Opération Apagan : l’évacuation à risque de Kaboul
Du 15 au 27 août 2021, les militaires français se lancent dans une mission délicate pour évacuer les ressortissants français ainsi que plusieurs centaines de civils afghans menacés par la prise de pouvoir des talibans à Kaboul.
Vers la fin de la guerre ?
29 février 2020. Réunis à Doha au Qatar, les représentants américains et talibans signent un accord qualifié d’« historique » pour tenter de mettre fin au conflit dans lequel les deux partis sont engagés depuis près de vingt ans. Il aura fallu un an et demi de négociations, entamées secrètement en juillet 2018, pour arriver à un compromis. L’Accord de Doha prévoit que les troupes américaines et celles de l’OTAN se retirent du sol afghan dans un délai de quatorze mois. En échange, les rebelles fondamentalistes s’engagent d’une part à négocier avec le gouvernement afghan, toujours en place mais très fragilisé, pour mettre un terme au conflit, d’autre part à empêcher les terroristes de s’implanter sur le territoire afghan.
En planifiant le retrait des troupes américaines et internationales, l’Accord de Doha laisse entrevoir la fin de la guerre d’Afghanistan, le plus long conflit de l’histoire des États-Unis. Lancée à la suite des attentats du 11 septembre 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme, l’intervention des États-Unis et de leurs alliés en Afghanistan avait pour principaux objectifs de capturer Oussama ben Laden, accusé d’être le commanditaire des attaques terroristes, la destruction de l’organisation Al-Qaïda et le renversement du régime taliban. Ces objectifs n’ont été que partiellement atteints : si ben Laden a bien été tué en 2011, le terrorisme est toujours implanté dans la région. Quant aux talibans, ils restent très puissants malgré le renversement de leur régime vingt ans auparavant.
Malgré l’espoir suscité par la signature de l’Accord de Doha, la guerre est loin d’être finie. Contrairement à ce que pensent les plus optimistes, la fin de l’intervention américaine ne signifie pas la fin de la guerre en Afghanistan. Les talibans doivent encore négocier avec le gouvernement afghan pour s’accorder sur un cessez-le-feu. Les pourparlers entre les deux partis ne débutent qu’en septembre 2020 sur fond de tensions, les combats se poursuivant dans le pays. Bien décidés à reprendre le pouvoir, les talibans intensifient leur offensive après une courte période de trêve afin d’avoir plus de poids dans les négociations avec le gouvernement afghan, et ce en dépit de leurs engagements.
Kaboul tombe à nouveau aux mains des talibans
Fixée initialement au 1er mai 2021, la date de retrait des soldats américains est repoussée au 31 août 2021. Au printemps 2021, ils ne sont plus que 2 500 contre 14 000 au moment de la signature des Accords de Doha. Il aura fallu près de dix ans entre l’annonce par le président Barack Obama de la volonté des États-Unis de se retirer d’Afghanistan et le retrait effectif des soldats. La France, qui s’était engagée dans la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), avait quant à elle déjà retiré ses soldats depuis 2014.
Profitant de l’annonce du retrait des troupes américaines, les talibans lancent une nouvelle offensive le 1er mai 2021. Déjà bien implantés dans le pays, ils progressent et reprennent peu à peu le contrôle du territoire. La coalition internationale espère que les forces du gouvernement afghan, qui ont bénéficié pendant des années de son soutien financier, matériel et tactique, sauront tenir tête aux talibans le temps que soit trouvé un accord. Mais pour certains observateurs la guerre est perdue d’avance : plus rien ne pourra arrêter les talibans.
La communauté internationale suit avec attention et inquiétude l’évolution de la situation au début de l’été, la progression des talibans étant beaucoup plus rapide que ne l’avait prévu la coalition. En juin 2021, les services de renseignement américains pensaient que les talibans seraient en mesure de s’emparer du pouvoir six mois après le départ des troupes internationales, sous-estimant ainsi largement la force de frappe des rebelles. La ville de Kaboul est prise par les talibans le 15 août, alors que les troupes américaines n’ont pas terminé leur opération de retrait. Face à l’effondrement de l’armée afghane et au chaos qui s’empare de la capitale, les pays occidentaux présents sur place n’ont plus d’autres choix que d’évacuer en urgence.
À lire ensuite : Opération Pamir, protéger et reconstruire Kaboul |
Une mission d’évacuation délicate
Pour rapatrier ses ressortissants, la France met en place un important dispositif interarmées incluant des éléments de commandement et de coordination, de protection, de transit aérien, d’accueil et de soutien médical. L’opération Apagan est déclenchée le 15 août, le jour même où les talibans prennent le contrôle de Kaboul. Un double pont aérien est mis en place : le premier entre Kaboul et Abou Dabi, où les forces françaises possèdent une base militaire, le second entre Abou Dabi et Paris. Le dispositif est opérationnel en seulement quarante-huit heures, permettant ainsi au premier rapatriement d’avoir lieu dans la nuit du 17 août. Outre ses ressortissants et quelques Européens, la France évacue principalement des civils afghans qui ont travaillé avec l’armée française, notamment en tant qu’interprètes.
Sur place, c’est une mission délicate qui attend les militaires français. Ils doivent assurer les différentes étapes du parcours d’évacuation, depuis la prise en charge à l’aéroport, la fouille et l’accueil des personnes à évacuer jusqu’à leur escorte sur le tarmac, l’embarquement et le décollage, en passant par les nombreuses formalités administratives. Les photographies réalisées par les opérateurs de l’ECPAD témoignent du désordre général qui règne sur place. L’aéroport est assiégé par des milliers de personnes qui s’entassent dans l’espoir de pouvoir monter dans un avion afin de quitter le pays. Des soldats américains sont obligés de tirer des coups de feu en l’air pour calmer la foule qui rend inaccessible les abords de l’aéroport.
Les évacuations se déroulent dans une ambiance de panique. Les forces étrangères déployées dans la capitale sont en état d’alerte permanent à cause de la forte menace d’attaque terroriste contre les soldats et les civils, notamment de la part du groupe État islamique. Leurs craintes se confirment le 26 août lorsqu’un attentat-suicide est commis à l’aéroport de Kaboul, faisant au moins 182 morts, dont treize soldats américains, et 200 blessés.
L’opération Apagan se termine le 27 août au soir. Le dernier avion français atterrit sur le territoire national le 29 août avec à son bord le personnel de l’ambassade de France, des militaires et des policiers. L’opération est un succès pour l’armée française. 2 834 personnes, dont 142 Français et 2 630 Afghans, ont pu être évacués grâce aux vingt-six vols réalisés entre Kaboul et Abou Dabi et aux seize vols réalisés entre Abou Dabi et Paris. Les derniers soldats américains quittent le pays le 30 août, la veille de la date butoir imposée par les rebelles. Le sort du peuple afghan est désormais entre les mains des talibans.
Maxime Grandgeorge
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur l'intervention française en Afghanistan, découvrez tous les focus sur le sujet :
- Opération Pamir : protéger et reconstruire Kaboul
- Opération Héraclès : la France en guerre contre le terrorisme.
Découvrez également dans notre boutique :
- le livre Engagés pour la France - 40 ans d'OPEX, 100 témoignages inédits
- et le livre Dictionnaire des opérations extérieures de l'armée française - De 1963 à nos jours.