Berlin en 1945 : l’année zéro


Défigurée par les bombardements alliés, Berlin est méconnaissable lorsque la Seconde Guerre mondiale prend fin en mai 1945. De titanesques travaux de reconstruction attendent les Alliés qui occupent la ville. Tandis que les ruines du régime nazi sont encore fumantes, la capitale allemande devient l’enjeu d’un nouveau conflit : la Guerre froide.

Berlin, trophée de guerre des Soviétiques

Réunion à Berlin des représentants des pays alliés.
  • Réunion à Berlin des représentants des pays alliés.
  • Date de fin : 1945-06-05
  • Lieu(x) :
  • Auteur(s) : Verdu Vincent
  • Origine : SCA
  • Référence : TERRE 10570-G4
  • Accéder à la notice
Sur le perron du quartier général des forces soviétiques à Berlin, les quatre membres de la commission de contrôle interalliée de l'Allemagne posent pour les...

Du 4 au 11 février 1945, Winston Churchill, Franklin Delano Roosevelt et Joseph Staline se rencontrent à Yalta, en Crimée, pour discuter de la suite de la guerre et décider du sort à réserver à l’ennemi allemand. Les Alliés souhaitent, une fois le conflit terminé, redessiner la carte de l’Allemagne et diviser son territoire en différentes zones. Plusieurs plans de partition très différents sont proposés. Les trois représentants alliés décident finalement de se partager le pays en trois zones d’occupation – une quatrième zone sera créée pour la France à partir de la conférence de Potsdam. Il est prévu que la ville de Berlin, enclavée dans la zone soviétique, soit elle-même divisée en différentes zones.


Tandis que la Conférence de Yalta prépare déjà l’après-guerre, le conflit continue de faire rage. L’avancée des Alliés entame un peu plus chaque mois le territoire du Troisième Reich. Sur le front ouest comme sur le front est, les armées alliées s’approchent de plus en plus de la frontière allemande. Centre du pouvoir nazi, Berlin n’est pas épargnée par le feu des Alliés. En proie à de nombreux bombardements depuis 1943, la ville reçoit un déluge d’acier qui s’intensifie à mesure que l’issue du conflit se confirme en faveur des Alliés.


Le 16 avril 1945, l’armée soviétique se lance dans la bataille de Berlin, ultime bataille terrestre sur le front occidental. C’est sans ses alliés que l’URSS s’élance vers la capitale allemande, conformément à ce qui avait été décidé à Yalta. Le symbole est fort : après avoir repoussé l’offensive d’Hitler, les Soviétiques veulent être les seuls artisans de la victoire finale. Les soldats de l’Armée rouge encerclent la ville le 24 avril, donnent l’assaut le 26 et s’emparent du Reichstag le 30. Le jour même, Hitler se suicide dans son bunker, reconnaissant ainsi implicitement sa défaite.


L’acte de reddition est signé le 7 mai 1945 à 2 h 41 du matin à Reims, où se trouve le quartier général de l'état-major suprême des Forces expéditionnaires alliées en Europe dirigé par le général Eisenhower. Les combats doivent cesser le lendemain à 23 h 01. Furieux que la signature ait eu lieu à Reims et non à Berlin, Staline exige que l’acte soit à nouveau signé dans la capitale allemande, qui vient d’être libérée par l’armée soviétique. C’est chose faite le 8 mai en fin de soirée, heure allemande. Au moment où l’acte est signé, il est déjà le 9 mai en Europe orientale, ce qui explique pourquoi les pays de l’est commémorent la victoire à cette date.



Une ville défigurée par les bombes


Lorsqu’ils sortent des abris, souvent de fortune, où ils s’étaient réfugiés durant les derniers jours des combats, les Berlinois sont stupéfaits du spectacle désolant qui s’offre à eux. Tandis qu’ils s’aventurent prudemment dans les rues, se frayant un chemin dans les décombres, la vue obstruée par la poussière et la fumée, ils découvrent une ville ravagée en profondeur par les raids aériens et l’artillerie des Alliés. On ne compte plus les immeubles incendiés, effondrés ou éventrés, ceux dont les toits ont été détruits et ceux dont les vitres ont été soufflées. La moitié des habitations est endommagée ; environ un tiers est inhabitable.


