Indépendance de l’Algérie : un nouveau chapitre entre joie et tristesse
5 juillet 1962. L’Algérie proclame officiellement son indépendance, quatre jours après un référendum historique. La population algérienne célèbre dans la joie, et la violence parfois, ce nouveau chapitre qui inaugure une transition politique complexe.
Une difficile transition après les Accords d’Évian
S’ils mettent officiellement fin à la guerre d’Algérie, les Accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, n’en ouvrent pas moins une période de forte instabilité politique et sociale. Certes, le cessez-le-feu est accueilli avec soulagement par les populations, tant en Algérie qu’en métropole, mais le processus d’indépendance ne fait que commencer et la transition politique s’annonce périlleuse. Le soir même, le général de Gaulle prend la parole à la télévision pour présenter aux Français les dispositions adoptées. Mais rien n’est joué : les populations française et algérienne doivent encore être consultées.
Un premier référendum se tient en métropole le 8 avril 1962. Les électeurs français sont invités à se prononcer pour ou contre la ratification des accords d'Évian et, par conséquent, pour ou contre l’indépendance de l’Algérie. Le « oui » l’emporte largement avec 90,7 % des suffrages exprimés. C’est 15 % de plus que lors du référendum du 8 janvier 1961 sur l’autodétermination de l’Algérie, au cours duquel 74,99 % des votants s’étaient prononcés en faveur de l’indépendance. Il s’agit d’une victoire pour de Gaulle, malgré un taux d’abstention de 24,4 %. Les résultats du référendum peuvent s’expliquer par l’envie des citoyens de la métropole de tourner définitivement la page des « événements » d’Algérie, qui ont coûté la vie à de nombreux soldats du contingent ainsi qu’à des civils.
La flambée de violence qui suit la signature des Accords d’Évian semble conforter les Français dans leur choix : il est temps de clore le chapitre de l’Algérie française. Mais tous ne l’entendent pas de cette oreille. Résolus à poursuivre le combat, les membres de l’OAS (Organisation armée secrète) multiplient les attentats et pratiquent la « politique de la terre brûlée ». Les représailles du FLN ne se font pas attendre, faisant monter d’un cran les tensions. Ce climat de peur et de colère aboutit à des drames humains. La fusillade de la rue d’Isly survient le 26 mars 1962 dans un contexte particulièrement tendu : l’armée française ouvre le feu sur des manifestants français dans le quartier européen de Bab-el-oued lors d’un rassemblement pro-Algérie française, faisant plusieurs dizaines de victimes.
Si le climat social est explosif, l’ambiance n’en est pas moins tendue en coulisse, où se joue l’avenir politique du pays sur fond de jalousie et de rivalité. Certes, l’indépendance de l’Algérie semble désormais bien engagée, mais il reste encore à choisir ceux qui gouverneront le pays. La légitimité du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), dont les représentants ont négocié les Accords d’Évian, est remise en question par Ahmed Ben Bella. Ce dernier, l’un des chefs historiques du Front de libération nationale (FLN), bénéficie du soutien du colonel Houari Boumediene, chef de l'état-major général de l’ALN. Fort d’une importante réputation à l’étranger, notamment au Maroc, en Tunisie et en Égypte, Ben Bella compte bien imposer ses vues.
L’heure tant attendue du choix
1er juillet 1962. Le peuple algérien va enfin pouvoir s’exprimer et décider de son avenir. L’excitation est palpable dans les rues. La consultation n’a pas encore commencé, et pourtant, le pays semble déjà en fête. Drapeaux et fanions envahissent les rues de la ville, où l’on croise des enfants vêtus de leurs plus beaux habits, spécialement pour l’occasion. Adopté par le GPRA en 1958, le futur drapeau algérien, reconnaissable à son étoile et son croissant rouges, est fièrement déployé au fenêtres. Dans la Casbah d’Alger, quartier historique de la ville, des banderoles et des affiches ont été accrochées pour inciter la population à voter en faveur de l’indépendance. « L’avenir est à nous, en masse "oui" », « Votez oui », « Pour un Maghreb arabe », peut-on lire dans les rues.
Nombreux à s’être déplacés pour voter, les Algériens doivent s’armer de patience pour arriver jusqu’aux bureaux de vote, où se forment d’interminables files d’attente. Pour faciliter le déroulement du scrutin, les numéros des bureaux de vote sont indiqués à l’entrée, parfois écrits à même le mur, à la peinture ou à la craie. Mais le plus simple pour trouver son chemin est encore de suivre les femmes vêtues de blanc, le visage voilé pour la plupart, qui forment comme des amas humains. Tranchant avec les tonalités colorées des rues, la blancheur éclatante de leurs habits aurait affolé la palette d’Eugène Delacroix, qui avait peint les femmes algériennes au tout début de la colonisation.
À l’intérieur des bureaux de vote bondés, l’ambiance est tout aussi animée qu’à l’extérieur. Les électeurs se pressent pour pouvoir insérer leur bulletin. L’exercice est nouveau pour un certain nombre de femmes algériennes, à qui le droit de vote n’a été octroyé qu’en 1958, soit quatorze ans après les femmes françaises. Dans la vidéo ci-dessous, on aperçoit une électrice insérer avec difficulté son bulletin dans l’urne, tandis qu’une autre jette négligemment le sien à l’assesseur, sans l’insérer dans l’urne comme le veut le protocole. Si le vote est anonyme, il suffit de jeter un coup d’œil près des isoloirs, où le sol est jonché de bulletins « non » déchirés ou froissés, pour connaître la tendance du vote.
