Guerre de Corée : la participation méconnue du bataillon français
Lorsque la Corée du Nord envahit la Corée du Sud à l’été 1950, la France décide l’envoi d’un bataillon pour combattre aux côtés des forces de l’ONU. Durant près de trois ans, près de 3 500 volontaires participent à repousser les communistes coréens et chinois. À l’occasion du 70e anniversaire de la fin du conflit, découvrez l’histoire méconnue du bataillon français de l’ONU en Corée.
Un théâtre d’opérations de la Guerre froide
Occupée depuis 1905, la Corée est officiellement annexée au Japon cinq ans plus tard. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les soldats soviétiques, au nord du pays, et américains, au sud, sont chargés de désarmer les troupes nippones et de les renvoyer chez elles. Dans cette perspective, les deux superpuissances divisent arbitrairement le pays en deux zones d’occupation militaire de part et d’autre du 38e parallèle. En raison des oppositions idéologiques existant entre Moscou et Washington, le Nord rejoint bientôt le bloc communiste tandis que le Sud trouve le soutien des États-Unis. Les tentatives de mise en place d’une tutelle internationale comme d’unification des deux zones échouent entre 1945 et 1948. Cette année-là, le divorce est définitivement consommé avec la création de deux États distincts : la République de Corée au sud, le 19 juillet 1948, et la République populaire démocratique de Corée au nord, le 9 septembre 1948. Chacune est dirigée par un leader charismatique et autoritaire : Syngman Rhee pour la première et Kim-Il Sung pour la seconde.
Les quelques centaines de conseillers soviétiques et américains évacuent respectivement leur zone d’occupation en décembre 1948 et juin 1949. Mais les tensions entre les deux Corée persistent, les deux dirigeant coréens affichant le même but : réunifier leur pays par la force. Le 25 juin 1950, la Corée du Nord, soutenu par la République populaire de Chine et, à un moindre titre par l’Union soviétique, déclenche les hostilités, persuadée d’une guerre courte : son armée franchit le 38e parallèle. La guerre de Corée vient de commencer. Les États-Unis saisissent aussitôt le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui demande aux troupes nord-coréennes de se retirer. La Corée du Nord restant sourde aux appels de la communauté internationale, les pays membres de l’ONU votent une résolution qui autorise une intervention militaire. Les Américains mettent sur pied une coalition militaire placée sous l’égide des Nations Unies à laquelle 16 pays acceptent de participer militairement quand une demi-douzaine d’autre apporte une aide médicale et humanitaire.
Trois jours après le début de l’offensive, l’armée nord-coréenne occupe Séoul, capitale de la Corée du Sud. Commandée par le général MacArthur, l’armée américaine commence à débarquer dans la péninsule coréenne dans les jours qui suivent l’attaque et engage le combat au sol à partir du 5 juillet. Elle est progressivement rejointe par les forces de la coalition, dont 4 000 soldats britanniques à la fin du mois d’août. Après quelques semaines de combats, la situation des troupes de l’ONU est grave : les divisions nord-coréennes sont parvenues à l’extrémité sud de la Corée, contrôlant la quasi-totalité du territoire.
Le temps joue pourtant en faveur des hommes de MacArthur et, au début du mois de septembre 1950, le rapport des forces s’est inversé en leur faveur. Le 15 septembre, en débarquant à Incheon, les Américains prennent l’ennemi à revers, qui doit battre en retraite vers le nord, perdant le terrain qu’il avait gagné. Le 28 septembre, la coalition libère Séoul et, le 19 octobre, entre dans Pyongyang, la capitale nord-coréenne où elle est plutôt bien accueillie par la population grâce à la propagande américaine. La victoire militaire semble proche pour l’ONU.
Un rang à tenir pour la France
Bien que membre des Nations Unies, et notamment de son Conseil de sécurité, la France hésite à envoyer des soldats dans la péninsule. Une grande partie de son armée est en effet déjà engagée en Indochine où elle lutte aux côtés des États associés (Vietnam, Laos, Cambodge) contre les indépendantistes communistes (le Viêt-Minh), menés par Ho Chi Minh. Par ailleurs, Paris doit faire face à ses obligations en Allemagne et en Afrique du Nord. Toutefois, le gouvernement français, qui souhaite réaffirmer le poids de la France dans les relations internationales et renforcer ses liens avec les États-Unis, accepte finalement de contribuer à la coalition de l’ONU par l’envoi d’un bataillon de 1 000 hommes.