Présents sur place à partir du mois de juillet, les opérateurs français du Service cinématographique de l’armée (SCA) arpentent la capitale avec leur caméra pour témoigner du terrible état dans lequel elle se trouve. Les images tournées dévoilent une ville en ruines envahie par les amas de gravats où l’on peut voir les enfants jouer sur des tanks abandonnés. Certains quartiers ont été entièrement détruits. L’objectif des caméramans passe notamment devant le Berliner Dom et le Reichstag, qui tiennent toujours debout malgré les sévices qu’ils ont subis, la Porte de Brandebourg criblée d’impacts de balles et le grand stade de Berlin, qui a des airs d’amphithéâtre antique à l’abandon.


Les travaux nécessaires pour remettre la ville en état s’annoncent monumentaux. Parmi les personnes qui participent à la remise en état de Berlin figurent des prisonniers de guerre, des travailleurs forcés, des professionnels mais également des civils, sollicités par les autorités alliées, dont de nombreuses femmes que l’on surnommera bientôt les « femmes des ruines » (Trümmerfrauen). Veuves ou seules pour la plupart, elles sont plusieurs dizaines de milliers à prêter main forte pour détruire les bâtiments abîmés qui sont toujours debout, déblayer les rues et récupérer les matériaux qui peuvent être réutilisés. Ces femmes, que l’on voit faire des chaînes au milieu des décombres et se passer des seaux remplis de terre, sont visibles dans les images tournées par le SCA et conservées par l’ECPAD. Les gravas rassemblés seront notamment utilisés pour construire des collines artificielles dans la ville, comme le Teufelsberg à Berlin-Ouest.


Vue de Berlin en ruines à l'été 1945  Vue de Berlin en ruines à l'été 1945
Vues de Berlin en ruines à l'été 1945 © ECPAD (Extraits de la vidéo ACT-951))

À lire ensuite : Berlin, années 1930 : le crépuscule de la République de Weimar


Les Berlinois, victimes collatérales de la victoire


La ville retrouve peu à peu un semblant de normalité au fil, des semaines qui suivent la fin du conflit, comme le montrent les images tournées à l’été 1945. Une salle de cinéma recommence à accueillir du public tandis que les parcs retrouvent une importante fréquentation. Mais la situation est encore très précaire, la ville n’ayant plus accès à l’eau, à l’électricité et au gaz, tandis que la nourriture manque cruellement. Les habitants se réchauffent comme ils peuvent, font la queue devant les commerces de bouche en espérant avoir trouver quelque chose à manger et doivent se rendre à la pompe pour se fournir en eau, comme on le faisait encore un siècle auparavant. Se retrouvant sans toit, une grande partie de la population n’a pas d’autre choix que de trouver des logements de fortune ou de s’entasser dans des appartements avec d’autres familles. Le cinéaste italien Roberto Rossellini dépeindra avec un réalisme frappant ce quotidien misérable dans son film Allemagne année zéro en 1948.


À ces conditions de vie dramatiques viennent s’ajouter les crimes de guerre commis par l’Armée rouge. Bien décidés à se venger des soldats nazis qui ont ravagé leur pays, les soldats soviétiques multiplient les exactions (viols, pillages et destructions) contre la population et le patrimoine allemand. Le nombre de femmes violées à Berlin entre avril et septembre 1945 est estimé à 100 000 – certains historiens avancent même le chiffre de 200 000. Les comportements abusifs des soldats de l'U.R.S.S. sont couverts par le communiste allemand Walter Ulbricht, l’un des principaux responsables de la zone d’occupation soviétique. Il interdit même aux femmes violées de se faire avorter afin de ne pas nuire à la réputation de l’Armée rouge.


Victorieux, les soldats de l'Armée rouge s’approprient tout ce qu’ils peuvent dans la ville. Accompagnés de spécialistes de l’art qui les renseignent sur les œuvres de valeur, ils se servent dans les collections privées et publiques, comme les nazis l’avaient fait dans les pays qu’ils occupaient. Non contents du butin qu’ils s’octroient, ils vont parfois jusqu’à détruire et saccager ce qu’ils ne peuvent emporter avec eux. Si quelques œuvres sont rendues à leurs propriétaires dans les années 1950, une grande partie des objets volés serait toujours conservée en Russie aujourd’hui, à l’abri des yeux du public.


