Les harkis : un drame franco-algérien
Recrutés pour soutenir l’armée française durant la guerre d’Algérie, les harkis et les membres des formations auxiliaires se sont engagés pour l’Algérie française en combattant contre leurs compatriotes algériens. Fidèles serviteurs de la France injustement délaissés pour les uns, traîtres à la patrie algérienne pour les autres, ils sont devenus l’un des emblèmes du conflit franco-algérien autour duquel la mémoire continue de se crisper soixante ans après l’indépendance.
Les soldats « indigènes », une pratique aussi vieille que la colonisation
Les zouaves alignés, leurs fusils à leurs pieds devant la caserne.
Date : 31/12/1911 Référence : D146-2-1197
Dès les premières années de la colonisation algérienne, qui débute en 1830 sous le règne de Louis-Philippe, la France sollicite les populations locales pour participer à des opérations militaires qui se déroulent sur place, en France ou à l’étranger. Les premiers autochtones rejoignent l’armée française dès le début des années 1830 : les zouaves, anciennes recrues de la régence d'Alger, les spahis, cavaliers qui étaient sous le commandement du dey d’Alger, et les tirailleurs algériens surnommés « Turcos ». Ces différents soldats seront progressivement organisés en corps officiels et participeront à de nombreuses opérations militaires, de la guerre de Crimée (1853-1856) jusqu’à la guerre d’Indochine (dans laquelle des supplétifs locaux seront également recrutés), en passant par les campagnes de Tunisie et du Maroc et les deux conflits mondiaux.
Il faut attendre 1954 et le début des troubles en Algérie, que l’État français appelle alors « événements », pour qu’un nouveau terme désignant les soldats auxiliaires fasse son apparition dans les médias métropolitains : celui de « harki ». Dérivé du mot arabe « haraka » qui signifie mouvement, les harkas désignent à l’époque des milices levées par une autorité politique ou religieuse au Maghreb. On appelle harkis ceux qui appartiennent à ces formations paramilitaires. Au Maroc, le terme est également employé pour désigner une expédition punitive contre des insurgés. Tantôt désignés comme des « indigènes », tantôt comme des « Français musulmans », les harkis sont désormais des soldats supplétifs qui combattent aux côtés de l’armée française. C’est ce qui les différencie des zouaves, des spahis et des tirailleurs qui, eux, faisaient partie de l’armée régulière.
Après la guerre d’Algérie, le terme de harkis devient un synonyme de soldats supplétifs et tend à désigner l’ensemble des Algériens engagés pour la France, en dehors de l’armée régulière. L’utilisation du mot harki comme terme générique relègue alors au second plan d’autres types de formations auxiliaires impliquées pendant la guerre : les moghaznis, chargés de la protection des sections administratives spécialisées (SAS) ; les groupes mobiles de police rurale (GMPR), qui deviendront ensuite les groupes mobiles de sécurité (GMS) ; les assès (de l’arabe assâs, gardien), supplétifs des unités territoriales (UT) ; et les groupes d’autodéfense (GAD), dédiés à la protection des villages.
L’heure du choix
Moment de repos pour la harka de Baniane dans la forêt de Beni-Melloul.
Date : 12/12/1956 Référence : ALG 56-348 R1
Le 1er novembre 1954, resté dans l’Histoire comme la « Toussaint rouge », des membres du Front national de libération (FLN) commettent plusieurs attentats sur le territoire algérien. Afin de contenir la rébellion et de dissuader la population de rejoindre le mouvement, la France crée les sections administratives spécialisées (SAS) afin d’opérer des déplacements massifs de populations dans des camps de regroupement qui toucheront au total deux à trois millions de personnes (une situation dénoncée par le « rapport Rocard » en 1959), tout en mettant en œuvre une assistance sociale, scolaire et médicale à la population. Celle-ci se révèlera toutefois très insuffisante, puisque le même rapport indique 200 000 morts de malnutrition, dont beaucoup d’enfants.
Se rendant rapidement compte que l’administration seule ne pourra pas régler la situation, le gouvernement décide d’engager une importante lutte armée pour mater les indépendantistes. Pour l’aider dans sa stratégie contre-insurrectionnelle, l’armée française crée officiellement des harkas composées d’Algériens à partir de 1956. Ces derniers ont l’avantage de bien connaître le territoire, ce qui va permettra aux Français de gagner en efficacité face au FLN, dans un combat très asymétrique tournant pourtant à l’avantage des Algériens qui, suivant l’exemple indochinois, opèrent une guérilla face à l’armée française et sont aidés par les villageois.
