1962 : l’exode des pieds-noirs
Installés en Algérie depuis plus d’un siècle pour certains, les Français d’Algérie sont plusieurs centaines de milliers à quitter le pays à l’issue du conflit algérien en 1962, sous la menace des militants indépendantistes ainsi que de l’OAS. Privés de leurs biens, déracinés mais vivants (en dehors de plusieurs centaines voire milliers d’entre eux qui ont été assassinés), ils tentent de reconstruire leur vie en métropole, loin de la violence.

Un lieutenant de la Légion étrangère blessé pendant la bataille observe l'entrée d'un point d'appui (PA) les effets des tirs dirigés contre le Viêt-minh.

Portrait du caporal-chef Pierre Schoendoerffer, caméraman du Service cinématographique des armées, dans une tranchée de Diên Biên Phu.

Soldat jaillissant dans la fumée des bombardements lors des combats de Diên Biên Phu.

Au cours de la bataille de Diên Biên Phu, deux soldats rejoignent un abri alors que la position essuie des tirs d'artillerie Viêt-minh.

Des soldats dans les boyaux d'une tranchée bordant la route du camp retranché de Diên Biên Phu.

Trois soldats dans une tranchée du camp retranché de Diên Biên Phu.

Evacuation d'un soldat indochinois blessé sur le camp retranché de Diên Biên Phu.

Traversée d'un arroyo par des éléments du 2e BEP avec le caméraman du SCA André Lebon, lors de l'opération Brochet.

Portrait d'un sergent du 8e BPC (bataillon de parachutistes de Choc) dans le camp retranché de Diên Biên Phu.

Sous les tirs d'artillerie Viêt-minh, un soldat armée d'une carabine bondit d'un abri pour aller occuper sa position de combat.

Le colonel de Castries, commandant le GONO (Groupement opérationnel du Nord-Ouest), dans un abri fortifié souterrain du camp retranché de Diên Biên Phu.

Au cours de la bataille de Diên Biên Phu, deux soldats partent à l'assaut alors que la position essuie des tirs d'artillerie Viêt-minh.

Des soldats de la colonne Godard font une pause au milieu de la brousse lors de l'opération Condor.

Départ d'une colonne de parachutistes du GAP 2 (groupement aéroporté n°2) lors d'une reconnaissance le long de la piste Pavie au nord de Diên Biên Phu.

Des blessés reçoivent les premiers soins à l'antenne chirurgicale du camp retranché de Diên Biên Phu, installée sous terre.

Des soldats en position de tir abrités derrière un monticule de terre alors qu'une épaisse fumée se dégage du terrain d'aviation de Diên Biên Phu.

La piste d'aviation du camp retranché de Diên Biên Phu, composée de plaques métalliques, déchiquetée par des tirs d'artilerie Viêt-minh. En arrière-plan, un avion de transport détruit sur la piste d'aviation, prise pour cible par l'artillerie Viêt-minh pendant la bataille.

Des blessés attendent d'être soignés dans un poste de secours installé sous terre dans le camp retranché de Diên Biên Phu.

Peu avant leur saut sur Diên Biên Phu, des parachutistes du 6e BPC (bataillon de parachutistes coloniaux) envoyés en renfort.

Peu avant leur saut sur Diên Biên Phu, des parachutistes du 6e BPC (bataillon de parachutistes coloniaux) envoyés en renfort.

Le photographe Daniel Camus, du Service presse information (SPI), se dégage de son harnachement après avoir atterri dans la vallée de Diên Biên Phu au cours de l'opération Castor.

Le 6e BPC (bataillon de parachutistes coloniaux) est parachuté en renfort au dessus de la DZ (dropping zone) du centre de résistance Isabelle, au sud du camp retranché de Diên Biên Phu.

Le 6e BPC (bataillon de parachutistes coloniaux) est parachuté en renfort au dessus de la DZ (dropping zone) du centre de résistance Isabelle, au sud du camp retranché de Diên Biên Phu.

Photographie de groupe des reporters de la section ciné-photo du Service presse information (SPI) Jean Péraud, Paul Corcuff, André Lebon et Pierre Schondoerffer devant le terrain d'aviation de Na San.

Peu après un tir ennemi, des parachutistes partent à l'assaut de la position Viêt-minh, qui occupe les crêtes à l'arrière-plan.

Les corps de soldats morts au combat, emmaillotés ou recouverts d'un tissu, gisent au sol près d'un point d'appui du camp retranché de Diên Biên Phu.

Des soldats du Viêt-minh blessés et faits prisonniers lors d'une reconnaissance arrivent à l'un des points d'appui du camp retranché de Diên Biên Phu.

