Opération Serval : libérer le Mali de l’emprise djihadiste
À la demande du gouvernement malien et avec l’accord du Conseil de sécurité des Nations unies, l’armée française intervient au Mali début 2013 pour stopper la progression des djihadistes et permettre à l’État malien de reconquérir son territoire. L’opération Serval marque le début d’une longue présence française au Mali pour combattre le terrorisme, qui se poursuivra avec Barkhane.
La bande sahélo-saharienne, une région instable
Depuis qu’il a obtenu son indépendance en 1960, le Mali connaît une instabilité politique et sociale chronique rythmée par les périodes de dictature, les coups d’État, les rebellions à répétition et l’explosion du trafic en tout genre, notamment de drogues et de migrants. Malgré l’instauration de la démocratie en 1991, l’État reste profondément fragilisé et ne parvient pas à endiguer les problèmes qui rongent le pays. Parmi ces problèmes figurent les revendications des indépendantistes touaregs et le développement du mouvement djihadiste, qui contribuent tous deux à la déstabilisation croissante de la région sahélo-saharienne.
Principalement installée dans la partie nord du pays, la population touarègue réclame depuis les années 1960 davantage d’autonomie et d’implication dans la vie politique du Mali. Ses revendications ont mené à plusieurs révoltes en 1963-64, 1990-92, 1994-95 et 2006. Lorsqu’éclate la guerre civile libyenne en 2011, plusieurs milliers de soldats touaregs enrôlés dans l’armée de Kadhafi rentrent au Mali. À leur retour, certains d’entre eux rejoignent le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), organisation politique et militaire qui revendique l’indépendance du nord du Mali, que les Touareg nomment Azawad. Pour obtenir gain de cause, le MNLA est prêt à prendre les armes et à lancer une nouvelle révolte.
À la question ancienne touarègue s’ajoute le problème, plus récent, du djihadisme, dont l’implantation s’est faite progressivement au nord du Mali au début des années 2000. En 2007, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui a vu le jour dix ans plus tôt pendant la guerre civile en Algérie, prête allégeance à Al-Qaïda et devient Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). De nombreux membres du groupe délaissent l’Algérie pour s’implanter dans la région du Sahel, à cheval sur les territoires du Mali, du Burkina Faso, du Niger et de la Mauritanie. D’autres groupes djihadistes voient le jour au Sahel dans le sillage d’AQMI, dont le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) et Ansar Dine, respectivement créés en 2011 et 2012. Ces différents groupes armés ne cesseront d’alterner entre alliance et opposition au fil de l’évolution de la situation.
Le Nord rebelle fait sécession
La situation prend une tournure particulièrement critique au début de l’année 2012 lorsqu’éclate une nouvelle insurrection dans la partie nord du pays. Le 17 janvier 2012, les soldats touareg du MLNA attaquent l’armée malienne et s’emparent de la ville de Ménaka. C’est le début d’une longue guerre dans laquelle s’engouffrent également les différents groupes islamistes pour prendre le contrôle du nord du Mali. Deux mois seulement après le début du conflit, les rebelles contrôlent la quasi-totalité du territoire situé au nord de la boucle du Niger.
Le gouvernement est profondément fragilisé par la situation. Mécontents et sous-équipés, de nombreux soldats de l’armée malienne remettent en cause l’autorité du président de la République Amadou Toumani Touré. L’armée renverse le gouvernement le 22 mars 2012 lors d’un coup d’État, quelques semaines seulement avant la tenue des élections présidentielles. Selon le capitaine Amadou Haya Sanogo, ce coup d’État est justifié par « l’incapacité du gouvernement à donner aux forces armées les moyens de défendre l’intégrité [du] territoire national ».
Le coup d’État ne change rien à la situation du pays, qui s’enfonce un peu plus dans la guerre chaque semaine. Le 6 avril 2012, le MNLA proclame l'indépendance de l'Azawad – indépendance que la communauté internationale ne reconnaît pas. Progressivement supplanté sur le terrain par les djihadistes, le MNLA est expulsé des villes conquises et se retrouve de plus en plus en difficulté. Il décide de s’allier à la fin du mois de mai avec le groupe Ansar Dine ; ensemble, ils créent l’éphémère Conseil transitoire de l'État islamique de l'Azawad, dont l’existence sera remise en cause au bout de vingt-quatre heures seulement.
Alarmée par la menace que font peser les groupes djihadistes sur la paix de la région et la sécurité internationale ainsi que par les exactions commises contre les populations, soumises à la charia, la communauté internationale décide d’agir. Le 20 décembre 2012, le Conseil des Nations unies vote la résolution 2085 autorisant la création de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) sous conduite africaine. Cette mission a pour objectif d’aider le Mali à reconstituer ses forces de défense et d’aider l’armée malienne à reprendre les zones occupées de son territoire. La mission est censée débuter au second semestre de 2013, mais l’aggravation de la situation va précipiter son déploiement.
