Chemin des Dames : la tragique reprise des offensives
16 avril 1917. Persuadé que l’armée française peut rompre les lignes allemandes, le général Nivelle lance une offensive massive entre Soissons et Reims. D’avril à octobre, le Chemin des Dames devient un gigantesque champ de bataille sur lequel plus d’un million d’hommes se livrent un combat acharné ponctué d’actes de mutinerie.
1917, année offensive
25 décembre 1916. Pour la troisième année consécutive, c’est un Noël au goût amer que célèbrent les Français. Malgré la victoire remportée à Verdun une semaine plus tôt, les cœurs ne sont pas à la fête. L’armée française a subi des pertes considérables durant les mois écoulés : près de 580 000 victimes (blessés, morts et disparus) durant les seules batailles de la Somme et de Verdun. Le bilan stratégique n’est guère meilleur. Empêtrée dans une guerre de positions depuis deux ans et demi, l’armée française multiplie les tentatives pour faire bouger les lignes ennemies, sans réel succès.
En ce petit matin de Noël, c’est un cadeau pour le moins inhabituel que reçoit le général Nivelle de la part du gouvernement : il est nommé commandant en chef des armées pour remplacer le général Joffre, dont les résultats depuis le début du conflit ne sont pas jugés suffisamment convaincants. Auréolé de plusieurs succès, dont l’assaut du fort de Douaumont le 24 octobre 1916, le général Nivelle est persuadé de pouvoir reproduire à nouveau ses exploits. Reprenant en partie le plan élaboré par Joffre, Nivelle veut lancer une grande offensive afin de forcer les lignes ennemies et de mettre fin à la guerre de positions.
Pour cette opération de grande envergure, le nouveau commandant des armées choisit un front de 40 km dans l’Aisne entre Soissons et Reims. L’opération a notamment pour objectif de reprendre le Chemin des Dames, crête occupée par les Allemands depuis septembre 1914. Placé en surplomb des vallées de l'Aisne et de l'Ailette, cet axe offre un point de vue stratégique sur la plaine entre Laon et Reims. L’origine de cette route remonterait à la fin du XVIIIe siècle : Madame de Narbonne, maîtresse de Louis XV, aurait demandé que soit aménagé le chemin qui mène à son château afin que les filles du roi, qu’on appelait alors « Mesdames », puissent s’y rendre. Entré dans l’Histoire grâce à la bataille de Craonne, victoire de Napoléon contre les armées prussiennes et russes le 7 mars 1814, le Chemin s’apprête à entrer dans la légende en ce début d’année 1917.
Une opération ambitieuse – trop ambitieuse ?
Conçue comme une opération d’envergure – un million d’hommes doivent y participer – l’offensive est précédée d'importants préparatifs. L’ampleur des manœuvres de l’armée française finit d’ailleurs par éveiller les soupçons des Allemands, qui découvrent le projet d’offensive début 1917 et ne tardent pas à réagir. Initialement prévue pour février, l’offensive est finalement reportée au printemps. Afin de concentrer ses forces, l’armée allemande procède à un important repli et multiplie le nombre de ses divisions et de ses batteries. Ce repli inattendu de l’adversaire oblige l’armée française à repenser complètement l’opération.
Selon Nivelle, qui se montre confiant quant à la réussite de l’offensive, celle-ci doit revêtir un « caractère de violence, de brutalité et de rapidité » afin de prendre l’armée allemande par surprise. Si certains militaires manifestent un excès de confiance flagrant – le général Micheler pense que les lignes ennemies peuvent être enfoncées en seulement 24 heures ! –, le plan de Nivelle ne fait pas l’unanimité au sein du commandement. Pétain ne cache pas son scepticisme lorsqu’il affirme que « l’obstination du général Nivelle conduira à l’échec ». Le désastre de la bataille de la Somme, qui dura vingt semaines, est encore dans toutes les têtes… Pour éviter que cela ne se reproduise, Nivelle assure qu’il ne prolongera pas l’offensive au-delà de quarante-huit heures.
Fixée au 16 avril, l’attaque est précédée d’une longue période de préparation d’artillerie durant laquelle l’armée française pilonne les positions allemandes avec acharnement. L’assaut est lancé à 6 heure du matin malgré de mauvaises conditions météorologiques. Les soldats s’élancent dans la pluie et la brume en direction de la crête avec trente kilos de matériel sur le dos. L’avancée est beaucoup moins rapide que prévue : à découvert, les hommes sont la proie des mitrailleuses allemandes qui ont été épargnées par les bombardements ; les pentes sont trop abruptes pour l’artillerie et le terrain considérablement accidenté par les obus.
Pour la première fois de l’histoire militaire française, des chars blindés participent à l’assaut. Un assaut lourd d’enseignements. Sur les quatre-vingts chars Schneider qui se lancent dans la bataille le 16 avril, plus de la moitié sont détruits par l’armée allemande. Certains tombent en panne, d’autres se retrouvent coincés dans des trous d’obus, d’autres encore prennent feu sous les tirs ennemis – placé sur le flanc de l’appareil, leur réservoir d’essence est facilement touché par les tirs.
