Les « anges blancs » : les infirmières de 1914-18
Des dizaines de milliers de femmes s’engagent en tant qu’infirmières pour venir en aide aux soldats français entre 1914 et 1918. Surnommées « anges blancs », ces héroïnes de la Grande Guerre participent à sauver d’innombrables vies, prodiguant soins et réconfort aux hommes meurtris.
Infirmière, de la vocation à la profession
La médecine connaît une véritable révolution au XIXe siècle grâce aux découvertes scientifiques majeures de Philippe Semmelweis (asepsie), Joseph Lister (antisepsie), Pasteur (vaccin contre la rage), parmi de nombreuses autres. Le développement de la médecine expérimentale, théorisée par Claude Bernard, s’accompagne d’un processus de professionnalisation du milieu médical et de sécularisation des hôpitaux. Ces derniers, anciennement lieux d’asile pour les pauvres et les indigents, deviennent des établissements médicaux où l’on ne se contente plus seulement de prendre soin mais où l’on soigne. Les bonnes sœurs, qui avaient le quasi-monopole du soin des malades et des blessés jusque-là, sont peu à peu concurrencées par une nouvelle figure qui émerge dans les années 1850 et 1860 : l’infirmière.
L’infirmière – l’activité devient majoritairement féminine dès la fin du XIXe siècle – a pour mission d’assister le médecin dans ses tâches. Elle surveille les malades et participe aux soins. D’abord considéré comme une vocation, le métier se professionnalise notamment grâce aux efforts de Florence Nightingale, Britannique reconnue comme la première infirmière professionnelle. L’une de ses premières missions d’envergure se déroule pendant la guerre de Crimée où, accompagnée de plusieurs dizaines d’infirmières, elle vient en aide aux soldats qui s’affrontent.
La formation des infirmières se développe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le médecin militaire Bourneville crée la première école d’infirmière en 1878 à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris. Les pouvoirs publics ne tardent pas à encadrer cette activité primordiale pour le monde de la santé. L’année 1899 voit la création d’une école professionnelle infirmière à Lyon, la dispensation des premiers cours théoriques par la Croix-Rouge à ses bénévoles et la publication d’une circulaire imposant la création d’une école d’infirmière dans chaque faculté de médecine.
Une mobilisation sans précédent
Pris de court par la déclaration de guerre de l’été 1914, le Service de santé de l’Armée dispose de très peu de temps pour reconstituer ses stocks de médicaments et de vaccins et mettre sur pied un bataillon médical. Les infirmières professionnelles, qui atteignent le nombre de 30 000 en 1918, sont mobilisées dès les premières semaines du conflit. Mais la situation devient vite intenable : l’afflux de blessés sature les infirmeries et les hôpitaux, qui manquent d’effectifs à cause de la mobilisation d’un certain nombre d’infirmiers militaires.
Pour faire face à la demande, l’armée doit faire appel à la société civile. Emportées par un élan patriotique sans précédent, des dizaines de milliers de femmes se portent volontaires pour secourir les hommes partis défendre la nation. La grande majorité d’entre elles, qui n’ont aucune expérience médicale et partagent une image édulcorée du métier, ne se doutent absolument pas de ce qui les attend. « Toutes les femmes mues par un bel élan de patriotisme et un besoin d’abnégation voulaient être infirmières, bien que beaucoup d’entre elles fussent incapables de supporter la vue du sang », raconte Julie Crémieux dans ses Souvenirs d’une infirmière. À l’inverse, des médecins remarquent la passion quasi morbide de certaines recrues pour lesquelles le dévouement semble devoir se mesurer à la gravité des blessés pris en charge.
Organisation humanitaire créée par Henry Dunant à la suite de la bataille de Solférino, la Croix-Rouge joue un rôle primordial durant la guerre. Grâce à ses milliers d’adhérentes, c’est elle qui fournit la quasi-totalité des 68 000 infirmières bénévoles. Elles sont réparties dans trois sociétés : la Société de secours aux blessés militaires (SSBM), l’Union des femmes (UFF) et l’Association des dames françaises (ADF). La Croix-Rouge leur propose différentes formations diplômantes dont la durée varie entre deux et six mois. Le Service de santé peut également compter sur les religieuses qui exercent dans les hôpitaux privés (elles ne peuvent plus travailler dans les établissements publics depuis la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905).
