Les archives filmées du Débarquement et de la Bataille de Normandie

Tournés par les opérateurs de l’armée américaine durant l’été 1944, les films du fonds du Signal Corps retracent le Débarquement et la Bataille de Normandie. Ces images offrent un témoignage essentiel sur l’opération militaire, l’expérience des populations civiles et les dégâts engendrés.




Image du débarquement de NormandieImage du débarquement de Normandie
Des soldats entassés dans des barges s'apprêtent à débarquer en Normandie. Photogramme extrait du film 3H 007.

Les images du Débarquement de Normandie – barges remplies d’hommes, soldats à l’assaut des plages– font désormais partie de l’imaginaire collectif français, si ce n’est mondial. Tournées par les caméramans de l’armée américaine durant l’été 1944, ces images, principalement consacrées à l’opération Overlord et la Bataille de Normandie, composent le fonds d’archives intitulé « 3H » conservée à l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD).

Constitué de 208 bobines issues des actualités américaines, ce corpus de films appartient à la National Archives and Records Administration (NARA) située à Washington. Ces images représentent un témoignage essentiel pour la France, d’autant plus que l’armée française n’a pas pu couvrir l’événement, faute de moyens humains et techniques, la majorité des opérateurs tricolores participant alors à la campagne d’Italie.

Afin de compléter les collections d’archives françaises sur la Seconde Guerre mondiale, l’Établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA) a fait l’acquisition en 1989 de copies 35 mm sur support acétate de ces rushes. Intégralement numérisés, les 208 films, d’une durée totale de 32 heures et 30 minutes, sont disponibles à la consultation sur ImagesDéfense.

Ces films font partie des archives conservées par l’ECPAD qui n’ont pas été produites par l’armée française. En cela, les actualités américaines consacrées au Débarquement et à la Bataille de Normandie permettent de créer au sein de la collection Seconde Guerre mondiale qui comprend également des archives réalisées par les compagnies de propagande allemandes, un dialogue fécond où images alliées et ennemies se répondent.

Des opérateurs supervisés par les pontes d’Hollywood

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Des soldats alliés débarquent sur une plage en Normandie. Photogramme extrait du film 3H 040.

Peu de temps avant l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, l’armée américaine décide de renforcer son service audiovisuel. Elle acquiert un studio de cinéma désaffecté à New York afin d’y installer le Signal Corps Photographic Center (SCPC). Ce nouveau service rassemble l’unité chargée de produire les films de formation (Signal Corps Training Film Production Laboratory) et la division photographique du Signal Corps. Face à l’accroissement des activités cinématographiques, le service est renommé Signal Corps Pictorial Center puis Army Pictorial Center (APS).

L’armée fait appel alors au savoir-faire de nombreux réalisateurs et techniciens hollywoodiens, sollicitant même l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, l’organisation qui remet les Oscars. Deux stars du milieu sont choisies pour superviser les activités du service réorganisé : le producteur à succès Darryl F. Zanuck (qui retracera l’épopée du Débarquement dans le film Le Jour le plus long en 1961) et le réalisateur Frank Capra, respectivement récompensés d’un et trois Oscars à l’époque.

Les équipes de l’APS sont rattachées au United States Army Signal Corps, le service de l'armée américaine dédié aux communications et systèmes d'information. Les opérateurs photo et vidéo sont envoyés à travers le monde pour couvrir les différents terrains où sont engagées les troupes américaines.

Les images produites par les opérateurs sont remarquables par leur qualité. Construction du cadre, jeu sur les valeurs de plans, contraste lumineux... Les rushes des caméramans, tout comme les produits montés, n’ont rien à envier aux films de fiction produits par Hollywood à l’époque.

Le D-Day comme si l’on y était

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Des soldats américains avancent vers Cherbourg, fin juin 1944. Photogramme extrait du film 3H 094.

Les films de ce fonds couvrent les principales étapes du Débarquement, depuis la préparation de l’opération jusqu’à la libération progressive du territoire normand. Les images de l’embarquement des troupes en Angleterre et de la traversée de la Manche à bord des Liberty ships dévoilent le quotidien des soldats en dehors des zones de combat (référence 3H 158). On les voit se reposer, jouer aux dés pour passer le temps ou encore vérifier leurs armes.

Filmées au plus près de l’action, les images du débarquement du 6 juin sont l’occasion d’appréhender de manière quasi intime l’expérience vécue par les soldats. Les vues subjectives tournées à bord des barges, quelques minutes avant le moment fatidique, puis durant l’assaut, font partie des images les plus saisissantes de la série, au même titre que celles montrant des soldats s’effondrant sur la plage après avoir effectué seulement quelques pas.

Si les troupes américaines, britanniques et canadiennes apparaissent dès les premiers rushes, tournés début juin sur les cinq plages du débarquement (Omaha, Juno, Utah, Gold et Sword), il faut attendre le 1er août 1944, date du débarquement à Utah Beach de la 2e division blindée française (2e DB), pour apercevoir le général Leclerc et ses hommes (référence 3H 169), ainsi que les Rochambelles, surnom attribué aux ambulancières françaises engagées dans le Groupe Rochambeau.

Bien que le commando Kieffer ait participé au débarquement du 6 juin 1944, rares sont les images de cette unité française (seul un lieutenant du commando a été identifié aux cotés de soldats canadiens au sein de ces films).

De nombreux contenus consacrés au Débarquement de Normandie vous attendent sur le site de l'ECPAD !

Revivez le D-Day !

 

Une opération monumentale à la hauteur des enjeux

Des soldats américains combattent dans une ville de Normandie. Photogramme extrait du film 3H 031.

