De Lattre, « le roi Jean »
Surnommé « le roi Jean », le maréchal de Lattre de Tassigny s’est illustré dans les principaux conflits de la première moitié du XXe siècle. Entièrement dévoué au service de son pays, osant désobéir lorsque la situation l’exigeait, il a marqué l’armée française par son courage et son génie tactique. Victoires militaires, complot politique, évasion… ImagesDéfense vous propose de revivre son parcours exceptionnel.
Des tranchées de Verdun aux montagnes marocaines
Reçu à Saint-Cyr en 1908, Jean de Lattre de Tassigny commence sa carrière militaire en 1912 en tant que sous-lieutenant dans le 12e régiment de dragons. C’est au sein de cette unité à cheval, qu’il fait ses premières preuves au début de la Grande Guerre. Il est blessé à deux reprises en quelques semaines seulement : une première fois au genou, légèrement, par un éclat d’obus ; puis à la poitrine, plus gravement, par la lance d’un uhlan bavarois, blessure qui le contraint à se cacher dans une cave à Pont-à-Mousson en attendant d’être secouru par une patrouille française.
Il se porte volontaire en 1915 pour rejoindre l’infanterie, qui a subi de lourdes pertes durant les premiers mois du conflit. Il combat plusieurs mois à Verdun, puis sur le Chemin des Dames, où il est à nouveau blessé à trois reprises. Georges Clemenceau, originaire du même village vendéen que lui, déclare avec clairvoyance lorsqu’il le rencontre : « Regardez-le bien, celui-là, et souvenez-vous de lui. Il ira loin, très loin. » Jean de Lattre termine la guerre avec huit citations militaires ainsi que la Légion d’honneur et la Military Cross, haute distinction britannique.
D’abord affecté à Bordeaux puis à Bayonne à l’issue de la Grande Guerre, le jeune Jean, avide d’aventure, part servir au Maroc dès 1922, où les puissances coloniales espagnole et française sont menacées par les velléités indépendantistes de rebelles marocains. Nommé chef d'état-major de la région de Taza en 1925, il se distingue une fois encore sur le champ de bataille lors du soulèvement mené par Mohamed ben Abdelkrim al-Khattabi – fondateur de la République du Rif, plus connu sous le nom d’Abd el-Krim – et reçoit trois nouvelles citations.
Les liaisons dangereuses des années 1930
Ambitieux, Jean de Lattre entre à l’École de guerre en 1927 ; il en sortira major de promotion. Il rejoint l'état-major de l'armée en 1931 auprès du général Maxime Weygand, vice-président du Conseil supérieur de la Guerre et Inspecteur général de l’armée. Il devient alors le témoin privilégié des relations diplomatiques européennes, qui ne cessent de se dégrader, et rédige de nombreuses notes sur la situation politique internationale et la nécessaire réorganisation de l’armée française. Lucide, intuitif et observateur, il prend conscience de la menace que représentent les puissances allemande, alors en plein réarmement, et italienne. Dès 1934, il anticipe même la possibilité d’une attaque allemande de la France par la Belgique…
Tout semble sourire à Jean de Lattre. Mais ses nombreuses relations, de tous bords politiques, manquent de compromettre sa carrière militaire. Le 6 février 1934, une manifestation antiparlementaire dégénère aux abords de l’Assemblée nationale, faisant au moins une quinzaine de morts et deux mille blessés. Suspecté d’avoir joué un rôle dans cet événement que certains qualifient de « complot contre la République », Jean de Lattre est convoqué devant une commission d’enquête parlementaire. Malgré l’animosité de plusieurs élus – les députés de droite lui reprochent ses relations avec les milieux radicaux, ceux de gauche l’accusent d’être lié au milieu monarchiste –, le lieutenant-colonel est blanchi.
Si l’affaire est considérée comme close, le maréchal Pétain, alors ministre de la Guerre, ne l’entend pas de cette oreille et demande au général Weygand de le limoger. Convaincu que Jean de Lattre « a été victime d'une campagne de presse », Weygand refuse de se séparer de cette recrue très prometteuse. « S'il a été imprudent en se plaisant à des liaisons dangereuses, il vient de recevoir une bien sévère leçon qui portera ses fruits. Je la crois suffisante et j'ai l'intention de conserver cet officier auprès de moi. » La suite de l’histoire lui donnera raison puisque Jean de Lattre devient en 1939 le plus jeune général de France, à seulement 51 ans.
De Vichy à la France libre
Chef d'état-major de la Ve armée lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, Jean de Lattre se voit confier le commandement de la 14e division d'infanterie (14e DI) en janvier 1940. Celle-ci s’illustrera quelques mois plus tard, en mai et juin, en repoussant l’armée allemande à trois reprises à Rethel, puis en retardant l’avancée ennemie au niveau de la Marne et de la Loire. Contrairement au général de Gaulle qui s’exile à Londres pour continuer le combat, Jean de Lattre reconnaît l’armistice signé par le maréchal Pétain et reste dans l’armée française, désormais placée sous le commandement du gouvernement de Vichy.