Femmes participant aux travaux de reconstruction à Berlin  à l'été 1945  Berlinois faisant la queue devant un magasin à l'été 1945
Femmes déblayant les rues et Berlinois faisant la queue devant un magasin durant l'été 1945 © ECPAD (Extraits de la vidéo ACT-951))

D’une guerre mondiale à une autre


Les armées américaine, britannique et française n’entrent dans Berlin que début juillet, deux mois après l’arrivée de l’armée soviétique. Conformément aux dispositions prises à la Conférence de Yalta, la ville est partagée en quatre zones d’occupation entre les Soviétiques, les Américains, les Britanniques et les Français. Les portraits des trois « vainqueurs » de la Seconde Guerre mondiale sont affichés dans la ville : Joseph Staline, Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill, ceux-là mêmes qui ont décidé du sort de Berlin. Si chaque pays organise son secteur et installe des panneaux dans sa propre langue, les Soviétiques, conscients que la population allemande a été abreuvée par la propagande anticommuniste des nazis, ne lésinent pas sur les affiches vantant les mérites de l’Armée rouge. La bataille idéologique commence à se mettre en place…


Dans les premiers mois qui suivent la fin du conflit avec le Troisième Reich, les dirigeants occidentaux pensent pouvoir compter sur leur allié soviétique, dont le dirigeant exerce une certaine fascination sur eux. Après la conférence de Potsdam de juillet 1945, Churchill parle de Staline comme d’un « ami en qui on peut avoir confiance », tandis que Truman le juge « honnête » mais concède qu’il est « vraiment très malin ». Dans ses mémoires rédigés des années plus tard, De Gaulle dresse un portrait plus ambivalent de Staline où transparaît malgré tout la séduction exercée par le « petit père des peuples ».


Une certaine complicité se noue également entre les généraux Lucius Clay et Brian Robertson, respectivement gouverneurs des zones américaine et anglaise de l’Allemagne, et le maréchal Sokolovski, leur homologue soviétique. Mais des tensions émergent rapidement entre l’Est et l’Ouest et les Occidentaux commencent à avoir des doutes sur les intentions de Staline. Va-t-il imposer le modèle communiste à la partie est de l’Allemagne ? Les craintes des Occidentaux se confirment au fil des mois.



Le 5 mars 1946 au Westminster College de Fulton, dans le Missouri, l’ancien Premier-ministre britannique Winston Churchill jette un pavé dans la marre. « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer est tombé sur le continent », déclare-t-il, faisant autant preuve de clairvoyance que d’audace. C’est un point de rupture pour les anciens alliés, dont les relations ne cesseront dès lors de se détériorer.


Le 24 juin 1948, la première grande crise éclate entre l’Est et l’Ouest : l’Union soviétique organise le blocus de la partie ouest de Berlin, sous contrôle des puissances occidentales. Celles-ci arrivent à tenir bon en mettant en place un pont aérien qui permet de ravitailler les deux millions d’habitants de la ville pendant plusieurs mois. Les Soviétiques lèvent le blocus le 12 mai 1949, sans que la situation stratégique n’ait changé.


Le 23 mai, une dizaine de jours seulement après la fin du blocus de Berlin, les puissances occidentales annoncent la création de la République fédérale d’Allemagne (RFA), qui englobent les zones d’occupation américaine, britannique et française, soit la partie ouest de l’Allemagne et la partie ouest de la ville de Berlin, faisant ainsi sécession avec les Soviétiques. Les liens sont définitivement rompus avec l’URSS, qui crée à son tour la République démocratique d’Allemagne (RDA) le 7 octobre 1949. La Guerre froide est déclarée.


Enclavée dans la partie soviétique de l’Allemagne mais partagée entre deux camps idéologiques, Berlin devient un point stratégique tout au long de ce conflit asymétrique dont le mur de Berlin, construit en 1961, restera l’un des symboles les plus célèbres jusqu’à sa démolition en 1989.


Vue du secteur britannique de Berlin à l'été 1945  Affiche soviétique dans Berlin à l'été 1945
Vus des secteurs britannique et soviétiques dans Berlin à l'été 1945 © ECPAD (Extraits de la vidéo ACT-951)

Pour aller plus loin

Pour en savoir plus sur la ville de Berlin, découvrez sur ImagesDéfense le focus :