L'école dans la Grande Guerre
Lieu de propagande, de mobilisation et de mémoire, l’école joue un rôle déterminant durant la Grande Guerre. Guidés par des instituteurs dévoués, les enfants y apprennent à aimer la patrie tout en participant à l’effort de guerre.
Les professeurs s’en vont en guerre
À la fin du mois de septembre 1914, après plusieurs semaines de congés estivaux, que beaucoup ont passé à travailler dans les champs avec leur famille, les enfants retrouvent le chemin de l’école. Ils reprennent leurs marques dans cet univers familier caractérisé par le tintement de la cloche, l’odeur de la craie et la camaraderie. Pourtant, cette rentrée est bien différente des précédentes à bien des égards. Tandis que la guerre des boutons reprend dans les cours de récréation, une autre guerre, bien moins infantile celle-ci, se joue au nord et à l’est de la France.
Depuis le mois d’août 1914, les enfants ont vu de nombreux hommes partir pour le front, quittant ainsi leur famille, leur village ou leur quartier. Mobilisés comme tant d’autres hommes, de nombreux instituteurs ont dû quitter leur pupitre et leur estrade pour défendre la patrie, troquant leur blouse pour un uniforme. Les écoles doivent trouver des remplaçants, les institutrices n’étant pas assez nombreuses pour faire classe à tous les élèves.
Le conflit nécessite la mobilisation de l’ensemble des enseignants, sur le front comme à l’arrière. « Les instituteurs qui ne sont pas appelés sous les drapeaux n’hésiteront pas à faire au pays le sacrifice de leurs vacances : ils resteront à leur poste jusqu’à la fin de la crise » déclare Victor Augagneur, ministre de l’Instruction publique, dans un message le 2 août 1914. Face à l’ampleur de la situation, les instituteurs sont appelés à assumer des responsabilités qui dépassent leurs prérogatives habituelles. En ces temps troublés, ils ne doivent plus seulement enseigner les rudiments de la langue française, du calcul et de l’histoire ; ils doivent servir de boussole aux enfants ainsi qu’à leur famille, prodiguant conseils et mots réconfortants.
Le rôle des instituteurs est précisé lors de la conférence pédagogique du 25 novembre 1915 de Carcassonne, alors que la guerre de mouvement a cédé la place à une guerre de positions depuis déjà plusieurs mois. En plus de donner les traditionnelles leçons aux enfants, les enseignants doivent leur expliquer la guerre et susciter en eux un sentiment de patriotisme. Ils doivent également jouer un rôle pédagogique auprès des familles, en leur donnant par exemple des cours ou bien encore en les incitant à souscrire aux emprunts nationaux. Enfin, il leur est demandé de documenter le conflit, en consignant par exemple les événements dans un carnet, pour la postérité.
Les élèves au cœur de la propagande
Pendant que les hommes mobilisés au front se battent, les instituteurs doivent entretenir le moral des plus jeunes à l’arrière. C’est à eux qu’incombe la lourde responsabilité de transmettre aux enfants l’amour de la patrie. Albert Sarraut, ministre de l’Instruction publique à partir de septembre 1914, exprime son souhait dans la circulaire qu’il publie à la fin des vacances d’été : « Je désire que le jour de la rentrée, dans chaque classe, la première parole du maître aux élèves hausse le cœur vers la patrie, et que sa première leçon honore la lutte sacrée où nos armées sont engagées. »
Du français aux mathématiques en passant par l’histoire et la géographie, toutes les leçons sont adaptées au contexte de la guerre afin que les élèves puissent comprendre les enjeux de la situation. L’instituteur a également pour mission d’orienter la vision qu’ont ses élèves de la guerre et leur inculquer le sens du sacrifice. Bien que la place occupée par la guerre dans les programmes diminue sensiblement à partir de 1916 – reflet d’une certaine fatigue au sein de la population –, les enfants seront abreuvés de ces leçons de patriotisme jusqu’à la victoire.
La propagande mise en place à l’école a un double objectif : former des citoyens qui soient prêts à prendre part à l’effort de guerre et utiliser les enfants comme un relais auprès de leur famille. Les différents emprunts nationaux sont largement évoqués en classe à travers divers exercices. De nombreux élèves apprennent par cœur « l’Appel aux Français », discours prononcé à la chambre des députés par le ministre des Finances Alexandre Ribot. Malgré eux, les enfants deviennent les agents de la propagande nationale en partageant avec leur famille ce qu’ils ont appris en classe. Grâce à ses chères têtes blondes, le gouvernement peut ainsi s’introduire dans des milliers de foyers et trouver écho auprès de nombreux citoyens.
