Libération de la Corse
Occupée par l’armée italienne dès novembre 1942, puis avec le soutien de l’armée allemande à partir de l’été 1943, la Corse se soulève le 9 septembre 1943. Aidés par l’Armée d’Afrique et les troupes italiennes, qui signent un pacte avec les Alliés, les résistants corses parviennent à faire de leur île le premier département français libéré.
Le Serment de Bastia, déclaration d’amour à la France
Le 4 décembre 1938, une foule inhabituelle est rassemblée sur la place Saint-Nicolas de Bastia. 20 000 personnes sont massées devant le monument aux morts pour écouter la prise de parole de Jean-Baptiste Feracci, président des Anciens combattants du nord de la Corse. Ce rassemblement survient dans un contexte de grandes tensions internationales. Quelques jours plus tôt, le 30 novembre 1938, Mussolini, qui n’avait pas dissimulé ses velléités géopolitiques depuis son arrivée au pouvoir en 1922, réaffirmait vouloir annexer Nice, la Savoie et la Corse, territoires français revendiqués par les irrédentistes italiens.
« Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français », déclare Jean-Baptiste Feracci lors du Serment de Bastia. Tandis que les oreilles des personnes présentes sont emplies de cette déclaration d’amour à la France, les yeux se tournent vers la sculpture du monument aux morts. Celle-ci représente une mère qui, après avoir déjà perdu deux enfants depuis le début de la guerre d’indépendance, confie son troisième et dernier fils au général Pascal Paoli pour défendre l’île. Le message de cette œuvre puissante, qui rend hommage à celles et ceux qui ont su faire passer les intérêts de la patrie corse avant ceux de leur propre famille, résonne fortement avec les craintes de la population.
La paix règne encore dans le pays – plus pour longtemps –, mais le peuple corse se tient déjà sur ses gardes. Des comités antifascistes sont créés à Bastia et Ajaccio dans les semaines qui suivent le Serment. Édouard Daladier, président du Conseil, se veut rassurant lors de sa visite sur l’île au début du mois de janvier 1939. Il rappelle que la France, à laquelle la Corse est rattachée depuis 1769, n’a pas l’intention de céder aux caprices du Duce.
Le 3 septembre 1939, quelques jours après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre au Troisième Reich. Les hommes corses, comme tous les citoyens français en âge de combattre, sont mobilisés pour défendre le pays. Certains sont envoyés en métropole, dont les frontières sont plus menacées que celles de l’île. Après de longs moins d’attente – ce qui vaudra à cette période l’appellation de « Drôle de guerre » –, les Allemands lancent le 10 mai 1940 une attaque contre la Belgique, le Luxembourg et le nord-est de la France. Essentiellement composée de Corses, la 173e demi brigade alpine (173e DBA) s’illustre particulièrement au combat. Malgré la bravoure de ses soldats, l’armée française, qui ne parvient pas à repousser l’ennemi, est mise en déroute.
Profitant de la débâcle française, l’Italie déclare la guerre à la France le 10 juin 1940, ravivant les craintes d’annexion de la Corse. L’armée italienne tente de traverser les Alpes pour envahir la France mais est repoussée par les chasseurs alpins. Le 22 juin 1940, le gouvernement du maréchal Pétain signe l’armistice avec l’Allemagne, obligeant ainsi l’armée française à rendre les armes après seulement cinq semaines de combats. Située en zone libre, la Corse évite l’occupation allemande ainsi que l’annexion italienne. Mais la situation change lorsque les Alliés lancent le 11 novembre 1942 l’opération Torch pour reconquérir l’Afrique du Nord. En représailles, les forces de l’Axe envahissent la zone libre, violant ainsi l’armistice signé avec la France. L’armée italienne envahit le sud-est de la métropole et la Corse dès la mi-novembre. En quelques jours, 85 000 soldats italiens débarquent sur l’île de Beauté, soit un homme pour trois habitants.