Deux thaï dans un abri fortifié à Diên Biên Phu.

Soldat sortant d'une tranchée protégée de sacs à terre, sur le camp retranché de Diên Biên Phu.

Le photographe du Service presse information (SPI) Jean Péraud, avec son appareil photographique Leica, dans une tranchée d'Isabelle à Diên Bien Phu.

Opération Pollux : reconnaissance effectuée par le GAP 2 (groupement aéroporté n°2) au nord de Diên Biên Phu.

Un hélicoptère sanitaire décolle du terrain de Luang Prabang en direction de Diên Biên Phu.

Embarquement de blessés à bord d'un avion Douglas C-47B skytrain (Dakota) au cours d'une évacuation sanitaire à Diên Biên Phu.

Embarquement de blessés à bord d'un avion Douglas C-47B skytrain (Dakota) au cours d'une évacuation sanitaire à Diên Biên Phu.

Opération Pollux : reconnaissance effectuée par le GAP 2 (groupement aéroporté n°2) au nord de Diên Biên Phu.

Opération Pollux : reconnaissance effectuée par le GAP 2 (groupement aéroporté n°2) au nord de Diên Biên Phu.
Des Français d’Algérie aux « pieds-noirs »
Date : 31/12/1962 Référence : D0370-024-001-0027
Dès les premières années de la colonisation algérienne, qui débute en 1830 sous le règne de Louis-Philippe, la France sollicite les populations locales pour participer à des opérations militaires qui se déroulent sur place, en France ou à l’étranger. Les premiers autochtones rejoignent l’armée française dès le début des années 1830 : les zouaves, anciennes recrues de la régence d'Alger, les spahis, cavaliers qui étaient sous le commandement du dey d’Alger, et les tirailleurs algériens surnommés « Turcos ». Ces différents soldats seront progressivement organisés en corps officiels et participeront à de nombreuses opérations militaires, de la guerre de Crimée (1853-1856) jusqu’à la guerre d’Indochine (dans laquelle des supplétifs locaux seront également recrutés), en passant par les campagnes de Tunisie et du Maroc et les deux conflits mondiaux.
Il faut attendre 1954 et le début des troubles en Algérie, que l’État français appelle alors « événements », pour qu’un nouveau terme désignant les soldats auxiliaires fasse son apparition dans les médias métropolitains : celui de « harki ». Dérivé du mot arabe « haraka » qui signifie mouvement, les harkas désignent à l’époque des milices levées par une autorité politique ou religieuse au Maghreb. On appelle harkis ceux qui appartiennent à ces formations paramilitaires. Au Maroc, le terme est également employé pour désigner une expédition punitive contre des insurgés. Tantôt désignés comme des « indigènes », tantôt comme des « Français musulmans », les harkis sont désormais des soldats supplétifs qui combattent aux côtés de l’armée française. C’est ce qui les différencie des zouaves, des spahis et des tirailleurs qui, eux, faisaient partie de l’armée régulière.
Après la guerre d’Algérie, le terme de harkis devient un synonyme de soldats supplétifs et tend à désigner l’ensemble des Algériens engagés pour la France, en dehors de l’armée régulière. L’utilisation du mot harki comme terme générique relègue alors au second plan d’autres types de formations auxiliaires impliquées pendant la guerre : les moghaznis, chargés de la protection des sections administratives spécialisées (SAS) ; les groupes mobiles de police rurale (GMPR), qui deviendront ensuite les groupes mobiles de sécurité (GMS) ; les assès (de l’arabe assâs, gardien), supplétifs des unités territoriales (UT) ; et les groupes d’autodéfense (GAD), dédiés à la protection des villages.
L’Algérie française menacée
Discours du général de Gaulle au balcon du palais du gouvernement général à Alger.
Date : 04/06/1958 Référence : ALG 58-34RC RC11
S’ils ne font pas tous « suer le burnous » contrairement aux accusations que certains métropolitains colportent (il n’y a en fait que peu de colons véritablement riches), les Français d’Algérie mènent une vie plutôt paisible avant le début du conflit. L’insurrection armée menée par les indépendantistes du Front de Libération Nationale (FLN) modifient peu à peu les rapports de force, les habitants d’origine européenne devenant progressivement personae non gratae au fur et à mesure que le conflit empire et que les victimes s’amoncèlent dans chaque camp. La cohabitation des deux communautés s’apprête à voler en éclats.
