1919, le premier 14 juillet célébré à Strasbourg

Premier 14 juillet célébré par l’Alsace, le 14 juillet 1919 est l’occasion pour les Alsaciens de fêter leur réintégration dans le territoire national après un demi-siècle d’annexion allemande. Mais derrière les cris de joie se cachent les doutes et la douleur d’une population tiraillée entre deux nations.


Redevenir français : une transition parfois difficile

Strasbourg. Le 6e Hussard. [légende d'origine]
  • Strasbourg. Le 6e Hussard. [légende d'origine]
  • Date de fin : 1918-11-25
  • Lieu(x) :
  • Auteur(s) : Gadmer Frédéric
  • Origine : SPA/SPCA
  • Référence : SPA 227 H 7483
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Quelques jours après l'armistice, l'armée française défile dans les rues de Strasbourg. les troupes du 6e régiment de hussard, défilent à cheval sabres à la ...

Annexées par l’Allemagne en 1871 à l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870, l’Alsace et la Loraine réintègrent le territoire français de facto après l’armistice du 11 novembre 1918. Le retour des provinces perdues dans le giron français, qui a fait l’objet d’un culte à la fin du XIXe siècle, est confirmé quelques mois plus tard par le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919. Les populations alsaciennes et lorraines recouvrent donc la nationalité française, au terme de près de cinquante années passées sous la bannière de l’empire allemand.

Si les troupes françaises sont accueillies avec une certaine ferveur par la population alsacienne, comme à Strasbourg le 22 novembre 1918, la situation n’en est pas moins complexe pour les habitants d’Alsace. Elle l'est particulièrement pour les deux générations d’Alsaciens, sans attache particulière avec la France, qui sont nées entre 1871 et 1918.


La transition s’annonce d’autant plus difficile que, à l’exception de quelques milliers d’Alsaciens qui ont réussi à rejoindre l’armée française, les hommes de la région ont combattu au sein de l’armée allemande durant la guerre. Les inscriptions gravées sur les monuments aux morts veilleront à taire leur armée d’appartenance, la plupart des soldats alsaciens n’étant pas morts pour la France mais en combattant contre elle.


Strasbourg. Costumes d'alsaciennes assistant à la fête. [légende d'origine]
  • Strasbourg. Costumes d'alsaciennes assistant à la fête. [légende d'origine]
  • Date de fin : 1918-11-22
  • Lieu(x) :
  • Auteur(s) : Gadmer Frédéric
  • Origine : SPA/SPCA
  • Référence : SPA 227 H 7472
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Les troupes françaises font leur entrée dans Strasbourg, 11 jours après l'armistice. Date d'entrée avancée afin de mettre fin au soviet de Strasbourg. Ils so...

La transition de l’empire allemand à la République française débute dès le mois de novembre 1918. Pour reprendre le contrôle effectif du territoire, la France doit déployer son administration, dont les agents seront bilingues afin de permettre aux administrés de se faire comprendre tout en favorisant la langue française. Les habitants allemands sont invités à quitter le territoire, tout comme les Français jugés trop germanophiles, quand ils ne sont pas tout simplement expulsés. 60 000 personnes de nationalité allemande, dont des fonctionnaires, des universitaires et des notables, sont concernées par ces mesures qui créeront un certain ressentiment parmi la population.


Le 14 juillet, une tradition nouvelle pour l’Alsace

Défilé du 14 juillet 1919 à Strasbourg  Défilé du 14 juillet 1919 à Strasbourg
Défilé du 14 juillet 1919 à Strasbourg (Extraits de la vidéo 14.18-B-803)

Lorsque l’Alsace réintègre le territoire national, ses habitants doivent se familiariser à nouveau avec la culture française, sa législation (différente du droit allemand), ses rites et ses traditions, dont la fête nationale. La dernière fois que les Alsaciens avaient célébré la fête nationale en France, c’était en 1870. À l’époque, tandis que le Second empire brillait de ses derniers feux, c’est la Saint-Napoléon – fête inventée de toute pièce par Napoléon Ier pour coïncider avec la date de son anniversaire – qui faisait office de fête nationale. Fêtée de 1806 à 1813, la Saint-Napoléon fut reprise par Napoléon III, afin de s’inscrire dans l’héritage de son oncle.