Le début de la résistance
Si la Corse garde la nationalité française malgré l’occupation de l’île par les hommes de Mussolini, le cauchemar de l’annexion n’a jamais semblé aussi réel pour la population. Fidèles au Serment de Bastia tenu quatre ans plus tôt, nombreux sont les Corses à s’engager dans la Résistance. Tandis que des réseaux s’organisent sur place, notamment au sein des comités antifascistes, des Français soutiennent les patriotes corses depuis le Maghreb. Le général Giraud, coprésident du Comité français de libération nationale, met sur pied dès le mois de décembre la mission Pearl Harbour pour soutenir la Résistance. À bord du sous-marin Casabianca, vaisseau rescapé de la flotte de Toulon, des soldats français parviennent à rejoindre l’île pour prêter main forte aux patriotes corses, transportant avec eux des armes et des munitions.
Les personnes rejoignant le mouvement sont nombreuses, mais la cohabitation d’un grand nombre de réseaux et leur manque de coordination affaiblissent la portée de leurs actions. Figure importante de la résistance corse, Fred Scamaroni est désigné par le général de Gaulle début 1943 pour tenter d’unifier les différents groupes. Sa mission est presque accomplie lorsqu’il est arrêté par l’Organisation de la surveillance et de la répression de l’antifascisme (OVRA) en mars 1943. Il se suicide le 19 mars afin d’éviter de parler sous la torture. Par précaution, son réseau est démantelé.
Quelques semaines plus tard, Paul Colonna d'Istria prend la relève. Il arrive sur l’île le 4 avril 1943 à bord d’un sous-marin britannique avec pour objectif de rassembler les résistants corses et de préparer le débarquement allié en vue de la libération de l’île. Les résistants récoltent des informations sur l’implantation de l’armée italienne et repèrent des lieux de parachutage. Le mouvement s’organise, mais non sans pertes. De nombreux rebelles sont assassinés ou déportés par l’OVRA durant le mois de juin.
La Corse subit un nouveau coup dur au début de l’été 1943. Affaiblie par le débarquement allié en Sicile, l’Allemagne décide d’évacuer ses garnisons postées en Sardaigne pour concentrer ses forces en Corse. 15 000 soldats allemands viennent s’ajouter aux dizaines de milliers de combattants italiens, portant ainsi à 100 000 le nombre d’occupants sur l’île.
Malgré la présence grandissante des troupes de l’Axe sur le territoire, le vent commence à tourner en faveur de la Corse. La débâcle de l’armée italienne dans le sud du pays affaiblit considérablement Mussolini. Il est démis de ses fonctions de chef du gouvernement le 25 juillet 1943 et emprisonné. Le roi Victor-Emmanuel III désigne le maréchal Pietro Badoglio pour entamer des négociations secrètes avec les Alliés. Celles-ci débouchent sur un armistice le 3 septembre, qui ne sera révélé publiquement que le 8 septembre. Sans le soutien de l’armée italienne pour défendre l’île, l’Allemagne est mise en difficulté. L’heure de la Libération approche.
En route pour la Libération
Informée de l’organisation d’un débarquement allié, la résistance corse se prépare à agir dès le 4 septembre. Tous les partisans se tiennent prêts pour déstabiliser les forces de l’Axe afin de faciliter l’arrivée des Alliés. La situation est plus confuse que jamais pour l’armée italienne, qui ne sait plus à qui obéir. Si certains reconnaissent l’autorité du maréchal Badoglio, nouveau chef du gouvernement désigné par le roi Victor-Emmanuel III, d’autres restent fidèles à la stratégie du Duce. Sommé de choisir son camp, le général italien Giovanni Magli finit par se ranger aux côtés des Alliés, respectant ainsi l’armistice récemment signé. L’armée italienne s’engage ainsi à ne pas faire obstacle aux opérations alliées à venir.
Lorsque la nouvelle alliance est rendue publique, la résistance corse, riche de plusieurs milliers de membres, décide de passer à l’action. Bastia se soulève le 9 septembre contre l’armée allemande. Aidés de quelques soldats italiens qui ont répondu à leur appel, les résistants parviennent à prendre le contrôle de lieux stratégiques dont la citadelle, la gare et les principales voies de communication. Les habitants d’Ajaccio, qui prennent également les armes, parviennent à repousser les soldats allemands et à prendre le contrôle du port, permettant ainsi à la ville de devenir la principale tête de pont de l’île.
