Bataille de Passchendaele : les Britanniques embourbés dans les Flandres
Pensant pouvoir réaliser une percée décisive dans les Flandres en août 1917, les soldats britanniques et des dominions se retrouvent pris au piège d’un champ de bataille marécageux dont plusieurs centaines de milliers d’hommes ne parviendront pas à s’extirper. Un siècle plus tard, Passchendaele reste dans la mémoire anglo-saxonne comme l’une des batailles les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale.
Été 1917, entre immobilité et instabilité
Début 1917. Le moral n’est pas au beau fixe dans les armées alliées. Après trois années de combats meurtriers, le conflit avec les empires centraux semble comme figé. Les lignes de position n’ont presque pas bougé depuis l’automne 1914, et ce malgré des offensives qui coutèrent la vie à des centaines de milliers de soldats. Le bilan dramatique de la bataille de la Somme, qui en l’espace de quatre mois et demi fit 600 000 victimes chez les Alliés dont près de 300 000 morts et disparus, est encore dans tous les esprits.
Plusieurs facteurs semblent désavantager les Alliés, dont les troupes sont frappées par une certaine démoralisation, en ce début d’année. Fortement affectée par le blocus maritime britannique qui l’empêche depuis le début du conflit d’importer les produits alimentaires et militaires dont elle a besoin, l’Allemagne décide de reprendre la guerre sous-marine à outrance. Celle-ci avait été interrompue fin 1915 à la suite de protestations de la part de pays neutres, dont les États-Unis.
Sur le front de l’Est, la révolution de Février secoue la Russie, venant ainsi rebattre les cartes stratégiques de la France et du Royaume-Uni, qui voient leur allié peu à peu gagné par l’instabilité. Profitant du manque de moyens de l’armée russe et de la désobéissance de ses soldats, les Allemands prennent progressivement le dessus sur le front Est. Ils pourront bientôt redéployer une partie de leurs troupes sur le front Ouest, déstabilisant ainsi l’équilibre des forces. L’entrée en guerre des Américains, qui sortent de leur neutralité le 2 avril 1917, suscite malgré tout un vif espoir chez les Alliés. Ces derniers ont cruellement besoin de renforts, leurs soldats étant épuisés, notamment par l'offensive Nivelle lancée sur le Chemin des Dames au printemps.
Fortes de leur victoire lors de la bataille de Messines en juin, les troupes britanniques pensent qu’elles peuvent enfoncer la ligne Hindenburg, sur laquelle se sont repliés les Allemands durant l’hiver. Douglas Haig, commandant en chef du corps expéditionnaire britannique, commence à élaborer une nouvelle attaque à laquelle doit participer l’armée française. Afin de stopper la guerre sous-marine à outrance menée par les Allemands, les Anglais veulent conquérir les bases d’Ostende et de Zeebrugge, avant-ports de la ville de Bruges qui abritent les U-Boots allemands. Pour pouvoir atteindre cet objectif, il faut d’abord percer la ligne ennemie sur plusieurs dizaines de kilomètres dans les terres flamandes. C’est la crête de Passchendaele, située à une dizaine de kilomètres du secteur d’Ypres en Belgique, qui est choisie comme premier objectif de l’offensive.
Un champ de bataille transformé en marécage
Douglas Haig confie le commandement de l’opération au général Hubert Gough, à la tête de la 5e armée britannique. Participent également à l’offensive la 2e armée britannique sous les ordres du général Herbert Plumer et la 1re armée française menée par le général François Anthoine. Face à eux se trouve la 4e armée allemande, qui surplombe la vallée et bénéficie d’un système défensif composé de trois lignes. Chaque pays concerné par la bataille lui donnera un nom différent : Passchendaele pour les Britanniques, troisième bataille d’Ypres pour les Flamands, deuxième bataille des Flandres pour les Français et troisième bataille des Flandres pour les Allemands.
L’attaque est précédée d’une dizaine de jours d’intenses bombardements durant lesquels 3 000 canons pilonnent les lignes allemandes. Les quatre millions d’obus ne suffisent pas à venir à bout de la défense ennemie. Labouré par l’artillerie, le champ de bataille se transforme quant à lui en un paysage lunaire où se mêlent trous d’obus et troncs d’arbres décharnés. C’est dans ce décor désolant que s’élancent les soldats au milieu de la nuit du 31 juillet. Si la 5e armée britannique peine à progresser, la 1re armée française et la 2e armée britannique parviennent à gagner du terrain. Mais un paramètre imprévu, quoique courant dans la région, va venir stopper net leur avancée : la pluie.