Des cris de joie, des larmes et des youyous
Les résultats publiés le jour même du référendum sont sans appel : la population s’est prononcée à 99,72 % en faveur de l’indépendance. Ce chiffre saisissant, auquel les démocraties européennes ne sont pas habituées, interroge sur la participation des Français d’Algérie au référendum. Les images filmées le jour du vote prouvent qu’un certain nombre de pieds-noirs ont bel et bien participé au vote ; un film d’actualité réalisé à l’époque va même jusqu’à affirmer qu’ils étaient nombreux, sans pour autant avancer de chiffre. Quelques 530 000 électeurs se sont abstenus de voter ce jour-là : il est probable que les pieds-noirs, dont plusieurs centaines de milliers avaient déjà quitté le pays, constituent une part importante de ces « abstentionnistes ».
La France réagit aux résultats du référendum quelques jours après la tenue du vote. « Le peuple algérien s'est prononcé pour l'indépendance de l'Algérie coopérant avec la France », affirme le général de Gaulle dans un communiqué de presse publié le 3 juillet, avant d’ajouter que « la France reconnaît solennellement l'indépendance de l'Algérie ». Le peuple algérien devra encore attendre deux jours avant que l’indépendance ne soit officiellement proclamée en Algérie, le 5 juillet 1962, cent-trente-deux ans jour pour jour après la capitulation d’Alger face à l’armée française.
La nouvelle est accueillie avec une grande joie par la population, qui se rassemble un peu partout dans le pays pour célébrer l’indépendance chèrement acquise. Les centres-villes sont envahis par la foule et les voitures, paralysant complètement la circulation par endroits. Les Algériens paradent dans les rues, parfois perchés sur des voitures, et manifestent leur joie de mille façons, en frappant des mains, chantant et dansant. Au milieu du brouhaha euphorique résonnent les traditionnels youyous, cris aigus associés aux moments de fête dans la culture arabe. Brimée par plus d’un siècle de subordination, dont le poids n’a jamais été aussi pesant que durant les années marquées par la guerre, la joie éclate librement, provoquant même quelques évanouissements.
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Un nouveau chapitre qui s’ouvre dans la violence
Les Français sont assez rares à participer aux manifestations de joie, même si l’on croit en deviner quelques-uns dans la foule sur les images d’archives. Le cœur n’est pas à la fête : la victoire qu’on célèbre n’est pas la leur. C’est en effet le cœur gros que les pieds-noirs voient l’Algérie célébrer son autonomie. Les cortèges qui défilent dans les rues prennent des allures lugubres pour de nombreux pieds-noirs, conscients que la naissance de l’Algérie indépendante ne peut se faire que sur le cadavre encore tiède de l’Algérie française.
De moins en moins tolérés par la population locale au fil de la guerre, les Français sont désormais invités à partir et en emportant avec eux leur culture. Les affiches et panneaux publicitaires visibles dans les rues d’Alger – dernier film de Jean-Paul Belmondo, bidon d’huile BP et soda Orangina, marque créée par un pied-noir – ne seront bientôt plus qu’un lointain souvenir du mode de vie français. À défaut d'être renversée, la statue équestre de Jeanne d’Arc à Alger a été recouverte d’un voile blanc.
L’indépendance va-t-elle mettre fin aux griefs accumulés avant et pendant la guerre ? Les pieds-noirs qui n’ont pas encore pris le chemin de la métropole ont envie d’y croire. Mais l’espoir va être de courte durée. Les manifestations de joie qui éclatent dans la ville d’Oran, l’une des villes d’Algérie comptant la plus grande population française, tournent à l’émeute à la suite de coups de feu non identifiés. La foule se déchaîne sur les Français, qu’elles pourchassent dans la ville. Plusieurs centaines de pieds-noirs périssent lors de cette journée, massacrés, égorgés, lynchés ou encore brûlés vifs.
Enfin autonome, l’Algérie s’apprête à reprendre son destin en main. Mais le chemin s’annonce encore long. Les dissensions au sein du FLN, de plus en plus fortes, débouchent durant l’été sur une importante crise politique dont le « clan d’Oujda » sort vainqueur, « confisquant » l’indépendance du pays. Nommé Président de la République algérienne démocratique et populaire en septembre 1963, Ahmed Ben Bella est renversé moins de deux ans plus tard par son vice-Premier ministre, Houari Boumédiène. Ce dernier tiendra fermement les rênes du pouvoir jusqu’en 1978, dirigeant le pays en autocrate.
Les Algériens doivent attendre la fin des années 1980 pour voir leur pays entrer dans une phase de démocratisation, marquée notamment par la reconnaissance du multipartisme par la Constitution. Mais la stabilité politique et sociale tarde à venir. En 1991, l’annulation par l’armée du second tour des élections législatives plonge l’Algérie dans la guerre civile, moins de trente ans après la fin de la guerre pour l’indépendance.
Maxime Grandgeorge
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