Pris de court par l’insurrection corse, le général Giraud, basé à Alger, déclenche à la hâte l’Opération Vésuve pour venir en aide aux insurgés qui, sans renfort, ont peu de chance de tenir tête aux Allemands. Les premiers soldats, une centaine d’hommes du 1er bataillon parachutiste de choc transportés par le sous-marin Casabianca, débarquent à Ajaccio le 13 septembre. Ils sont bientôt rejoints par des membres de l’artillerie et du génie, des tirailleurs marocains, des spahis et des goumiers. En dix jours, ce sont plus de 6 000 hommes qui débarquent en Corse, par la mer et par les airs, avec plus de 400 tonnes d’armes pour apporter leur soutien aux résistants corses.
Anticipant les renforts de l’Armée d’Afrique, Hitler, qui souhaite concentrer les forces du IIIe Reich en Italie, ordonne à ses troupes d’évacuer l’île dès le 12 septembre. Mais avant de se replier, l’armée allemande doit d’abord rassembler ses garnisons et son matériel. Malgré leur supériorité numérique, les soldats nazis sont fortement ralentis par le harcèlement des patriotes corses et l’action des soldats d’Afrique. Face à la progression des résistants, le général von Senger décide de rassembler ses troupes vers Bastia. Harcelées par leur adversaire, les troupes allemandes convergent difficilement vers le nord de l’île, non sans accrochages ni sans causer d’importants dégâts.
Après une période de confusion durant laquelle les affrontements avec les troupes allemandes sont évitées tant que possible, l’armée italienne reçoit l’ordre de s’opposer activement à son ancien allié. Le 21 septembre, les généraux Henri Martin et Giovanni Magli concluent un accord qui marque le début de la coopération militaire franco-italienne. Le nouvel allié apporte un précieux soutien humain et matériel durant les combats, notamment à Porto Vecchio, Sotta, Bonifacio et sur le col de Teghime.
Le premier département français libéré
Au début du mois d’octobre, les partisans corses, les soldats de l’armée d’Afrique et les soldats italiens ont repris le contrôle de la quasi-totalité du territoire. L’effort ultime est fourni dans le nord de l’île, près de Bastia, là où les derniers combats sont concentrés. Les bombardements américains visant à neutraliser les bateaux allemands détruisent plusieurs quartiers de la ville. Le 4 octobre, après plusieurs jours d’une lutte intense, Bastia est libérée. L’ensemble des troupes allemandes a fui ou été mis hors d’état de combattre : la Corse est le premier département français à être libéré (si l’on exclut les trois départements qui composent l’Algérie française, libres depuis la fin de l’année 1942).
Quelques jours plus tard, le général de Gaulle débarque sur l’île pour célébrer ce grand succès, que l’on espère être annonciateur d’une victoire éclatante. « La Corse, que l'héroïsme de sa population et la valeur de nos soldats, de nos marins, de nos aviateurs, viennent d'arracher à l'envahisseur au cours de la grande bataille que les Alliés mènent en ce moment, la Corse a la fortune et l'honneur d'être le premier morceau libéré de la France, déclare-t-il à Ajaccio le 8 octobre. Ce qu'elle fait éclater de ses sentiments et de sa volonté, à la lumière de sa Libération, démontre ce que sont les sentiments et la volonté de la nation tout entière. »
L’honneur dont parle le général de Gaulle ne va pas sans sacrifice. Les résistants corses ont perdu 170 camarades durant les combats et l’Armée d’Afrique 75 compagnons. Le nombre de blessés français avoisine 550. L’armée italienne, dont plusieurs milliers de soldats sont postés en Corse, a également subi des pertes importantes : 637 morts et 557 blessés. Quant aux dégâts matériels, ils sont considérables.
La bataille corse a été gagnée mais la guerre n’est pas terminée. La Libération du territoire national ne fait que commencer et les Corses, bien décidés à partager avec leurs compatriotes métropolitains la joie qui les envahit, sont nombreux à vouloir contribuer. 13 000 Corses viennent renforcer les rangs de l’Armée d’Afrique. L’île devient une base d’attaque depuis laquelle les Alliés attaqueront l’Italie, où l’armée allemande résiste, et servira de base de départ pour le débarquement en Provence à la fin de l’été 1944.