination en octobre 1991. Celle-ci est approuvée par la population à 99,7% lors d’un référendum organisé le 29 février 1992. Mais derrière ce plébiscite au résultat a priori indiscutable se cache une réalité bien plus complexe puisque les Serbes de Bosnie, qui représentent près d’un tiers de la population, ont décidé de boycotter le scrutin. Qu’ils soient partisans d’une « Grande Serbie » ou tout simplement inquiets pour leur avenir, les Serbes bosniaques, tout comme les Serbes de Croatie, ne veulent pas quitter la fédération yougoslave. L'indépendance de la Bosnie est officiellement proclamée le 6 avril 1992. Pour la Yougoslavie et les Serbes de Bosnie, la guerre est déclarée.
L’armée yougoslave et les forces serbes interviennent immédiatement pour mater la rébellion et reprendre le contrôle du pays. Face à l’escalade, le mandat de la FORPRONU, initialement restreint à la Croatie, est élargi à la Bosnie à partir de juin 1992. Les Casques bleus français sont aussitôt déployés à Sarajevo, assiégée et bombardée par les forces armées serbes, avec pour missions principales d’assurer la sécurité de l’aéroport et de garantir la circulation des convois d’aide humanitaire qui sont nombreux à arriver par le mont Igman, à l’ouest du pays.
Un déluge de violence inédit en Europe depuis 1945
Les Casques bleus envoyés en Bosnie sont confrontés à un déluge de violence sans précédent sur le continent européen depuis la Seconde Guerre mondiale. Bombardements, viols, massacres, « nettoyages ethniques »… L’horreur que vivent les populations civiles fait régulièrement la « une » des journaux occidentaux. Traverser la rue devient un acte de bravoure, voire de témérité. C’est le cas notamment dans la principale artère de Sarajevo, renommée depuis « Sniper Avenue », investie par les tireurs isolés qui, postés sur le toit des immeubles, prennent pour cible tous ceux qui passent par là. Selon les estimations, plus d’un millier de personnes auraient été blessées ou tuées par les snipers de Sarajevo.
Régulièrement pris pour cible par les forces armées belligérantes et les milices engagées dans le conflit, les soldats de l’ONU doivent toujours être sur leurs gardes. Certains soldats locaux ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins, versant tantôt dans l’horreur, tantôt dans le grotesque. Déguisés en Casques bleus, des soldats serbes parviennent à s’emparer d’un poste basé sur le pont de Vrbanja à Sarajevo dans la nuit du 27 mai 1995 et capturent onze soldats français. Leurs frères d’armes paient un lourd tribut pour reprendre le pont et les libérer, deux hommes trouvant la mort pendant l’opération et dix-sept autres étant blessés.
Engagés dans une mission de maintien de la paix, les Casques bleus sont constamment confrontés à leur impuissance, limités dans leur action tant par leur manque d’effectif que par leurs prérogatives légales définies par l’ONU. Pour renforcer la protection des populations civiles, le Conseil de sécurité des Nations Unies décide en mai 1993 la création de six zones de sécurité à Sarajevo et dans cinq villes de Bosnie. Mais la mise en place de ces zones n’empêche pas les drames de se produire, comme à Srebrenica, où plusieurs milliers de civils bosniaques musulmans sont massacrés en juillet 1995 devant des Casques bleus impuissants. Mettant en application les menaces qui accompagnaient son second ultimatum, l’OTAN procède à des frappes aériennes en mai 1995. En guise de représailles, les Serbes bombardent les zones de sécurité définies par l’ONU et prennent en otage des Casques bleus dont ils se servent comme boucliers humains.
Le retour de la paix… mais pour combien de temps ?
Affaiblies par les bombardements que fait pleuvoir l’OTAN du 30 août au 20 septembre 1995 au cours de l'opération Deliberate Force, les autorités bosno-serbes acceptent d’éloigner leurs armes lourdes de Sarajevo. L’heure des négociations a sonné. Elles débutent le 1er novembre à Dayton dans l’Ohio en présence des présidents serbe, croate et bosniaque, et débouchent le 21 novembre 1995 sur les conditions d’un accord de cessez-le-feu. Les « accords de paix de Dayton » sont officiellement signés à Paris quelques semaines plus tard, le 14 décembre 1995, par Slobodan Milošević (Serbie), Franjo Tuđman (Croatie) et Alija Izetbegović (Bosnie).
Les accords prévoient la partition du territoire bosnien en deux entités quasi égales du point de vue territorial : la Fédération de Bosnie-Herzégovine, également appelée Fédération croato-musulmane en raison du nombre important de Croates et de Bosniaques (majoritairement musulmans) qui y vivent, et la République serbe de Bosnie (Republika Srpska). Le traité prévoit également l’instauration d’un système de gouvernance tripartite au sein duquel sont représentées les trois communautés du territoire (Serbes, Croates et Bosniaques).
Pour s’assurer que les accords de Dayton seront bien appliqués, le conseil de mise en œuvre nomme un haut représentant de la communauté internationale qui a la possibilité d’imposer des lois et de congédier certains élus locaux. La mission de la FORPRONU, à laquelle participèrent jusqu’à près de 40 000 hommes, touche à sa fin. Une nouvelle force de paix multinationale est déployée pour prendre son relais, l’Implementation Force (IFOR), qui sera à son tour remplacée par la Force de stabilisation (SFOR) à la fin de l’année 1996.
Malgré l’application des accords de Dayton et le maintien de forces opérationnelles sur place, la situation reste sous tension dans l’ex-Yougoslavie. L’aube du vingt-et-unième siècle est marquée par de nouveaux affrontements et conflits, parmi lesquels la guerre du Kosovo (1998-1999), le conflit de la vallée de Preševo (1999-2001) et l’insurrection albanaise en Macédoine (2001). La disparition de la République fédérale de Yougoslavie en 2003 fait quant à elle place à une éphémère Communauté d'États de Serbie-et-Monténégro, qui éclate en 2006 lors de l'indépendance du Monténégro. Près de trente ans après la fin de la guerre de Bosnie, l’équilibre de la région est toujours menacé par les revendications des indépendantistes, au premier rang desquels le président serbe Milorad Dodik, qui menaçait fin 2021 de reconstituer l’armée des Serbes de Bosnie et de faire sécession.
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