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Panser, récurer et cuisiner
Polyvalentes, les infirmières assurent aussi bien des tâches thérapeutiques que domestiques. Leur principale mission consiste à assister les médecins dans les soins : elles stérilisent le matériel, préparent les pansements, font la toilette des patients et s’assurent qu’ils prennent leur traitement. « Aux médecins la blessure, aux infirmières le blessé », répète à ses équipes Alfred Mignon, médecin inspecteur général. Il est communément admis à l’époque que les femmes sont naturellement prédisposées à soigner les malades en raison de leur instinct maternel. Quoiqu’il en soit, elles apportent aux soldats un soutien moral indispensable. Souvent privés de contact avec la gent féminine depuis de longs mois, ces derniers trouvent un peu de réconfort auprès de ces femmes dévouées qui leur rappellent sans doute une mère, une épouse ou une sœur.
Si les infirmières sont parfois appelées à réaliser elles-mêmes des soins, il n’est pas question de les laisser exercer le rôle de médecin. Pour pouvoir apporter leur aide, les femmes médecins sont obligées de renier leur diplôme et de s’engager en tant qu’infirmières. Rares sont les doctoresses à pouvoir officiellement exercer leur fonction. Nicole Girard-Mangin est la seule femme à obtenir le titre de médecin major, en 1916. Suzanne Noël, qui n’a pas encore obtenu son diplôme quand la guerre éclate, est autorisée à rejoindre Hippolyte Morestin, célèbre chirurgien maxillo-facial auprès duquel elle a étudié, dans le service qu’il dirige à l’Hôpital militaire du Val de Grâce. Elle y opère de nombreuses gueules cassées et devient l’une des pionnières de la chirurgie esthétique.
Les infirmières assument également un rôle logistique primordial. Elles sont chargées de conduire la vie de l’établissement dans lequel elles travaillent, de s’occuper des stocks de matériels et de médicaments, de gérer l’administration, de faire la cuisine et le ménage. Elles retrouvent donc le rôle social qui était le leur avant la guerre, celui de femme au foyer, avec la double mission de prendre soin de la famille et d’entretenir la maison.
Les « anges blancs », des héroïnes nationales méconnues
Qu’elles soient civiles ou militaires, bénévoles ou salariées, les infirmières se démènent pour sauver des vies. Elles prodiguent les premiers soins sur tous les fronts, partout où cela est possible : dans les hôpitaux (militaires, civils, auxiliaires et temporaires), les gares, les trains, les camions sanitaires, les navires-hôpitaux et parfois même directement sur le champ de bataille. Elles sont confrontées à l’horreur de la guerre comme peu de personnes le sont en dehors des soldats eux-mêmes et assistent aux ravages produits par l’armement moderne (obus, gaz). Elles veillent sur les malades, encouragent les soldats pendant leur rééducation et accompagnent les mourants.
Célébrées dans tout le pays comme des héroïnes pour leur bravoure, les infirmières deviennent de véritables icones patriotiques. On les surnomme les « anges blancs » en référence à leur voile blanc, les « humbles servantes du soldat » ou encore les « vaillantes ». Elles forment « la quatrième armée » sous la plume d’Émile Bergerat dans l’édition du Figaro du 29 décembre 1915 et sont souvent comparées à Jeanne d’Arc. Leur effigie est reproduite sur tout type de supports : affiches, cartes postales, poupées et statuettes. Empreinte de références religieuses, l’iconographie qui se développe durant la guerre met en avant la douceur maternelle des infirmières. Elles sont généralement représentées sous les traits d’une jeune femme au chevet d’un malade ou bien courant au secours d’un soldat à terre. Bien que caricaturale, l’image attendrit la population et motive tout un pays.
Si elles ne prennent pas les armes, les infirmières ne sont pas épargnées pour autant par la guerre. On estime que trois-cent-cinquante d’entre elles ont perdu la vie durant le conflit, tuées lors de bombardements ou succombant à la maladie. Plus de dix-mille infirmières françaises ont été décorées pour leur engagement durant la Première Guerre mondiale. Un monument « à la gloire des infirmières françaises et alliées victimes de leur dévouement » est érigé à Reims en 1924 à l’initiative de Juliette Adam, écrivaine et féministe surnommée « la grand-mère de la patrie ».
Trop souvent oubliée durant le siècle passé, leur contribution commence aujourd’hui à être reconnue à sa juste valeur. En 2021, trois infirmières mortes pendant la guerre alors qu’elles travaillaient à l'hôpital Paul-Guiraud ont même vu leur nom inscrit sur le monument aux morts de Villejuif.
Pour aller plus loin
L'exposition Infirmières, héroïnes silencieuses de la Grande Guerre est à découvrir au Musée de la Grande Guerre de Meaux du 8 avril au 31 décembre 2023.
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