La constitution des harkas se fait dans un contexte de violence intense durant lequel la neutralité devient impossible. A priori, la population algérienne doit choisir son camp : rester fidèle à la France, à laquelle elle est rattachée depuis plus d’un siècle, ou bien soutenir la lutte pour l’indépendance nationale. Mais en fait, les raisons de l’engagement des harkis aux côtés de la France sont variées. Certains le font certes par patriotisme (notamment ceux dont les pères ont combattu pendant la Seconde Guerre mondiale) ou pour prendre leur revanche sur le FLN qui a assassiné certains de leurs proches. D’autres encore le font après avoir été compromis volontairement par des militaires français et dénoncés par le FLN. Mais la plupart d’entre eux s’engagent pour des raisons économiques : dans un contexte de forte crise de l’agriculture générée par la situation coloniale et aggravée par les déplacements de populations, le salaire versé permet de faire vivre une famille de plusieurs personnes et constitue donc une part importante des moyens d’existence dans les villages regroupés, sans rapport avec un quelconque patriotisme.
Le général Dufour saluant les membres de la harka, région de Guergour.
Date : 04/06/1956 Référence : ALG 56-111 R20
Le 1er novembre 1954, resté dans l’Histoire comme la « Toussaint rouge », des membres du Front national de libération (FLN) commettent plusieurs attentats sur le territoire algérien. Afin de contenir la rébellion et de dissuader la population de rejoindre le mouvement, la France crée les sections administratives spécialisées (SAS) afin d’opérer des déplacements massifs de populations dans des camps de regroupement qui toucheront au total deux à trois millions de personnes (une situation dénoncée par le « rapport Rocard » en 1959), tout en mettant en œuvre une assistance sociale, scolaire et médicale à la population. Celle-ci se révèlera toutefois très insuffisante, puisque le même rapport indique 200 000 morts de malnutrition, dont beaucoup d’enfants.
Se rendant rapidement compte que l’administration seule ne pourra pas régler la situation, le gouvernement décide d’engager une importante lutte armée pour mater les indépendantistes. Pour l’aider dans sa stratégie contre-insurrectionnelle, l’armée française crée officiellement des harkas composées d’Algériens à partir de 1956. Ces derniers ont l’avantage de bien connaître le territoire, ce qui va permettra aux Français de gagner en efficacité face au FLN, dans un combat très asymétrique tournant pourtant à l’avantage des Algériens qui, suivant l’exemple indochinois, opèrent une guérilla face à l’armée française et sont aidés par les villageois.
La constitution des harkas se fait dans un contexte de violence intense durant lequel la neutralité devient impossible. A priori, la population algérienne doit choisir son camp : rester fidèle à la France, à laquelle elle est rattachée depuis plus d’un siècle, ou bien soutenir la lutte pour l’indépendance nationale. Mais en fait, les raisons de l’engagement des harkis aux côtés de la France sont variées. Certains le font certes par patriotisme (notamment ceux dont les pères ont combattu pendant la Seconde Guerre mondiale) ou pour prendre leur revanche sur le FLN qui a assassiné certains de leurs proches. D’autres encore le font après avoir été compromis volontairement par des militaires français et dénoncés par le FLN. Mais la plupart d’entre eux s’engagent pour des raisons économiques : dans un contexte de forte crise de l’agriculture générée par la situation coloniale et aggravée par les déplacements de populations, le salaire versé permet de faire vivre une famille de plusieurs personnes et constitue donc une part importante des moyens d’existence dans les villages regroupés, sans rapport avec un quelconque patriotisme.
Des soldats devenus indésirables
Des éléments de la harka de Ali Ben Athman lors de l'opération Espérance.
Date : 04/06/1956 Référence : ALG 56-101 R26
Négociés en secret pendant plus d’un an, les Accords d’Évian sont signés le 19 mars 1962 par les représentants du gouvernement français et du FLN. Les deux parties s’engagent à assurer la sécurité des personnes, y compris celles impliquées dans le conflit. « Nul ne peut être inquiété, recherché, poursuivi, condamné ni faire l’objet de décision pénale, de sanction disciplinaire ou de discrimination quelconque, en raison d’actes commis en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu », peut-on lire dans le texte. La réalité sera bien différente.
Se pose désormais pour la France la question de l’avenir des harkis, qui ont fait preuve de leur fidélité durant le conflit. Conscient des changements majeurs que vont entraîner les Accords d’Évian, le gouvernement français se penche sérieusement sur la question, comme le montrent différents rapports datés de 1961. Toutes les possibilités sont envisagées à l’époque, du rapatriement des supplétifs à leur protection sur place, en Algérie. Sans pour autant interdire aux harkis de venir en métropole, la France décide de ne pas organiser de rapatriement systématique. De plus, du fait que les harkis n'ont volontairement pas été intégrés dans les troupes régulières de l’armée française, mais aussi du fait des désertions de plus en plus fréquentes, et enfin afin de limiter la circulation des armes, le gouvernement licencie et désarme progressivement les auxiliaires dès le milieu de l’année 1961
Anticipant l’indépendance de l’Algérie qui doit être soumise à un référendum, l’État français propose aux harkis dès le 20 mars 1962 plusieurs options à plus ou moins court terme. Les anciens auxiliaires se voient offrir la possibilité de s’engager dans l’armée française ou d’y servir pour une durée de six mois à titre civil, ou encore de retourner à la vie civile en touchant une prime de licenciement. De fait, peu de harkis s’engagent (20 %), les autres choisissant la vie civile malgré le danger. Il faut dire que le FLN annonce un pardon vis-à-vis des harkis et que les représailles sont encore rares entre mai et juin, signe d’un respect apparent des Accords d’Évian.