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Quelques mois après avoir retrouvé la France, son administration et sa langue (du moins pour les actes officiels), les Alsaciens s’apprêtent donc à célébrer leur premier 14 juillet. La fête est nouvelle pour eux, puisqu’elle a été instituée en 1880 par les Républicains qui souhaitaient se démarquer des régimes monarchistes et impériaux antérieurs. Le choix de la date n’a pas été aisé : il fallait trouver un événement qui fasse consensus à gauche comme à droite, les partisans des deux camps ne souhaitant pas commémorer les mêmes épisodes de l’Histoire française. Les Républicains finissent par s’accorder sur la date du 14 juillet, qui renvoie à deux événements majeurs de la Révolution : la prise de la Bastille en 1789, qui mit le feu aux poudres révolutionnaires ; et la fête de la Fédération en 1790, qui célébra la concorde nationale.


Si le 14 juillet 1919 est important pour la France, qui célèbre sa victoire contre l’Allemagne, il l’est plus encore pour l’Alsace qui célèbre sa libération et son retour dans la mère patrie. Instaurée pour célébrer la République et créer une cohésion autour du nouveau régime politique, la fête du 14 juillet retrouve ici tout son sens : c’est à travers cette nouvelle fête que l’Alsace doit retrouver sa place dans la nation.


Vainqueurs ou vaincus ? Une fête ambivalente

Habitants de Strasbourg dansant lors de la kermesse du 14 juillet 1919   Foule lors de la fête du 14 juillet 1919 à Strasbourg
Festivités du 14 juillet 1919 à Strasbourg (Extraits de la vidéo 14.18-B-803)

Pour ce premier 14 juillet, les habitants de Strasbourg découvrent le traditionnel défilé militaire, habituellement réservé à la ville de Paris. Les troupes défilent dans la ville en présence du général Goybet, adjoint au gouverneur militaire de Strasbourg, acclamées par la foule. Alexandre Millerand, commissaire général de la République à Strasbourg, ancien ministre de la Guerre, remet les décorations de la promotion du 14 juillet et rend un hommage au monument aux morts éphémère qui a été érigé sur l’ancienne place impériale, où il dépose une gerbe. Les bâtiments officiels et les statues de la ville ont été pavoisés spécialement pour l’occasion. Après un demi-siècle d’occupation allemande, le drapeau tricolore flotte à nouveau dans toute la ville.


Les Alsaciens sont nombreux à s’être déplacés pour admirer les soldats victorieux. La place Kléber est envahie par une foule compacte qui ne laisse qu’un mince passage pour les cortèges. Les spectateurs sont massés sur les places et aux balcons, pleins à craquer, pour profiter du spectacle. Ils saluent les soldats qui défilent en agitant leur mouchoir ou leur chapeau dans les airs. La journée est également marquée par différentes festivités populaires, dont le défilé des sociétés musicales et sportives alsaciennes, une fête nautique et une grande kermesse. De nombreuses femmes ont revêtu le costume traditionnel alsacien, avec sa célèbre coiffe à nœud. Selon certains témoignages, des hommes particulièrement attachés à la France auraient même sorti du placard l’uniforme militaire français de 1870 !


Les images filmées par les opérateurs du Service cinématographique de l’armée (SCA) montrent des habitants heureux, célébrant la nation française, ses soldats et sa victoire. Mais les démonstrations de patriotisme ne doivent pas faire oublier pour autant l’ambivalence avec laquelle une partie de la population vécut ce premier 14 juillet. Sur l’arc de triomphe qui a été spécialement dressé pour l’occasion sur l’avenue de la Paix, on peut lire l’inscription « Gloire aux vainqueurs ! ». La célébration des « vainqueurs », plutôt que celle de la France victorieuse, laisse entendre que la population locale ne fait pas partie desdits vainqueurs. À travers cette banderole, c’est l’Alsace vaincue qui semble accueillir la France victorieuse.


Ce détail laisse entrevoir, en pointillés, la schizophrénie d’une communauté tiraillée entre deux nations, deux identités et deux cultures. Tout en marquant le retour dans la nation française de l’Alsace-Loraine, le 14 juillet 1919 semble paradoxalement souligner l’écart qui sépare les populations locales du reste de la population nationale. Il faudra plusieurs années et une importante politique de francisation pour que l’Alsace retrouve toute sa place dans la communauté nationale.


Maxime Grandgeorge


Pour aller plus loin

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