Ils ont photographié et filmé Diên Biên Phu
Depuis l’opération Castor jusqu’à la libération des prisonniers français, une poignée d’opérateurs ont risqué leur vie pour photographier et filmer la bataille de Diên Biên Phu. Professionnels de l’audiovisuel ou amateurs, militaires de formation… Qui étaient ces soldats de l’image ?
De fin novembre 1953 à août 1954, une dizaine de reporters, photographes du Service presse information (SPI) et caméramans du Service cinématographique des armées (SCA) se relaient pour couvrir les événements de Diên Biên Phu. Âgés de moins de trente ans pour la plupart, ces opérateurs présentent des profils et des parcours variés.
Lorsqu’ils intègrent le SPI, certains sont déjà familiers du monde de l’audiovisuel, comme André Lebon (sept années dans l’industrie cinématographique), Paul Corcuff (diplômé de l’École technique de photographie et de cinématographie) et Daniel Camus (jeune reporter pigiste pour le magazine Paris Match).
Le photographe Daniel Camus, du Service presse information (SPI), se dégage de son harnachement après avoir atterri dans la vallée de Diên Biên Phu au cours de l'opération Castor.
Date : 22/11/1953 Référence : TONK 53-118 R9
En octobre 1953, près de huit ans après le début officiel du conflit, le général Giap, chef des forces armées du Vietminh, décide d’envoyer des troupes au sud du Tonkin, non loin de la frontière nord du protectorat français du Laos. Afin de les arrêter, le général Navarre, commandant en chef des forces françaises en Indochine, lance l’opération Castor, la plus grande manœuvre aéroportée de la guerre d’Indochine.
Du 20 au 22 novembre 1953, 4 500 soldats sautent sur Diên Biên Phu pour prendre position dans la plaine, située à quelques kilomètres du Laos. Ils y installent un camp retranché composé d’un poste principal et de points d’appui répartis dans la zone. Contraints par le relief escarpé de la région et la présence des troupes vietminh dans les alentours, l’armée française ne peut compter que sur la voie aérienne pour ravitailler ses troupes en vivres et en matériel.
Construites principalement avec des sacs de sable et des plaques de tôle, les installations françaises sont extrêmement précaires. Sous-estimant largement les moyens du Vietminh, le commandement français n’a en effet pas jugé nécessaire de faire construire des ouvrages en béton pour renforcer les abris et protéger les canons. Cette erreur stratégique sera lourde de conséquences durant la bataille.
Des opérateurs sous le feu de l’ennemi
Portrait du caporal-chef Pierre Schoendoerffer, caméraman du Service cinématographique des armées, dans une tranchée de Diên Biên Phu.
Date : 22/03/1954 Référence : NVN 54-42 R6
Les opérateurs travaillent dans des conditions difficiles. Sans même mentionner les risques inhérents à la guerre, les contraintes techniques sont nombreuses : manque de matériel (les pellicules particulièrement), appareils encombrants et peu maniables (notamment le Rolleiflex), capacité d’enregistrement limitée (20 secondes maximum par plan avec les caméras Bell & Howell). Malgré tous ces obstacles, ils parviennent à réaliser des images d’une rare puissance.
Le parachutage des 4 500 soldats entre le 20 et le 22 novembre 1953 est photographié par Daniel Camus. L’activité aux alentours du camp est notamment couverte par les photographes Raymond Martinoff (opération Régate) et Jean Péraud (opération Pollux), ainsi que le caméraman Pierre Schoendoerffer (opération Ardèche).
Les sous-effectifs du SPI ne permettant pas de couvrir en permanence les activités sur place, plusieurs équipes se succèdent dans les semaines qui suivent l’opération Castor. Les reportages documentent tour à tour l’emménagement et la fortification du camp, les sorties et opérations menées à l’extérieur du camp.
Le 13 mars, le Vietminh attaque le camp. Les opérateurs Raymond Martinoff et André Lebon sautent sur Diên Biên Phu sous le feu nourri de l’artillerie adverse. Le premier est immédiatement tué par une mine ; grièvement blessé, le second est amputé de la jambe droite avant d’être évacué. Le SPI envoie en renfort Pierre Schoendoerffer – tout juste remis d’une blessure – et Jean Péraud, auprès de Daniel Camus, déjà présent sur place. Tous les trois couvrent le conflit au plus près de l’action, jusqu’à la défaite. Malheureusement, seules les images réalisées avant le 27 mars ont pu parvenir jusqu’aux bureaux du SPI. Les pellicules et bobines des dernières semaines de la bataille ont disparu ou ont été détruites par leurs auteurs pour ne pas tomber aux mains de l’adversaire.
