27 novembre 1942 : la flotte française se saborde à Toulon
En réponse au débarquement allié en Afrique du Nord, l’Allemagne envahit la zone libre le 11 novembre 1942. Deux semaines plus tard, la Marine française sabote sa flotte à Toulon pour empêcher l’ennemi de s’en emparer. Plus de 200 000 tonnes de bâtiments sont incendiées et coulées en quelques minutes seulement.
Toulon, port de la zone libre
22 juin 1940. À la demande de la France, submergée en quelques semaines par l’offensive de l’armée allemande, les délégations française et allemande signent l’armistice dans la clairière de Rethondes, là où avait été signée l'armistice en 1918. Défaite, la France se retrouve coupée en deux. L’Allemagne occupe le nord et l’ouest du pays, ce qui lui donne accès à l’océan Atlantique et à la Manche. Non soumis à l’occupation, le sud-est français devient la « zone libre », hormis une petite bande de terre occupée par l’Italie à la frontière.
L’armistice prévoit que les troupes françaises soient désarmées, à l’exception de celles qui sont chargées de maintenir l’ordre. La France est autorisée à conserver sa flotte mais s’engage à rester neutre. En échange, l’Allemagne assure qu’elle ne fera pas usage des navires français. Mais l’état-major préfère rester sur ses gardes. L’amiral Darlan, chef d’état-major de la Marine, demande une extrême fermeté : en cas de nécessité, la flotte française sera sabordée plutôt que d’être abandonnée intacte à l’ennemi.
Construit au XVe siècle, sous le règne de Henry IV, puis renforcé sous Louis XIV avec l’aide de Vauban, l’arsenal de Toulon devient dès lors un véritable camp retranché pour la Marine française. Il accueille le quart de la flotte nationale, soit trente-huit bâtiments de combat, ainsi que cent-trente-cinq navires. Placés sous l’autorité du régime de Vichy, qui gouverne désormais le pays, les marins respectent l’accord signé et se contentent de protéger le pays d’éventuelles attaques, notamment de la part de la Grande-Bretagne, toujours en guerre contre l’Allemagne.
Du débarquement en Afrique du Nord à l’invasion de la zone libre
La zone libre conserve ses prérogatives jusqu’au 8 novembre 1942, date à laquelle les Alliés lancent l’opération Torch. Les États-Unis et la Grande-Bretagne débarquent en Afrique du Nord pour ouvrir un nouveau front, mettre en difficulté l’ennemi et soutenir la résistance armée des Français opposés au régime de Vichy. Appuyés par les partisans du général de Gaulle, les soldats prennent rapidement le contrôle de l’Algérie et du Maroc, d’où seront organisées de nouvelles opérations destinées à libérer l’Europe.
En guise de représailles, l’Allemagne et son allié italien décident d’envahir la zone libre pour occuper la totalité du territoire français. L’opération Anton est lancée le 11 novembre 1942, date anniversaire de la victoire des Alliés en 1918. La zone libre perd sa liberté et devient la zone sud. Les Italiens, qui occupaient déjà la frontière, avancent jusqu’à l’est du Rhône et envahissent la Corse. L’Allemagne occupe quant à elle tout le reste de la zone sud.
Cette invasion bouleverse le fragile équilibre politique qu’avait instauré sur le territoire français le gouvernement de Vichy. Ce dernier perd le semblant d’autonomie dont il jouissait depuis juillet 1940 et passe sous la supervision des Allemands. Malgré l’occupation de la partie sud du pays par l’ennemi, la ligne de démarcation entre les deux zones est maintenue. Les Français devront attendre le 1er mars 1943 pour pouvoir circuler d’une zone à l’autre sans laissez-passer.
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235 000 tonnes sabordées
Les Allemands progressent rapidement vers le sud, atteignant la côte méditerranéenne dans la soirée du 11 novembre. Certains responsables militaires, à l’instar de Jean de Lattre, refusent de se soumettre et ordonnent à leurs troupes de résister à cette nouvelle agression. Mais le mouvement n’est pas suffisamment suivi pour faire face à l’ennemi.
Le 27 novembre, les Allemands lancent l’opération Lilas avec l’objectif de prendre le contrôle de la flotte française à Toulon. Ils pénètrent dans le Fort Lamalgue vers 4h30 et arrêtent le préfet maritime, l'amiral Marquis. Également présent dans le fort, le contre-amiral Robin donne l’alerte au major général de l'arsenal et transmet l’ordre de sabordage, appliquant la consigne donnée par l’amiral Darlan deux ans auparavant. Peu avant 5h30, le navire amiral Strasbourg, diffuse l’ordre général aux différents vaisseaux de la flotte. L’ordre d’évacuation est donné à tous les marins, à l’exception des équipes désignées pour réaliser le sabordage.
La course contre la montre débute. Tandis que les équipages s’activent, les Allemands pénètrent dans l’arsenal. Ils perdront un temps précieux à tenter de se repérer. Chargé de détruire une grande partie de la flotte, le Strasbourg ouvre le feu. C’est un déluge qui s’abat sur les bâtiments français en quelques minutes. La population croit à un bombardement tant les détonations sont nombreuses et puissantes. Les flammes qui s’échappent des croiseurs Algérie, Colbert et Marseillaise viendront lécher le ciel toulonnais durant plusieurs jours.
Bravant l’ordre de sabordage, cinq sous-marins parviennent à sortir du port militaire et à échapper à la destruction. Trois d’entre eux rallient l’Algérie pour continuer le combat aux côtés de la France libre. Le quatrième se réfugie en Espagne en raison d’un problème de carburant tandis que le cinquième se saborde en mer. L'amiral de Laborde refuse de quitter le Strasbourg mais finit par céder, appliquant l’ordre du maréchal Pétain.
Le bilan est impressionnant : 90% de la flotte française de Toulon a été sabordée, dont l’ensemble des grands bâtiments de surface. Pas moins de douze sous-marins, trois cuirassés, sept croiseurs, quinze contre-torpilleurs, six avisos, neuf patrouilleurs et dragueurs, dix-neuf bâtiments de servitude, un bâtiment-école, vingt-huit remorqueurs et quatre docks de levage ont été incendiés, renversés ou coulés, soit 235 000 tonnes.
L’opération est un échec pour les Allemands qui n’ont réussi à mettre la main que sur trente-neuf bâtiments, sans grand intérêt pour la plupart car désarmés ou endommagés. En sacrifiant sa flotte, l’une des plus puissantes au monde, la France a empêché de renforcer l'armée allemande. Mais le sabordage ne suffit pas à sauver l'honneur français, entaché par le manque de résistance des soldats face à l'ennemi.
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