Trop jeunes pour participer aux combats, les enfants contribuent à l’effort national en s’investissant dans différentes œuvres et en organisant de nombreuses quêtes au profit des soldats. Ils bénéficient du concours des écoliers et des associations qui leur tricotent des vêtements chauds pour l’hiver, fabriquent des sacs à terre pour les protéger dans les tranchées et leur envoie des colis pour Noël. À partir de 1917, le service de la main-d’œuvre scolaire du ministère de l’Agriculture lance une nouvelle initiative : le ramassage des marrons d’Inde et des châtaignes. Les produits récoltés doivent servir aux Services des Poudres et de l’Aéronautique afin de produire de l’alcool et de l’acétone en grande quantité – « 10 kg de marrons équivalent à un coup de canon de 75 » promeut le ministère.
Loin de se limiter à récolter de l’argent pour les soldats et à leur confectionner des chaussettes, des gants et des bonnets, les élèves participent également à entretenir leur moral en correspondant avec eux. Les écoliers sont nombreux à apporter un peu de chaleur et de réconfort aux soldats qu’ils parrainent. Ces échanges épistolaires peuvent déboucher sur de belles relations – il n’est pas rare que les soldats, lorsqu’ils sont en permission, viennent rendre visite aux enfants qui les parrainent dans leur l’école. Il arrive que la correspondance soit brutalement interrompue par le décès du soldat, les enfants se retrouvant ainsi confrontés de manière frontale au drame de la guerre.
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Des soldats en culotte courte
Si le rôle du ministère de l’Instruction publique est si important en temps de guerre, c’est aussi parce que les élèves d’aujourd’hui sont les soldats de demain – les garçons du moins. « Si l’écolier ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son fusil, l’instituteur aura perdu son temps » écrivait Ernest Lavisse, célèbre historien et promoteur du « roman national », dans le dernier quart du XIXe siècle. Portée par un idéal d’émancipation, l’école républicaine s’est également donnée pour mission la préparation des esprits et des corps à la guerre. Censée entraîner les jeunes hommes au combat, la gymnastique est inscrite au programme à partir de 1882. C’est cette même année que sont créés les bataillons scolaires dans le primaire et le secondaire, toujours dans l’optique de former de futurs soldats. Bien que l’expérience fut de courte durée – les bataillons scolaires disparaitront progressivement dans les années 1890 –, elle laissera des traces dans l’enseignement, où l’entraînement au tir garde sa place au début du XXe siècle.
Certains jeunes sont tellement habités par le patriotisme inculqué par l’école qu’ils veulent servir leur pays par tous les moyens possibles. Plusieurs milliers d’enfants auraient tenté d’être incorporés dans l’armée française malgré leur jeune âge entre 1914 et 1918. Quelques-uns ont réussi et sont même devenus célèbres. C’est le cas de Corentin Jean Carré, jeune breton qui, en mentant sur son âge, a rejoint le front à seulement quinze ans. « Le plus jeune poilu de France », comme le nomment les journaux à l’époque, trouve la mort en 1918 lorsque son avion est abattu par l’ennemi. D’autres soldats connaissent le même sort, tel Georges Guynemer, incorporé dans l’armée un mois avant l’âge légal, et que le général Pétain qualifie d’« enfant héroïque ».
Même lorsqu’ils ne sont pas en âge de combattre, les enfants sont mobilisés pour la propagande. Le conflit voit se développer une iconographie guerrière où les enfants remplacent les adultes. Ce type de mises en scène est notamment utilisé dans la série Graine de poilu. On y voit des garçons habillés en uniforme de soldat et participant à la reconstitution de scènes d’attaque ou d’exécution, tandis que les filles revêtent l’uniforme des infirmières ou la robe drapée de Marianne, allégorie de la République française. À la fois attendrissantes et effrayantes, ces images sont le support des correspondances de millions de Français durant le conflit.
Vivre au rythme de la guerre
Bien qu’ils soient moins exposés que les soldats au front, les écoliers ne sont pas épargnés par la guerre pour autant. Les élèves vivant dans des zones de conflit sont bien souvent obligés de fuir leur village pour échapper au déluge de feu qui saccage les environs. De nombreux enfants habitant dans des territoires occupés par les Allemands se réfugient également loin de l’ennemi. C’est ainsi que des milliers de jeunes venant du nord de la France et de la Belgique sont accueillis dans les régions françaises épargnées par les combats. Pour faciliter leur assimilation, chacun d’entre-eux se voit attribuer un petit frère ou une petite-sœur qui l’aide dans ses devoirs et l’héberge dans sa famille. De nouvelles structures sont également créées pour accueillir les enfants originaires d'Allemagne et des territoires de l'Empire Austro-Hongrois dont les familles ont été regroupées dans des centres de détention sur le territoire français.