Malgré l’augmentation des tensions communautaires, ceux qu’on commence à appeler les pieds-noirs continuent de croire à l’Algérie française. Le discours du général de Gaulle du 4 juin 1958 est accueilli avec un certain soulagement par la communauté française. L’ambiguïté de certains passages, dont le célèbre « Je vous ai compris », est levée quelques jours plus tard à Mostaganem lorsque l’homme du 18 juin crie « Vive l’Algérie française ». Un an plus tard, la déception est d’autant plus grande pour les Européens quand de Gaulle ouvre la voie à l’indépendance de l’Algérie en proclamant le droit des Algériens à l'autodétermination. Profondément attachés à l’Algérie française qu’ils considèrent comme leur patrie, de nombreux pieds-noirs s’inquiètent de l’avenir de leur pays, qu’ils ne peuvent se résoudre à perdre.
La signature des Accords d’Évian, le 18 mars 1962, est vécue comme un coup de massue par la population française d’Algérie. La guerre d’Algérie est officiellement terminée, et avec elle s’évanouit le rêve de l’Algérie française. Malgré des dispositions concernant les pieds-noirs prévues dans les accords – respect des biens et des personnes –, une nouvelle période de doutes s’ouvre pour les populations européennes. Depuis le début de la guerre, environ 150 000 Français ont déjà fui le pays. D’autres commencent à y réfléchir sérieusement.
Les harkis : un drame franco-algérien
« La valise ou le cercueil » : une violence quotidienne devenue invivable
Attentat à Sétif le 5 septembre 1956 à 10H30.
Date : 05/09/1956 Référence : ALG 56-234 R2
Censés mettre fin aux hostilités, les Accords d’Évian provoquent une recrudescence de la violence du côté des pro- comme des anti-indépendance. Le Front de Libération Nationale (FLN) et l’Organisation Armée Secrète (OAS) multiplient les attentats, prolongeant le climat de terreur instauré au fil du conflit. En état d’alerte et sous pression, l’armée française n’hésite pas à faire usage de la force, y compris contre les Français, provoquant parfois des drames. Une cinquantaine de Français trouvent la mort le 26 mars 1962 dans la rue d’Isly à Alger lors d’une manifestation de soutien à l’Algérie française, tombant sous le feu des fusils de leur propre armée.
Le climat ne cesse de se dégrader pour la population française, qui est de plus en plus menacée par les indépendantistes. Certains reçoivent des tracts qui ne laissent aucun doute sur l’intention de leurs auteurs : « la valise ou le cercueil ». Les menaces sont parfois mises à exécution. Plusieurs centaines de Français sont victimes d’enlèvements, d’assassinats et d’exécutions sommaires. Dans un rapport remis en 2006 à la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), le général Maurice Faivre avance le chiffre de 2 230 Français disparus en 1962.
Ce déferlement de violence connaît son apogée le 5 juillet 1962, date de la proclamation officielle de l’indépendance de l’Algérie, quelques jours après la victoire du « oui » lors du référendum d’autodétermination. Les manifestations de joie à Oran tournent à l’émeute : de nombreux pieds-noirs, ainsi que des Algériens pro-Français, sont pris pour cible. Plusieurs quartiers européens sont mis à feu et à sang par la foule. Celle-ci se livre à de sauvages exactions contre les Français qui sont lynchés, égorgés, pendus et brûlés vifs. Prévenus par leurs voisins algériens, certains échappent au massacre. Il faut attendre plusieurs heures avant que les soldats français n’interviennent, bien trop tard. Les pieds-noirs ont le sentiment d’avoir été complètement abandonnés par les autorités françaises. Craignant pour leur vie, ils ne voient plus d’autre choix que celui du départ.
L’exode massif vers la métropole
Date : 21/04/1962 Référence : ALG 62-85 R9
Depuis le début de la guerre en 1954, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont déjà fui l’Algérie. Mais ce n’est rien comparé à l’exode massif qui suit les Accords d’Évian. Début 1962, un million de Français vivent en Algérie ; un an plus tard, ils ne sont plus que 200 000. Les départs augmentent à partir de la signature des accords de paix et atteignent un pic à la fin du printemps. 450 000 Français quittent l’Algérie en mai et juin, à un rythme allant parfois jusqu’à 10 000 par jour.
Le départ est souvent compliqué pour les Français. Certains tentent de vendre leur bien immobilier, en vain. Ils réunissent leurs affaires comme ils peuvent dans des valises, difficiles à trouver à cause de la demande, ou dans des baluchons de fortune. Les plus chanceux peuvent emmener avec eux quelques meubles de valeur ; d’autres, moins privilégiés, n’ont même pas droit à un sac. En effet, afin de ne pas éveiller les soupçons de la population locale comme de l’OAS, les départs doivent se faire dans la plus grande discrétion. Certains Français doivent même se cacher pour rejoindre le port d’où ils traverseront ensuite la Méditerranée. Les pieds-noirs qui décident de quitter l’Algérie vivent dans l’incertitude la plus complète : ils doivent souvent attendre plusieurs jours avant de pouvoir partir, et ne sont parfois prévenus qu’à la dernière minute par les militaires. Refusant que leurs biens soient récupérés par les Algériens, certains Français préfèrent les brûler avant de partir.