Toutefois, afin de ne pas affaiblir davantage son armée, il est décidé de recourir volontariat, notamment au sein des réservistes qui ont déjà eu une expérience militaire, au cours de la Seconde Guerre mondiale, ou lors d’un séjour de 24 mois en Indochine. Si dans un premier temps l’appel rencontre quelques succès, il n’est rapidement plus suffisant et, à partir d’octobre 1951, l’armée est obligée de procéder à des désignations d’office parmi le personnel d’active.
Les recrues du bataillon sont rassemblées au camp d’Auvours, dans la Sarthe. Des profils très variés s’y côtoient : des militaires expérimentés, des civils – du cadre banque au garçon vacher - ainsi que quelques délinquants qui ont préféré l’engagement à la prison. Lors de leur embarquement à Marseille le 25 octobre, les soldats sont accueillis par des bravos et des encouragements d’un côté, par les huées des syndicalistes de l’autre, sympathisants communistes qui désapprouvent cette guerre. Les 1 017 volontaires du bataillon entament un voyage long de quarante jours où l’excitation se mêle à l’ennui. Ils seront renforcés par seize détachements de renfort (DR) et relevés en totalité par deux autres contingents entre 1950 et 1953. Des dizaines de soldats sud-coréens intègreront également le bataillon et combattront au sein de la 2e compagnie.
Un baptême du feu réussi
Lorsqu’ils débarquent en Corée le 29 novembre 1950, les soldats français sont envoyés au camp Walker où, entièrement rééquipés et armés, ils reçoivent une brève instruction de l’armée américaine. Ils sont ensuite rattachés au 23e régiment d’infanterie (23e RI) de la 2e division d’infanterie américaine (2e DI US). Toutefois, de nombreux officiers et soldats américains doute des qualités militaires des Français, gardant en tête le triste souvenir de la campagne de 1940. Les premiers engagements français et la belle tenue au feu des volontaires vont bientôt les détromper.
De fait, quelques jours avant l’arrivée du bataillon français, les Chinois, comme ils l’avaient alerté depuis des mois sont intervenus dans le conflit : alarmé par la présence des Américains sur les rives du Yalu, rivière frontalière de la Chine, Mao Zedong a décidé l’envoi, au mois d’octobre, de quelque 700 000 « volontaires » chinois pour soutenir les Nord-Coréens et éviter leur effondrement. L’offensive massive lancée le 25 novembre par les communistes chinois oblige l’armée sud-coréenne et la coalition à battre précipitamment en retraite. Le 5 décembre, l’armée sino-coréenne parvient à reprendre la capitale Pyongyang et, un mois plus tard, Séoul doit être abandonnée. La guerre de Corée, que les Américains pensaient gagnée, a totalement changé de nature.
À lire ensuite : La bataille de Crèvecœur en 1951 |
C’est dans ce contexte qu’a lieu le baptême du feu du bataillon français. Il se déroule au début du mois de janvier 1951 à Wonju, un carrefour stratégique. Les Français se trouvent face à des effectifs numériquement bien plus élevés et des soldats extrêmement disciplinés – ceux qui n’appliquaient pas les ordres à la lettre étaient tués. Cependant, mal équipés et assez jeunes pour la plupart, les Chinois tombent en masse sur le champ de bataille où se révèle toute la supériorité de la puissance de feu des forces de la coalition. Plongés dans l’horreur dès les premiers jours de combat, les volontaires comprennent rapidement que les combats à venir dans des conditions climatiques extrêmement difficiles, s’annoncent meurtriers et que beaucoup ne reverront pas la France.
S’il bénéficie de l’appui de l’artillerie et de l’aviations américaine, le bataillon français doit essentiellement compter sur la bravoure de ses combattants pour remplir sa mission et résister aux vagues d’assaut qui déferle sur ses positions. Ce premier succès qui est bientôt suivi d’autres faits d’armes (Twin Tunnels, Chipyong-Ni), les Français gagnent le respect de leurs camarades américains mais également de l’état-major qui sait désormais pouvoir compter sur cette formation commune une unité d’élite.
Une guerre de position qui rappelle celle de 14-18
Les conditions de vie et de combat sont particulièrement rudes pour le bataillon fraîchement débarqué. Le relief escarpé et le froid glacial (les températures descendent en-dessous de - 30°) compliquent considérablement les missions. Ne pouvant faire de feu sous peine de se faire repérer par l’ennemi, ils creusent des trous à l’intérieur desquels ils tentent de trouver un semblant de chaleur. Les assauts sont violents et meurtriers, comme sur la côte 1037, où le bataillon français déplore des pertes importantes : 31 morts et 104 blessés sur les 414 soldats engagés.
