Bataille de Na San : le dernier exploit français en Indochine
Automne 1952. L’armée française construit à la hâte le camp retranché de Na San afin de protéger ses positions dans le pays Thaï. Bien qu’inférieure numériquement, elle parvient à résister aux assauts des troupes du Vietminh. Les communistes vietnamiens ont tiré toutes les leçons de cette bataille, qui fut l’une des dernières victoires françaises.
1952, une année pivot
Revigoré par les succès de 1951, le corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) est frappé de plein fouet par la mort du général de Lattre de Tassigny, qui succombe à un cancer de la hanche le 11 janvier 1952. La fantastique « année de Lattre » n’aura été qu’une parenthèse, trop courte, dans cette guerre qui, après cinq années de combats, est encore loin d’être gagnée.
Si l’armée française a jusqu’ici été militairement supérieure en Indochine, elle ne jouit en revanche pas de la même sympathie que son adversaire, l'Armée populaire vietnamienne, auprès de la population. Solidement implanté dans le pays, le Vietminh, qui contrôle une grande partie des villages, notamment dans le delta du Fleuve rouge, est en train de remporter la bataille idéologique. La France s’en rend peu à peu compte et décide de transférer progressivement le pouvoir à l’État du Viêtnam, membre de l’Union française, plutôt que de voir tomber la région au main du Vietminh.
Pour en finir avec la menace Vietminh qui pèse sur le pays depuis le début de la guerre, l’armée française élabore au printemps 1952 un plan de pacification qui prévoit la victoire des forces françaises et de leurs alliés en dix-huit mois. S’il est séduisant, ce plan audacieux sous-estime la ténacité des indépendantistes communistes qui, malgré les opérations de nettoyage de l’armée française, refusent d’abandonner le combat. Au contraire : eux aussi ont un plan.
À la tête des troupes communistes, le général Giap a bien l’intention de reprendre la main sur les Français. Défait dans le delta du Tonkin, il décide de conquérir le pays Thaï. C’est sur ce territoire situé au nord-ouest du territoire vietnamien et frontalier du Laos que se jouera la suite du conflit. Il compte notamment sur le soutien financier et matériel de plus en plus important des Chinois pour faire monter son armée en puissance et surpasser son adversaire.
Un camp retranché construit en un temps record
Les services de renseignement français observent à partir du mois de juin une activité inhabituelle en pays Thaï : le Vietminh prépare une nouvelle offensive. De nouvelles informations confirment en septembre que les troupes du Vietminh se sont reconstituées et s’apprêtent à attaquer les positions françaises. L’information est confirmée le 11 octobre lorsque les troupes de Giap passent à l’attaque. Six jours plus tard, elles contrôlent les avant-postes de Nghia Lo.
Afin de protéger l’ensemble des positions françaises menacées par la supériorité numérique de l’ennemi, le général Salan ordonne le regroupement des garnisons situées dans des postes isolés et la construction d’un camp fortifié à Na San, qui n’était jusque-là qu’un simple poste avancé. Il faut faire vite car l’ennemi pourrait passer à l’attaque à tout moment et prendre de court le CEFEO.
Les travaux de construction du camp débutent à la mi-octobre. Les soldats de l’Union française s’activent pour que le camp soit prêt à temps, brûlant la brousse, creusant des tranchées et construisant des abris jour et nuit. Organisé autour d’un poste principal composé d’une piste d’aviation et d’organes de commandement, le camp est protégé par un réseau de points d’appui intérieurs et extérieurs, des champs de mines et des fils barbelés.
Pendant que le camp de Na San se prépare, les soldats français postés aux alentours se lancent dans d’interminables marches à travers la jungle pour rejoindre le camp retranché. Les déplacements sont éprouvants et dangereux : le terrain est accidenté et les troupes du Vietminh y sont souvent terrées. Afin d’accélérer les préparatifs du camp, un pont aérien est mis en place au camp de Na San du 16 au 30 novembre pour acheminer du matériel et des hommes.
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La dernière grande victoire française ?
Redoutant que les troupes du Vietminh n’attaquent le camp de Na San avant qu’il ne soit prêt à se défendre, le général Salan confie une manœuvre de diversion au colonel Dodelier. Lancée le 28 octobre 1952, l’opération Lorraine a pour objectif de distraire une partie des forces ennemies et de s’emparer de plusieurs dépôts d’armes. Ralentis par la pluie et la boue, les hommes mobilisés – trois groupes mobiles et un groupe aéroporté – progressent jusqu’au Fleuve rouge, qu’avaient franchi les troupes du Vietminh. L’opération, qui se termine le 14 novembre, est un succès : le camp de Na San a eu le temps de terminer de construire ses fortifications tandis que de nombreuses armes et munitions ont été confisquées à l’Armée populaire vietnamienne.
Le camp retranché de na San est fin prêt lorsque le Vietminh lance une attaque d’envergure, le 23 novembre. L’ennemi parvient à prendre quelques points d’appui. Il en sera délogé quelques heures plus tard grâce au feu des troupes françaises et à la défense en hérisson du camp. Les différents assauts lancés par les troupes communistes sont repoussés par l’armée française. La bataille est rude, les blessés nombreux, mais le camp retranché tient bon. Pensant pouvoir venir à bout de son adversaire, le Vietminh tente en vain une dernière attaque dans la nuit du 1er au 2 décembre avant de se replier.
La victoire est totale pour les Français qui ont réussi à résister aux offensives ennemies depuis un camp retranché construit en un temps record. Les pertes de l’Union française ne sont pas négligeables – 500 tués et blessés –, mais elles sont bien inférieures à celles de l’armée du Vietminh qui recense 3 000 tués et blessés. Le Vietminh n’a pas pu rivaliser avec la puissance militaire française, habituée aux affrontements frontaux classiques. Mais l’Armée populaire vietnamienne, qui n’a pas dit son dernier mot, tire les enseignements de sa défaite. Appuyée par une importante artillerie et une défense anti-aérienne pour la suite de la guerre, elle sera beaucoup plus redoutable à Diên Biên Phu et aura raison des troupes françaises. Pour de bon cette fois-ci.
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