Dès lors, ne peuvent partir en France que les engagés. Toutefois, des rapatriements clandestins sont organisés à partir de mai 1962 par un réseau de militaires, souvent anciens des SAS. Ces rapatriements sont interdits par le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe, dont une note fuite dans la presse, créant un scandale. Un rapatriement officiel est dès lors organisé à partir de la mi-juin 1962, permettant l’évacuation d’environ 10 000 harkis.
Une fin tragique
Réfugiés harkis et leurs familles partant pour la France.
Date : 15/11/1962 Référence : ALG 62-162 R18
La situation dégénère à la mi-juillet 1962, et plus encore après la proclamation de l’indépendance, le 5 août 1962. Les harkis et leurs familles sont pris pour cible par d’autres Algériens, qui les accusent d’avoir trahi leur pays. De nombreux harkis sont massacrés après le départ des Français : entre 10 000 et plusieurs dizaines de milliers selon les historiens. Pourtant, c’est à ce moment précis, entre le 19 juillet et le 19 septembre 1962, que les rapatriements officiels sont suspendus par la France, qui à partir de début août n’a plus autorité sur le pays mais qui, de plus, ne souhaite pas froisser le nouvel État algérien en aidant ses opposants passés.
Ceci n’empêche ni le nouvel ambassadeur de France en Algérie de protester contre les tortures et exécutions de harkis, ni les camps français de recueillir des milliers d’entre eux, alors même que le ministre de la Défense Pierre Messmer estime que la France n’a plus les moyens d’accueillir de nouveaux supplétifs. Pourtant, face aux représailles dont sont victimes les harkis, le Premier ministre Georges Pompidou ordonne une procédure de rapatriement. 30 000 à 40 000 anciens supplétifs et leurs familles sont rapatriés de manière officielle en quelques mois. Les historiens estiment qu’entre 20 000 et 50 000 Algériens ayant aidé l’armée française et leurs familles seront rapatriés de manière semi-clandestine.
Prise au dépourvu par l’arrivée massive des pieds-noirs (qui a toutefois été plus progressive et mieux organisée) et des anciens auxiliaires, la France peine à accueillir tout le monde dans de bonnes conditions. Plusieurs dizaines de milliers de harkis sont logés dans des camps de transit et de reclassement avec leur famille dans des conditions souvent déplorables en attendant de trouver un logement ailleurs. Un grand nombre d’entre eux seront ensuite envoyés dans des hameaux de forestage où ils passeront plusieurs années. Les harkis attendront jusqu'en 1974 pour obtenir le statut d’ancien combattant.
Le long travail de mémoire et de reconnaissance entamé dans les années 1980 et 1990, encouragé par les derniers harkis vivants et leurs descendants, se poursuit soixante ans après l’indépendance de l’Algérie. Depuis 2003, est célébrée le 25 septembre la Journée nationale d’hommage aux harkis et membres des formations supplétives. L’occasion pour la Nation d’honorer la mémoire des harkis et des anciens supplétifs et de reconnaître leur engagement et leur sacrifice pour la patrie, ainsi que les souffrances qu’ils ont traversées durant et après la guerre. Le 23 février 2005 est promulguée une loi interdisant « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés ».
Le président de la République Emmanuel Macron a ouvert un nouveau chapitre le 20 septembre 2021 en demandant « pardon » aux harkis et en annonçant une loi de « reconnaissance et de réparation ». Promulguée le 23 février 2022, cette loi reconnaît la responsabilité de la France dans les conditions d'accueil et de vie indignes des harkis et de leurs familles. Elle ouvre un droit à réparation pour les personnes qui ont séjourné dans des camps de transit et des hameaux de forestage entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975. Cette indemnisation pourrait concerner 50 000 personnes. Pour mener à bien cette mission, une commission nationale de reconnaissance et de réparation a été créée.
Maxime Grandgeorge
Conseiller scientifique : Sébastien Denis
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L'indépendance de l'Algérie et la fin de la guerre voient le départ forcé de plusieurs centaines de milliers de personnes, civils comme militaires, Européens et Algériens. Les opérateurs du Service cinématographique de l'armée (SCA, ancêtre de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense) et les photographes amateurs militaires, sont les auteurs de nombreux témoignages en films et en photographies. Leurs images racontent ce mouvement des arrivées et des départs, caractéristiques de la fin de l'Empire colonial français et des drames humains qui s'y sont noués.