Dès le premier soir de l’attaque, de fortes pluies s’abattent dans le secteur. Détruit par trois années de combats intenses, le système de drainage des terres ne permet plus d’évacuer les eaux souterraines. L’eau s’accumule dans la terre, transformant la zone en un véritable marécage dans lequel s’embourbent hommes, chevaux, machines et véhicules. Les hommes avancent péniblement, privés de secours la plupart du temps, tandis que les tanks restent à l’arrêt et que certaines armes sont inutilisables.
La pluie ralentit considérablement l’avancée des troupes qui se retrouvent prises au piège par la boue, devenant des proies faciles pour les Allemands postés tout autour. Les Alliés sont obligés de revoir leur ambition à la baisse, favorisant des missions aux objectifs plus modestes tant que le terrain reste accidenté. Pour contourner tant que possible le problème, les ingénieurs construisent des pontons et des passerelles de fortune pour faciliter le passage des soldats au-dessus des cratères d’obus. Une fois remplis d’eau, ces derniers deviennent des bourbiers dont il est impossible de s’extraire : lourdement équipés, les soldats qui y tombent s’y noient.
À lire ensuite : Bataille d'Arras : l'empire britannique à l'assaut de l'Artois |
La vallée de la souffrance
Après un mois de combats à lutter avec la boue, les troupes britanniques sont à bout de force. Malgré les importantes pertes enregistrées, elles n’ont progressé que de quelques kilomètres seulement. Elles sont relevées par des camarades australiens, néo-zélandais et sud-africains à la fin du mois d’août. Les troupes impériales parviennent à remporter quelques succès entre la fin du mois de septembre et le début du mois d’octobre mais paient un lourd tribut. Certains assauts sont particulièrement meurtriers, comme celui de Bellevue le 12 octobre, au cours duquel 2 700 hommes de la division néo-zélandaise sont mis hors d’état de combattre.
À la mi-octobre, les soldats australiens, néo-zélandais et sud-africains sont à leur tour remplacés par des troupes canadiennes, victorieuses à Vimy quelques mois plus tôt. Le lieutenant-général Arthur Currie, commandant du Corps canadien, reçoit l’ordre de préparer une nouvelle attaque – ordre qu’il exécute à contrecœur, conscient du danger que l’opération fait courir à ses hommes. Après avoir reconstruit des routes endommagées, les soldats canadiens s’élancent le 26 octobre pour une première attaque. Il en faudra deux autres pour s’emparer du village de Passchendaele, le 6 novembre 1917, puis une quatrième pour contrôler le reste du plateau.
Le bilan final est effroyable, avec des pertes considérables dans les deux camps. L’armée britannique déplorent environ 300 000 victimes, dont 16 000 Canadiens lors des derniers assauts. L’armée allemande dénombre quant à elle environ 260 000 victimes. Des dizaines de milliers de soldats sont portés disparus dans chaque camp. Ces chiffres effarants, ainsi que les conditions extrêmes dans lesquelles durent se battre les soldats, contribuèrent à inscrire Passchendaele dans la mémoire anglo-saxonne comme l’une des batailles les plus terribles de la Première Guerre mondiale.
Prononcé à l’anglo-saxonne, Passchendaele est devenu passion dale, soit la « vallée de la souffrance », un surnom d’une justesse tragique. « Passchendale sera pour toujours au premier rang des batailles les plus gigantesques, les plus sanglantes et les plus inutiles de l’histoire », déclare le Premier ministre britannique Lloyd George. Un siècle plus tard, la bataille reste emblématique du conflit dans la mémoire anglo-saxonne. La culture populaire s’est largement emparée de l’événement, depuis le cinéma - La Bataille de Passchendaele (2008) de Paul Gross - jusqu'à la musique métal, à l’instar des groupes Iron Maiden et Sabaton qui consacrèrent chacun une chanson à la bataille, « Paschendale » (2003) et « The Price of a Mile » (2008).
Maxime Grandgeorge
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur la guerre de 14-18, découvrez dans notre boutique les livres :
- 14-18 Tremblements de Guerre - Les géologues au cœur de l'histoire ;
- Sous les lignes de front - Regards géologiques sur la Grande Guerre.