Les écoles doivent elles aussi s’adapter à cette situation inédite. De nombreux établissements sont réquisitionnés par l’armée pour le cantonnement des troupes et l’installation d’hôpitaux militaires. Bien souvent inadaptés aux besoins de l’armée, une grande partie d'entre-eux est restituée aux maîtres d’école à partir de 1915. Les écoles du nord et de l'est de la France, quand elles ne sont pas réquisitionnées, subissent souvent les effets de la guerre. Certaines sont entièrement détruites par l'artillerie et les bombardements, comme à Hersin-Coupigny ou à Soissons. Il faut trouver des lieux de substitution pour que la classe continue d’être dispensée. Les cours sont généralement délocalisés dans des bâtiments municipaux tels que la marie, parfois dans des bâtiments de la paroisse. Les écoles sont également réquisitonnées par l'ennemi en territoire occupée, comme à Bapaume, dans le Pas-de-Calais, où la cour de l’école est transformée en un camp de prisonniers anglais.
Si l’Instruction publique doit céder certains de ses bâtiments à l’armée, c’est grâce à cette dernière qu’elle en obtient de nouveaux. À mesure que sont reconquis les territoires perdus à l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, les écoles d’Alsace et de Lorraine réintègrent peu à peu le giron de l’Instruction française. Les instituteurs, parfois militaires, réorganisent le programme en mettant l’accent sur les cours de français, la part de la population francophone ayant diminué depuis l’annexion allemande. Grâce à l’école républicaine, les jeunes Alsaciens et Lorrains seront bientôt des Français à part entière.
Comme le reste de la population française, les enfants vivent dans la peur – peut qu’entretient la propagande française dépeignant les Allemands comme des brutes sans foi ni loi. Si les affiches manichéennes placardées dans les rues exagèrent largement le comportement des Allemands, la population a pourtant de vraies raisons de s’inquiéter. Le 22 avril 1915, l’armée allemande lance la première attaque massive au gaz à Ypres. Les médias s’emparent de la nouvelle, provoquant un mouvement de panique dans la population. Dans les écoles, les enfants apprennent à porter des masques à gaz et participent à des exercices. La plupart des élèves n’auront heureusement jamais à s’en servir car les photographies conservées par l’ECPAD témoignent de masques qui semblent bricolés et ne couvrent parfois ni le nez ni la bouche.
Aux instituteurs la Patrie reconnaissante
Dès le début du conflit, c’est à l’école qu’est confiée la responsabilité d’entretenir la mémoire et de rendre hommage aux soldats qui ont sacrifié leur vie pour la patrie. Dans la plupart des écoles est installé un tableau commémoratif où sont inscrits les noms des anciens élèves morts au combat. Préfigurant les cérémonies du 11 novembre, des sorties sont organisées dans les cimetières lors de la Toussaint pour honorer les soldats tombés sur le champ de bataille.
Les instituteurs paient eux aussi un lourd tribut durant la guerre, tout comme les professeurs. Sur les 35 000 enseignants qui ont été mobilisés entre 1914 et 1918, on estime à plus de 8 000 le nombre de victimes. Le taux de mortalité est plus élevé parmi les instituteurs que dans le reste des troupes françaises, près de 23% contre 17% en moyenne. Cette observation est également valable dans l’enseignement supérieur. C’est particulièrement vrai pour l’École normale supérieure qui voit certaines de ses dernières promotions décimées.
Si elles n'ont pas été mobilisées au front comme l'ont été leurs collègues masculins, les institutrices ont fait preuve d'un grand dévouement durant ces quatre années de conflit. Certaines sont même décorées pour les remercier de leur contribution. C'est le cas de Madame Pellequer, institutrice de Quesmy, qui se voit remettre la croix de guerre pour service rendu à la population des villages occupés et pour l'aide fournie à l'armée française dans la poursuite des troupes allemandes lors de la libération du village.
Qu’ils soient au front avec leurs frères d’armes ou à l’arrière avec leurs élèves, les instituteurs ont fait preuve d’un grand sens du devoir pendant la Grande Guerre. Ni les enfants ni la société n’oublient leur dévouement à la fin du conflit, comme le prouvent les cartes postales éditées en leur honneur : « À nos maîtres, qui, par milliers, nous ont donné l'exemple suprême en tombant au champ d'honneur pour la victoire du droit et de la civilisation. »
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