La majorité des soldats français restent bloqués au niveau des premières et deuxièmes positions allemandes, nombreux tombant sous les balles ennemies. Les combats sont particulièrement durs et les pertes très élevées. 30 000 hommes sont tués et 100 000 sont blessés entre le 16 et le 25 avril. Certains villages situés sur le Chemin des Dames finissent en ruines, rayés de la carte, comme Craonne, Soupir, la ferme de Hurtebise ou encore le moulin de Laffaux. Malgré la promesse qu’il avait faite de ne pas prolonger l’offensive au-delà de quarante-huit heures, Nivelle ordonne la poursuite des opérations. La bataille durera jusqu’à l’automne.
Une vague de mutineries sans précédent
L’échec de l’offensive et les pertes qu’elle a entraînées contribuent à la dégradation du moral des soldats, qui avaient déjà connu une baisse de motivation durant l’hiver précédent. Trop d’hommes sont morts pour rien, estiment un grand nombre de soldats. Physiquement à bout de force, épuisés psychologiquement, ils sont de plus en plus nombreux à perdre confiance en la hiérarchie. Les actes de désobéissance et de mutinerie se multiplient après l’offensive du 16 avril, atteignant un pic entre les mois de mai et de juin. Certains soldats refusent de monter au front ou abandonnent leur poste face à l’ennemi, d’autres appellent à la fin de la guerre et désertent, d’autres encore vont jusqu’à s’en prendre à des officiers.
Parmi les mutins résonne régulièrement la mélodie de « L’Internationale », chant très populaire parmi les partisans socialistes, communistes et anarchistes. Mais c’est une toute autre chanson que l’Histoire a retenue comme hymne des mutineries de 1917 : « La Chanson de Craonne ». Elle s’inspire de « Bonsoir M'amour », chanson à succès de la Belle époque dont les paroles ont été réécrites à plusieurs reprises par des soldats depuis le début du conflit afin d’exprimer leur situation difficile. Elle est renommée « La Chanson de Craonne » en référence au village de Craonne sur le Chemin des Dames, où se livre un combat acharné. « C'est à Craonne sur le plateau / Qu'on doit laisser sa peau / Car nous sommes tous des condamnés / C'est nous les sacrifiés », chantent les soldats contestataires, désabusés par la guerre.
Nommé chef d’état-major général de l’armée le 15 mai, Pétain est rapidement confronté à la multiplication des mutineries. Si une certaine historiographie a vanté la réponse mesurée du général, qui aurait adopté une stratégie militaire plus soucieuse des vies humaines, fixé des objectifs plus réalistes et amélioré les conditions de vie des soldats, la réalité est plus contrastée. Fortement critiquées par les soldats, les offensives ne s’arrêtent pas du jour au lendemain. Sur le plan répressif, Pétain renoue avec des méthodes disciplinaires musclées accompagnées de mesures juridiques exceptionnelles. Malgré une certaine sévérité envers les troupes, les exécutions de mutins sont finalement assez peu nombreuses au printemps 1917 : sur cinq cent cinquante condamnations à mort prononcées, seuls vingt-six soldats sont passés par les armes.
Une issue favorable après des mois de combats
Malgré l’échec de l’offensive du 16 avril et les nombreuses contestations qui émanent des troupes, les opérations ciblées se poursuivent. Lieu stratégique occupé par les Allemands depuis 1915, la Caverne du Dragon est reprise par l’armée française le 25 juin. L’attaque, qui a permis de faire prisonniers trois cents soldats allemands, fait l’objet d’une importante médiatisation dans la presse. Les soldats français découvrent sur place une véritable caserne sous-terraine composée de postes de tirs, de dortoirs, d’un poste de secours et même d’un cimetière. Les Allemands parviennent néanmoins à reprendre une partie de la caverne le 26 juillet suivant. Commence alors une cohabitation entre les deux armées, source permanente de craintes pour les soldats, qui ne prendra fin que le 2 novembre.
L’été est marqué par une grande série d’attaques et de contre-attaques connue sous le nom de « bataille des observatoires ». Il faut attendre le mois d’octobre pour que l’offensive reprenne sur le Chemin des Dames. L’opération bénéficie d’une importante préparation d’artillerie du 17 au 22 octobre. En ruines, le fort de la Malmaison est pris par les troupes françaises le 23 novembre. Les Allemands abandonnent le Chemin des Dames le 25 novembre avant de se replier du côté de Laon dans la nuit du 1er au 2 novembre. Le Chemin des Dames est enfin reconquis ! Pour l’instant, du moins. Le Chemin est en effet repris par les Allemands le 27 mai 1918 lors d’une offensive contre laquelle les armées française et britannique sont impuissantes. Il faudra attendre le mois de septembre 1918 pour que le Chemin des Dames soit repris – pour de bon cette fois-ci.
La libération de la ville de Laon, l’objectif qu’avait fixé le général Nivelle pour l’offensive du 16 avril 1917, est finalement atteint le 13 octobre 1918… soit un an et demi plus tard ! Bien moins fulgurante que prévu, la bataille du Chemin de Dames aura complètement dévisagé le paysage et coûté la vie à des milliers d’hommes, dont de nombreux soldats issus des troupes coloniales. Selon les chiffres les plus récents, 187 000 hommes auraient été blessés ou auraient trouvé la mort durant la bataille. Le Chemin des Dames fait aujourd’hui partie des principaux sites de mémoire de la Première Guerre mondiale.
Maxime Grandgeorge
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