S’il accepte de déposer les armes, Jean de Lattre n’abandonne pas pour autant sa patrie à son triste sort. Voulant préparer l’avenir militaire de la France, mis à mal par l’« étrange défaite » infligée par l’Allemagne, il s’investit dans la formation des cadres de l’armée en France et en Tunisie. Pour certains, son activité ne laisse aucun doute : Jean de Lattre est un « sympathisant gaulliste ». Son école de cadres est parfois qualifiée de « pépinière de gaullistes triés sur le volet » ayant pour but de préparer « une véritable élite militaire, destinée à prêter main-forte à un corps de débarquement anglais ou gaulliste ». Jean de Lattre regrette-t-il de n’avoir pas suivi de Gaulle en juin 1940 ? En tout cas, il ne laissera pas passer la prochaine occasion.
Le 11 novembre 1942, en réponse au débarquement allié en Afrique du Nord, les Allemands franchissent la ligne de démarcation de la France occupée et pénètrent en zone libre. Jean de Lattre refuse de se soumettre et ordonne à ses troupes de résister à cette nouvelle agression. « Ce que j’ai fait ne relève point de la dissidence, à laquelle je n’ai jamais songé : mon acte n’a été inspiré que par l’amour de la France et de l’armée », explique-t-il dans une lettre adressée à Pétain. Arrêté et jugé, il est condamné à dix années de prison « pour abandon de poste et tentative de trahison ». Avec l’aide de son épouse et de son fils, il parvient à s’évader de prison en septembre 1943 et rejoint Londres puis Alger pour continuer le combat en France libre.
L’épopée de la Libération
Une fois en Algérie, Jean de Lattre se voit confier par le général de Gaulle le commandement de l’armée B, future 1re armée, qui doit participer à libérer le territoire français. L’armée B remporte une première victoire sur l’Île d’Elbe en juin 1944 avant de participer en août au débarquement allié en Provence. Les villes de Toulon et de Marseille sont libérées les 27 et 28 août, avec une grande avance sur le planning établi par les Alliés. L’armée B poursuit sa lancée, remonte la vallée du Rhône et libère successivement Lyon, Chalon-sur-Saône, Mâcon, Autun et Dijon, non sans difficulté parfois.
Après l'amalgame des troupes d'Afrique du Nord avec celles des Forces françaises de l’intérieur, l’armée B devient la Première armée. Belfort, Mulhouse, Strasbourg, Colmar… Le territoire national est progressivement libéré. L’armée commandée par Jean de Lattre est la première à atteindre le Rhin, le 19 novembre 1944. Elle le franchit à la fin du mois de mars 1945, certaines unités poursuivant même jusqu’au Danube.
À bout de force et sans chef – Hitler se suicide le 30 avril 1945 –, l’Allemagne capitule le 7 mai. Jean de Lattre est choisi par de Gaulle pour représenter la France lors de la signature de l’acte solennel de capitulation, prévue le lendemain à Berlin. Lorsqu’il découvre que la France n’est convoquée qu’en simple spectatrice, Jean de Lattre use de sa diplomatie pour qu’elle signe l’acte de capitulation, tout comme ses alliés. Il demande également que soit accroché dans la salle le drapeau français, à côté des drapeaux américain, britannique et soviétique. Il obtient gain de cause et participe donc à la signature aux côtés du général américain Spaatz, du maréchal britannique Tedder et du maréchal soviétique Joukov. C’est une grande victoire et un honneur pour le général français, qui avait été condamné deux ans plus tôt pour avoir voulu défendre son pays.
L’Indochine, l’ultime aventure
Héros de la Libération, Jean de Lattre poursuit sa carrière en tant qu’inspecteur général et chef d'état-major général de l'armée de Terre après 1945. Il devient en 1948 le premier commandant supérieur, aux côtés du maréchal britannique Montgomery, des Forces terrestres de l'Europe occidentale, union défensive conclue par la France, le Royaume-Uni et le Benelux. Face à l’aggravation de la situation indochinoise, où les troupes françaises luttent contre le Vietminh, Jean de Lattre est nommé en décembre 1950 haut-commissaire en Indochine et commandant en chef en Extrême-Orient.
Surnommé « le roi Jean » par ses hommes, le général tente de renverser le cours de la guerre. Les Français remportent d’importantes victoires sous son commandement, notamment à Vinh-Yen (janvier 1951) et Mao-Khê (mars 1951). Mais ces batailles ne suffisent pas à redresser la situation, qui penche de plus en plus en faveur des indépendantistes vietminh. Un événement tragique vient porter un coup terrible au moral du général de Lattre : Bernard, son fils unique, engagé en Indochine, trouve la mort à la bataille de Ninh Binh le 30 mai 1951. Son père ne s’en remettra pas.
Atteint par un cancer de la hanche, Jean de Lattre décède à Neuilly-sur-Seine le 11 janvier 1952. Il est élevé au rang de maréchal de France le jour de ses funérailles. Charles de Gaulle, Dwight David Eisenhower et Bernard Montgomery ont fait le déplacement pour rendre un dernier hommage à l’un des principaux artisans de la Libération. Celui dont la devise était « Ne pas subir » aura été, jusqu’à la fin, maître de son destin.
Pour aller plus loin
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