Johnny Hallyday, l’idole des appelés

 

En avril 1964, le 43e régiment blindé d'infanterie de marine d'Offenbourg accueille une nouvelle recrue pas comme les autres : Jean-Philippe Smet, plus connu sous le nom de Johnny Hallyday. À l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de la naissance du rockeur, ImagesDéfense vous propose de revivre son service militaire très médiatisé.

 

Un rockeur qui dérange

Lorsqu’il débarque sur la scène musicale française à la toute fin des années cinquante, Johnny Hallyday prouve que les pays anglophones n’ont pas le monopole de la musique rock. Il affole les radios avec ses chansons entraînantes et fait chavirer le cœur des jeunes filles lors de prestations endiablées. Il devient rapidement « l’idole des jeunes », vend des disques par dizaines de milliers et se fait surnommé le French Elvis.

 

Malgré le succès qu’il remporte auprès des jeunes générations, Johnny est loin de faire l’unanimité dans la société française encore très puritaine du début des années soixante. Les parents, notamment, ne voient pas d’un bon œil ce blondinet qui derrière ses airs d’ange aime jouer au rebelle. S’il ne défraie pas la chronique comme le font les pionniers américains du rock (Elvis Presley, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Little Richard…), Johnny n’hésite pas à jouer de son image de mauvais garçon. Dans la chanson La Bagarre, il s’affiche en voyou provocateur prêt à en découdre et affirme aimer « cogner ». Lorsqu’il interprète le titre à l’Olympia en 1962, il se met en scène dans un faux combat duquel il sort victorieux, la chemise déchirée, devant des fans hystériques.

 

Le 22 juin 1963, il participe au concert gratuit organisé place de la Nation par l’émission de radio et magazine Salut les copains. Le lendemain, les médias ne parlent quasiment que des heurts qui ont éclaté entre bandes rivales en marge de l’événement, collant ainsi aux rockeurs, et à Johnny en particulier, une étiquette de voyou dont ils auront du mal à se défaire. Le chanteur fait encore parler de lui le 14 juillet 1963 lors de son passage à Trouville-sur-Mer où il interprète La Marseillaise. Les anciens combattants crient au scandale, comme ils le feront quinze ans plus tard lorsque Serge Gainsbourg interprétera l’hymne national en version reggae.

 

Un appelé presque comme les autres

 

En seulement trois ans, Johnny a provoqué un séisme dans le paysage musical français, déchaînant les foules comme personne avant lui. Il enchaîne succès après succès, remplit les salles de concert et obtient même des premiers rôles au cinéma. Rien ne semble pouvoir l’arrêter dans son irrésistible ascension. Rien, hormis le service militaire que Johnny, qui vient d’avoir vingt ans, doit effectuer comme tous les jeunes de son âge. Mais Johnny n’est pas un jeune comme les autres : véritable poule aux œufs d’or pour ses producteurs, il a de nombreux engagements professionnels à honorer. L’armée lui accorde un sursis d’un an afin qu’il puisse terminer sa tournée.

 

L’incorporation future de la star suscite de nombreuses interrogations : le service militaire va-t-il mettre fin à sa carrière ou, au contraire, lui servir de tremplin ? Johnny a lui-même en tête l’exemple d’Elvis Presley, son idole, qui a fait son service militaire quelques années auparavant. Le passage du King dans l’armée a été largement médiatisé, permettant ainsi à la star de ne pas perdre en popularité durant son absence. Johnny, qui n’envisage pas de se soustraire à son devoir, espère lui aussi que ces mois seront utiles à sa carrière.

 

Il est incorporé le 8 mai 1964 dans le 43e régiment blindé d'infanterie de marine d'Offenbourg, marchant ainsi dans les pas d’Elvis, lui aussi envoyé en Allemagne pendant son service. Bien qu’il ne bénéficie pas de traitement de faveur – il participe aux entraînements comme tout le monde et réalise les différentes corvées avec ses camarades –, Johnny n’est pas un appelé comme les autres pour autant. Son manager a obtenu l’autorisation pour qu’il continue d’enregistrer durant son service. En effet, les artistes ayant l’habitude à l’époque de sortir plusieurs 45 tours par an, faire une pause discographique de plus d’un an serait très risqué pour le jeune rockeur. L’armée a néanmoins posé une condition : Johnny doit apparaître en uniforme sur les pochettes de disque qu’il sort pendant son incorporation. Sur la pochette du maxi 45 tours de Quand revient la nuit, on peut même voir une banderole du 43e régiment blindé d’infanterie de marine derrière la star. Ce nouveau style vestimentaire est surprenant pour les fans mais ne laisse probablement pas indifférentes les jeunes auditrices du chanteur.