Au mois de mars 1951, le bataillon a perdu la moitié de ses effectifs. Il est mis en réserve le temps de se réorganiser tandis qu’en France une nouvelle campagne de recrutement est lancée. Lorsque les soldats français remontent en ligne, à l’été, le conflit s’est enlisé. En effet, des pourparlers ont été entamés au début du mois de juillet 1951 entre belligérants afin d’envisager la possibilité d’un cessez-le-feu. C’est un échec. Les deux parties en ont cependant profité pour s’enterrer et valoriser défensivement les positions qu’elles occupent. Ainsi, un an après le déclenchement du conflit, la guerre de mouvement et terminée et laisse place à une guerre de position.
Du 13 septembre au 13 octobre 1951, les soldats français participent à l’un des épisodes les plus tristement célèbres de la guerre de Corée : la bataille de Crèvecœur (Heartbreak Ridge). Engagée au niveau du 38e parallèle, la coalition décide d’attaquer dans le secteur du « Punchbowl » pour prendre une ligne de crête et s’assurer des positions avantageuses localement. Les forces de l’ONU atteignent leur objectif au terme d’un mois de combats acharnés et au prix d’un lourd tribut. 60 Français trouvent la mort et 260 sont blessés, soit environ la moitié des soldats ayant participé à l’opération.
Par bien des aspects, cette guerre de position n’est pas sans rappeler la Grande Guerre avec laquelle elle entretient des similitudes frappantes. Les soldats s’enterrent dans des tranchées protégées par des réseaux de fil de fer barbelés, et les duels d’artillerie façonnent le terrain, lui donnant le visage des champs de bataille de Verdun ou la Somme. Les opérations se limitent aux sorties de patrouilles, ou aux coups demain pour recueillir du renseignement et faire des prisonniers.
Un conflit largement oublié en France
Le bilan de la guerre est lourd, tant humainement que matériellement. Les armées ont subi des pertes importantes : 57 000 soldats onusiens, 800 000 nord-coréens et autant de chinois sont morts, sans compter les centaines de milliers de blessés. Les civils ont été durement éprouvés également : entre un et deux millions d’entre eux ont trouvé la mort ; trois millions ont été déplacés. D’innombrables villages sont laissés en ruines, les villes de Corée du Nord ont subi le sort de Dresde, Hambourg ou Tokyo pendant la Seconde Guerre mondiale ; la misère règne partout. Il faudra des années pour que les deux pays se relèvent de ce drame.
Sous-estimé par l’armée américaine au début de la guerre, le bataillon français a su gagner la confiance et le respect de ses alliés, s’affirmant comme un élément solide des forces de l’ONU. Son courage lui a valu l’attribution de trois citations présidentielles américaines. Mais cette réputation s’est payée d’un lourd tribut : sur les quelque 3 400 hommes qui ont au total combattu en Corée, 289 ont trouvé la mort et 1 400 ont été blessés. Le bataillon stationne sur le sol coréen jusqu’à l’automne pour s’assurer que l’armistice est bien respecté avant de s’embarquer pour l'Indochine le 25 octobre 1953. Là, il est transformé en Régiment de Corée et sera engagé dans les durs combats – eux aussi oubliés – qui se déroulent après Diên Biên Phu et où il perdra encore des dizaines de ses combattants.
Beaucoup moins médiatisé que la guerre d’Indochine ou, plus tard, celle d’Algérie, le conflit coréen a largement été effacé de la mémoire collective française. En plus de ne concerner que de loin la France, il a été relégué au second plan par le désastre indochinois, bien plus important du point de vue géopolitique pour la France et ses intérêts. Si la guerre de Corée a davantage marqué les esprits aux États-Unis, où la lutte contre le communisme était une priorité, elle a également été éclipsée par la guerre du Vietnam quinze ans plus tard.
70 ans après la signature de l’armistice, il est aujourd’hui temps de rendre l’hommage qu’ils méritent aux combattants français du Bataillon de l’ONU en Corée et de se souvenir de ses hommes qui ont combattu au nom de la France sous le pavillon bleu des Nations unies.
Maxime Grandgeorge et Ivan Cadeau*
*Chef du bureau Terre au Service historique de la Défense (SHD), Ivan Cadeau est spécialiste des guerres de Corée et d'Indochine.
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur la guerre de Corée, découvrez le focus consacré à la bataille de Crèvecoeur.
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