Les rushes permettent de prendre pleinement conscience de l’ampleur inédite de l’opération. Les vues, notamment aériennes, de l’armada alliée sont impressionnantes (référence 3H 062). Mis bout à bout, les rushes constituent un formidable défilé d’embarcations en tout genre (Landing Craft Assault, Landing Ship Tank, Landing Craft Infantry, camions amphibies DUKW…), de bombardiers, de ballons captifs et de chars (voir notamment la référence 3H 012).

Les aspects logistiques sont eux aussi largement mis en lumière à travers de nombreuses séquences consacrées au débarquement de matériel, aux travaux de construction (camps médicaux, ponts et ports artificiels) ainsi qu’aux ateliers de réparation (chaîne de montage de camions). Les États-Unis ont investi tous leurs efforts dans cette opération et ils sont bien décidés à le faire savoir.

Si l’effort engagé est phénoménal, les dégâts engendrés le sont tout autant. Pilonnés par les bombardements et l’artillerie alliés qui s’acharnent à repousser l’armée allemande, de nombreuses communes sont réduites en ruines (voir notamment la référence 3H 199). Certains villages, comme Rânes et Vire (référence 3H 177), ne sont plus qu’un amas de débris après les combats. Quant aux routes, elles sont bien souvent encombrées par des carcasses de véhicules encore fumantes.

Une vision humaine (et parfois inhumaine) du débarquement

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Des soldats allemands sont faits prisonniers durant la Bataille de Normandie. Photogramme extrait du film 3H 147.

Loin de se limiter à l’aspect purement stratégique de l’opération, ce fonds d’archives aborde un grand nombre de thématiques, offrant ainsi un regard pluriel sur le Débarquement et la Bataille de Normandie.

La population occupe une place primordiale dans ces films. Certaines bobines nous dévoilent la misère des habitants des zones de combat et celle des réfugiés qui, élancés sur la route de l’exil, voyagent avec pour seuls effets une valise ou un baluchon (référence 3H 007). D’autres témoignent du début de l’épuration sauvage, illustrant le sort réservé aux femmes accusées de collaboration, tondues, humiliées et bousculées (référence 3H 009).

Dans un registre tout autre, les nombreuses scènes de liesse mettent en avant l’enthousiasme de la population française lors de l’arrivée des Alliés. Ces moments de joie sont souvent vécus à travers le prisme des traditions locales. C’est le cas à Rennes, où des habitants forment une grande ronde et célèbrent la libération en dansant (référence 3H 009).

La fraternisation entre soldats et civils est soulignée à maintes reprises, les séquences d’embrassade entre soldats et jeunes Françaises en constituent l’exemple le plus célèbre. Mais, au-delà des effusions de joie, les films témoignent également du soutien apporté par la population aux soldats, pour dégager les routes encombrées ou, tâche plus éprouvante, pour ramasser les cadavres.

Les images de prisonniers allemands, incarnant les succès remportés par les Alliés, sont récurrentes. Qu’il s’agisse de séquences de transport, de fouille, d’interrogatoire ou de travaux, les prisonniers allemands sont toujours bien traités à l’écran. Parmi eux figurent également des soldats originaires des républiques soviétiques du Caucase ou d'Asie centrale, pour la plupart intégrés de force à l'armée allemande après avoir été faits prisonniers par les troupes du Reich (référence 3H 165).

De la Normandie… jusqu’à l’Asie

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Des soldats américains combattent dans une ville normande. Photogramme extrait du film 3H 143.

Bien que les derniers rushes du fonds soient datés du 15 août, soit 10 jours avant la libération de Paris, plusieurs bobines non datées sont consacrées à la capitale (référence 3H 197). Réalisé après le 25 août, le film référencé 3H 197 présente à la fois le Paris « dévasté », notamment en banlieue, et le Paris « épargné », celui des monuments qui ont résisté à la guerre (Tour Eiffel, pont de Grenelle, Champ de Mars, cathédrale Notre-Dame, Hôtel de ville, place de la Concorde).

Si les images tournées à Paris prolongent la Bataille de Normandie, d’autres rushes tournés dans des territoires plus lointains figurent également dans le fonds. La seule explication à la cohabitation de films tournés dans des lieux si divers est la concomitance des opérations menées. Qu’elles soient tournées en France ou en Asie, les actualités américaines d’une même date ont été rassemblées.

En effet, quelques bobines sont consacrées à des opérations menées dans le Pacifique contre l’armée japonaise, notamment au débarquement et à l'effort de guerre de la Nouvelle-Calédonie (référence 3H 006). Ailleurs dans le Pacifique, les paysages dévastés témoignent de la dureté des combats.

D’autres bobines ont été tournées en Birmanie, envahie par le Japon, où les Alliés combattent aux côtés de l’armée chinoise (réferences 3H 016, 3H 086 et 3H 125). La nature luxuriante et l’équipement (hamac et moustiquaire) tranchent avec les images normandes. De la Manche à l’océan Indien, en passant par le Pacifique, l’objectif des Américains reste le même : vaincre l’ennemi et gagner la guerre, y compris celle des images.

Maxime Grandgeorge

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La France libérée, de la Corse à Saint-Nazaire

Référence : LIFL3

La France libérée, de la Corse à Saint-Nazaire retrace les grandes étapes de cet événement décisif de l'histoire contemporaine française. Les « clichés » de la Libération tels que le débarquement, les liesses populaires et les défilés victorieux, sans occulter l'âpreté des combats, l'exode des civils et l'épuration, sont revisités à travers des images aussi saisissantes que remarquables.