C’est le cœur gros que les pieds-noirs arrivent en France métropolitaine, comme le montrent les photographies prises à l’époque. La plupart d’entre eux ont tout perdu en quittant l’Algérie : leurs biens, leur patrie et leur identité. Ils espèrent retrouver en métropole, où la plupart n’a jamais mis les pieds, la stabilité et le confort qu’ils ont connus sur les rives méditerranéennes. Mais leur arrivée sur le vieux continent est plus complexe qu’ils ne l’avaient imaginée. Tenus pour responsables de la guerre et des nombreux morts qu’elle a causés, les pieds-noirs ne sont en effet pas toujours bien reçus par la population.
Dans le port de Marseille, principal point d’arrivée des Français « rapatriés », la CGT les accueille avec des pancartes au message on-ne-peut-plus explicites : « Pieds-noirs, rentrez chez vous. » Un discours largement partagé par les habitants, dont le maire de la ville, Gaston Defferre, qui invite les pieds-noirs à aller « se réadapter ailleurs ». De nombreuses valises sont volées tandis que certains dockers et grutiers trempent volontairement les containers dans l’eau afin d’abîmer les meubles qu’ils contiennent. De nombreux professionnels profitent également de la situation, tels les chauffeurs de taxi et les hôteliers qui gonflent leurs prix à outrance.
Une mémoire douloureuse
Population civile partant du port d'Oran pour la France.
Date : 21/04/1962 Référence : ALG 62-85 R30
Face à l’afflux des Français d’Algérie, les pouvoirs publics, qui estimaient que les départs ne concerneraient que 100 000 personnes, sont complètement dépassés. À Marseille, les files d’attente sont interminables devant le centre d’accueil. Faute de place, seule une petite partie des rapatriés se voit offrir un logement ; les autres doivent se débrouiller ou compter sur la solidarité des habitants ou des associations caritatives. Pour leur venir en aide, l’État met en place une politique d’intégration non négligeable : priorité pour les nouveaux logements, versement d’aides en tout genre et accompagnement pour trouver du travail. Ces mesures ne sont pas sans provoquer une certaine jalousie parmi le reste de la population, ce qui alimente une forme de rancœur à l’égard des rapatriés.
Sur les quelque 450 000 pieds-noirs arrivés à Marseille en 1962, environ 120 000 décident de rester dans la cité phocéenne. Leur présence sera à l’origine d’un ambitieux programme immobilier. Les autres partent s’installer ailleurs : ils sont répartis sur le territoire, parfois baladés de ville en ville avant de trouver leur point de chute. Partageant à peu de choses près la même culture que les métropolitains, les pieds-noirs n’ont pas trop de difficultés à s’intégrer dans la société française, à condition de rester discrets sur leur identité.
Soixante ans après le départ d’Algérie, les pieds-noirs parlent toujours peu de leur expérience. Si certains « nostalgériques » – néologisme résultant de la contraction des mots nostalgique et Algérie – sont retournés en Algérie depuis leur exode, beaucoup ont définitivement tourné la page de cet épisode douloureux. Quant au nombre de pieds-noirs restés en Algérie, il n’a cessé de diminuer au fil du temps. Environ 50 000 dans les années 1970, ils ne seraient plus que quelques milliers en ce début de XXIe siècle, beaucoup ayant fui le pays pendant la « décennie noire » des années 1990, durant laquelle des groupes islamistes s’opposèrent au gouvernement algérien.
Maxime Grandgeorge
Conseiller scientifique : Sébastien Denis
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L'indépendance de l'Algérie et la fin de la guerre voient le départ forcé de plusieurs centaines de milliers de personnes, civils comme militaires, Européens et Algériens. Les opérateurs du Service cinématographique de l'armée (SCA, ancêtre de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense) et les photographes amateurs militaires, sont les auteurs de nombreux témoignages en films et en photographies. Leurs images racontent ce mouvement des arrivées et des départs, caractéristiques de la fin de l'Empire colonial français et des drames humains qui s'y sont noués.