 

C’est durant son service que Johnny enregistre l’un des plus grands succès de sa carrière : Le Pénitencier. Il s’agit d’une adaptation de The House of the Rising Sun, chant traditionnel américain interprété par de nombreux chanteurs folk (Woody Guthrie, Bob Dylan, Joan Baez) et jazz (Nina Simone). Ce morceau connaît un regain de popularité en 1964 grâce à la version du groupe britannique The Animals qui squatte les hit-parades des deux côtés de l’Atlantique, version rock que Johnny reprend quasi note pour note. La Maison du soleil levant de la chanson originale, qui pourrait être une maison close ou un tripot, devient un pénitencier sous la plume de Hugues Aufray et Vline Buggy. De manière ironique, c’est donc dans la peau d’un tôlard s’apprêtant à passer le reste de sa vie enfermé en prison que Johnny se glisse alors qu’il est à l’armée.

 

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Un service militaire très médiatisé

 

Si Johnny et ses producteurs capitalisent sur son service militaire, l’armée y trouve elle aussi son compte. La guerre d’Algérie, durant laquelle 25 000 soldats français ont perdu la vie, dont de nombreux appelés, a terni la réputation de l’armée française qui doit regagner la confiance de la population. L’incorporation de Johnny est l’occasion parfaite pour reconquérir les jeunes : l’institution militaire compte sur la popularité du chanteur pour redorer son image. Elle autorise les médias à venir à la rencontre de l’idole des jeunes et accepte même que des émissions spéciales soient tournées depuis la caserne.

 

Mais l’armée ne se contente pas de donner un accès aux médias, elle produit également ses propres films promotionnels. Le plus célèbre d’entre eux, Sergent Smet, nous fait découvrir le quotidien du chanteur dans la caserne d'Offenbourg. Certaines séquences dévoilent un soldat soumis aux mêmes conditions que les autres, de l’inspection des chambrées aux entraînements. D’autres viennent au contraire rappeler le statut particulier de Johnny, notamment lors de la distribution du courrier, durant laquelle il reçoit un sac rempli de lettres... équivalent au moins au courrier de tous les autres soldats. La musique occupe de manière logique une place importante dans ce court-métrage. On voit Johnny jouer de la guitare pour ses camarades lors d’un moment de repos ou bien encore interpréter le chant militaire La Piémontaise pour donner le rythme lors d’une marche en ordre serré.

 

À partir du printemps, bien qu’il lui reste encore quelques mois à passer au sein de l’armée, Johnny regarde déjà vers l’avenir. Il obtient une permission pour se marier avec Sylvie Vartan, autre grande vedette de l’époque, le 12 avril 1965. Des opérateurs de l’armée sont même dépêchés sur place pour filmer l’événement. Le 2 juin 1965, Johnny participe au gala de la Nuit de la Légion étrangère au Théâtre du Capitole à Toulouse, où il rencontre le général Koenig.

 

Le 9 juillet 1965 sort l’album Hallelujah, son premier 33 tours depuis un an. Sur la pochette, Johnny délaisse l’uniforme pour un blouson de cuir. Accroché à la plateforme d’un train, il semble prêt à partir vers de nouveaux horizons. Le rockeur est autorisé à reprendre les concerts début août, quelques semaines avant d’être libéré de ses obligations. La tournée Johnny reviens est lancée à Colmar le 5 août et se poursuit jusqu’à la fin de l’année. Le 28 août 1965, jour où son service militaire prend officiellement fin, il donne un concert pour dire au revoir à ses camarades avant de repartir sur les routes de France. Johnny a réussi à conserver sa place de choix dans le cœur des jeunes Français durant son absence. Il la gardera tout au long de sa carrière.

 

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