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Arrêter la progression des djihadistes et reconquérir les territoires occupés
Le 9 janvier 2013, les djihadistes lancent une nouvelle offensive dans la zone qui sépare le sud et le nord du pays. Ils s’emparent de la ville de Konna le 10 janvier puis s’avancent vers Mopti et Diabaly, verrou stratégique sur la route de Bamako. Le président de la République malienne demande à la France d’intervenir pour stopper leur progression. Le 11 janvier 2013, le président de la République François Hollande annonce l’intervention de l’armée française dans le cadre de l’opération Serval. Il reçoit l’appui du Conseil de sécurité de l’ONU le 14 janvier 2013 puis l’approbation de la majorité de la communauté internationale.
Déployées depuis Ouagadougou (Burkina Faso), les forces spéciales françaises interviennent le jour même du lancement de l’opération Serval. Elles prennent position à Markala, aux côtés de l’armée malienne, pour arrêter la progression des djihadistes et les empêcher de se diriger vers la capitale, Bamako. Les forces spéciales seront progressivement rejointes par des troupes françaises prépositionnées au Tchad, au Sénégal, au Gabon et en Côte d’Ivoire dans le cadre des dispositifs Épervier et Licorne, ainsi que des soldats stationnés en métropole. Plus de 4 500 hommes et femmes sont impliqués dans cette opération qui bénéficie d’un important soutien aérien.
L’offensive éclair porte ses fruits : la colonne de djihadistes qui évoluait vers le sud du pays est arrêtée et ses combattants prennent la fuite. Grâce aux efforts des armées malienne, française et tchadienne, les principales villes de la boucle du Niger sont reconquises au bout d’un mois d’intervention. Markala est libérée le 17 janvier, Gao le 26 janvier et Tombouctou le 28 janvier. Les soldats sont accueillis en libérateurs par la population, tout comme François Hollande qui, lors d’un déplacement à Bamako le 2 février, déclare vivre « le plus beau jour de [sa] carrière politique ».
Une fois les principales villes du nord du pays reprises, la seconde phase de l’opération peut débuter. L’armée française se lance sur les traces des djihadistes, principalement dans l’Adrar des Ifoghas et la région de Gao, traquant les combattants jusqu’au milieu du désert pour les déloger de leurs bases arrière. C’est une opération extrêmement minutieuse et éprouvante pour les troupes. En effet, pour fouiller les vallées, paysages désertiques au relief accidenté, les troupes doivent le plus souvent progresser à pied. Elles entreprennent de longues marches dans le désert, avec plusieurs dizaines de kilos de matériel sur le dos, le tout dans des conditions climatiques intenses avec des températures avoisinant les 60°C.
Du point de vue logistique, l’opération Serval représente également un important défi pour l’armée française. Les troupes doivent être approvisionnées quasi quotidiennement en carburant, nourriture, eau, armes et munitions, et ce parfois au beau milieu du désert. D’importants moyens sont mis en place pour appuyer les troupes. Composés d’une centaine de véhicules, certains convois s’étendent sur plus d’une dizaine de kilomètres, telles des caravanes traversant le désert.
Le dispositif s’étend avec Barkhane
Malgré les progrès réalisés durant les premiers mois de l’opération, la situation est loin d’être réglée pour autant. Bien qu’affaiblis, les djihadistes continuent de mener des attaques dans les principales villes, visant parfois directement les armées engagées dans le conflit. Profitant de la déroute des djihadistes mis en fuite par la coalition, les membres du MNLA reprennent le contrôle de certaines villes. Afin de parvenir à une solution, le gouvernement malien engage des négociations avec les rebelles. Le 18 juin 2013 est signé à Ouagadougou un accord dans lequel les indépendantistes touareg acceptent que l’élection présidentielle de juillet se tienne comme prévu dans le nord du pays.
La communauté internationale continue de suivre de près l’évolution de la situation. Le 25 avril 2013, le Conseil de sécurité des Nations unies vote la création de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) via la résolution 2100. Cette nouvelle mission a pour objectif de prendre le relais de la MISMA mise en place un an et demi auparavant. L’opération Serval se poursuit quant à elle jusqu’au 13 juillet 2014, date à laquelle est lancée l’opération Barkhane, qui vient poursuivre les efforts fournis depuis janvier 2013 par l’armée française tout en étendant le dispositif à l’ensemble de la région du Sahel.
Durant cette première année et demie de présence au Mali, les forces françaises ont contribué à arrêter la progression des rebelles et des djihadistes vers le sud du pays, à appuyer l’armée malienne dans la reconquête du territoire national et à protéger la population. Neuf soldats français ont perdu la vie durant l’opération Serval. Quarante-neuf autres militaires trouveront la mort durant l’opération Barkhane entre 2014 et 2022.
Maxime Grandgeorge
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