70 ans après la bataille de Diên Biên Phu, (re)découvrez les images marquantes de cette « glorieuse défaite » grâce aux archives de l'armée française !
La défaite vue depuis l’extérieur du camp uniquement
Le photographe du Service presse information (SPI) Jean Péraud, avec son appareil photographique Leica, dans une tranchée d'Isabelle à Diên Bien Phu.
Date : 18/03/1954 Référence : NVN 54-41 R45bis
Le mois d’avril et de mai sont néanmoins documentés depuis l’extérieur du camp par d’autres opérateurs. Paul Corcuff suit les forces aéronavales, en mer comme dans les airs, réalisant plusieurs reportages depuis le cockpit de bombardiers, tandis que le soutien logistique est couvert à l’arrière par, entre autres, Constans et René Adrian. Ce dernier suit également l’opération Condor (d’avril à début mai), mission de récupération des rescapés de la garnison de Diên Biên Phu durant laquelle il photographie les marches harassantes dans la jungle.
Dans les semaines qui suivent la défaite, les opérateurs Georges Liron, René Adrian, Fernand Jentile et Jean Lussan consacrent plusieurs reportages à l’évacuation des blessés, au rapatriement de certains d’entre eux vers la métropole et à la libération de prisonniers (fin août - début septembre).
À la chute du camp retranché, le 7 mai 1954, Daniel Camus, Pierre Schoendoerffer et Jean Péraud sont faits prisonniers par les troupes vietminh et internés dans des camps après une marche de plusieurs centaines de kilomètres à travers la jungle. Seuls les deux premiers reviendront vivants. Péraud et Schoendoerffer parviennent à s’échapper d’un camion lors d’un transfert au début du mois de juillet. Le caméraman est repris immédiatement tandis que le photographe s’évanouit dans la nature. On ne le reverra jamais. Camus et Schoendoerffer sont libérés à la fin de l’été après trois mois de captivité éprouvants.
Pierre Schoendoerffer, réalisateur, présente son film.
Date : 15/11/1977 Référence : F 77-568 L15BIS
L’après-guerre : des vies consacrées aux images
Les opérateurs qui ont couvert Diên Biên Phu suivent des itinéraires variés après la guerre. Daniel Camus reprend ses activités de reporter de guerre et réalise pour Paris Match des reportages qui feront date sur la bataille d’Alger (1957), la révolution cubaine (1959) et la révolution des Khmers rouges au Cambodge (début des années 1970).
André Lebon devient reporter pour Gaumont Actualités en Asie puis travaille pour des chaînes de télévision allemandes et américaines. En 1971, il rejoint l’établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA), héritier du SCA, en tant que chef-opérateur, et ce jusqu’à sa retraite.
Démobilisé à sa demande en janvier 1955, Pierre Schoendoerffer travaille une année comme reporter de guerre en Asie avant de s'accomplir comme réalisateur en France. Fortement marqué par son expérience indochinoise, Schoendoerffer ne cessera d’y revenir dans ses films, de La 317e section (1965) à Diên Biên Phu (1992). Il fera appel à plusieurs reprises à ses anciens camarades du SPI, comme Raoul Coutard ou Georges Liron, en tant que directeur de la photographie et cadreur.
Parallèlement à sa collaboration avec Schoendoerffer, Raoul Coutard poursuit son travail de photographe en Asie lors de missions ethnographiques, puis devient l’un des chefs-opérateurs les plus prisés de la Nouvelle Vague. On lui doit notamment la photographie d’À bout de souffle (1960), Le Mépris (1963) et Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard, Jules et Jim (1962) de François Truffaut, Lola (1960) de Jacques Demy, Chronique d'un été (1960) de Jean Rouch et Edgar Morin, ou encore Z (1969) et L'Aveu (1970) de Costa-Gavras. En tant que réalisateur, il consacre un film à la bataille indochinoise de Hoa-Binh (1970) et à l’opération de la légion étrangère à Kolwezi (1979).
Le lieutenant Raymond Cauchetier, qui a découvert la pratique photographique durant le conflit indochinois, couvre la guerre du Vietnam avant de participer, lui aussi, à l’aventure de la Nouvelle Vague en France en tant que photographe de plateau.
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Vous y trouverez :
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- - 165 photos, célèbres ou inédites, prises au coeur de la bataille ;
- - une introduction rédigée par l'historien Pierre Journoud retraçant les étapes du dernier affrontement majeur de la guerre d'Indochine ;
- - un texte de Marina Berthier, responsable du fonds Indochine à l'ECPAD, consacré aux photographes et caméramans de l'armée française qui ont documenté la bataille.